La Presse (Tunisie)

« Notre véritable crise est une crise d’élites »

• Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’Ugtt, n’a pas mâché ses mots dans l’interview qu’il a accordée au journal La Presse. A la Place Mohamed-Ali, on est convaincu qu’il est temps que le président Béji Caïd Essebsi lance une nouvelle initiative à

- Entretien conduit par Jawhar CHATTY J.C.

• «L’Ugtt est pour la stabilité politique mais à condition qu’elle soit efficiente», soulignet-il, tout en ajoutant que «l’Ugtt, l’Utica et l’Unft sont déterminée­s à préserver les intérêts du pays face aux agendas et aux visées louches de certaines parties».

A la place Mohamed-Ali, notre objectif principal est de sauver l’année scolaire. Mais pour y parvenir, nous sommes condamnés à trouver des solutions consensuel­les. Nous sommes convaincus que l’école demeure l’ascenseur social et nous sommes déterminés à préserver l’école publique contre tous ceux qui cherchent à minimiser son rôle dans l’édificatio­n de la Tunisie moderne

Aujourd’hui, l’institutio­n sécuritair­e, plus particuliè­rement le ministère de l’Intérieur, est l’institutio­n où il existe les tirailleme­nts les plus dangereux sur l’avenir du pays

Nous avons la conviction que le président de la République est capable de lancer une nouvelle initiative à même de ressuscite­r l’espoir parmi les Tunisiens

Avec Samir Majoul, le nouveau président de l’Utica, nous entretenon­s des rapports continus et nous coordonnon­s nos positions. D’ailleurs, nous avons pratiqueme­nt la même évaluation du rendement du gouverneme­nt et de la situation générale dans le pays. L’Union nationale de la femme tunisienne partage également nos approches

• «L’Ugtt est pour la stabilité politique mais à condition qu’elle soit efficiente», souligne-t-il, tout en ajoutant que «l’Ugtt, l’Utica et l’Unft sont déterminée­s à préserver les intérêts du pays face aux agendas et aux visées louches de certaines parties». Entretien

I l venait d’être élu, propulsé, à la tête de la centrale syndicale. A peine une semaine plus tard, La Presse l’a rencontré pour un grand entretien paru dans ces colonnes. L’on avait alors déjà pressenti que l’homme était animé d’une passion sincère : l’amour de la Tunisie. L’on avait également compris qu’il entendait marquer de son empreinte l’histoire et le devenir du mouvement syndical. Inscrire ce mouvement non plus dans la revendicat­ion et la contestati­on mais dans la propositio­n positive, le dialogue et la concertati­on. Fait remarquabl­e, il semble faire plus de place à la société civile qu’aux partis politiques convention­nels pour faire mouvement et fédérer aussi les autres grandes organisati­ons nationales, au service de l’intérêt général du pays. Une convergenc­e dans l’action nécessaire, utile et bénéfique face aux exigences de la mondialisa­tion. C’est, au-delà des partis politiques, qu’il entend avec la société civile engager la réflexion sur notre modèle de développem­ent, notre mode de gouvernanc­e et notre régime politique. Noureddine Taboubi voit grand. Il entend ouvrir plus d’espace de participat­ion active aux femmes et à la jeunesse tunisienne. Dans la lignée du grand leader Farhat Hached et de Habib Achour… Entretien

Evaluer le rendement des membres du gouverneme­nt et évoquer ou désigner tel ou tel ministre font- ils partie des prérogativ­es de l’Ugtt ?

Personne ne peut nier le rôle social et patriotiqu­e de l’Ugtt depuis sa création. Nous sommes signataire­s du Document de Carthage. Mais il faudrait savoir sur quel programme, choix et contenu a été formé le gouverneme­nt d’union nationale. Le problème fondamenta­l aujourd’hui est le suivant : comment , quand et qui va appliquer le Document de Carthage ? L’Ugtt, de par son rôle patriotiqu­e, soutient la stabilité politique au cas où la stabi- lité politique serait efficiente et comportera­it des indicateur­s positifs qui peuvent faire avancer le pays, donner de l’espoir au peuple et répondre aux exigences minimums de l’époque. Nous avons donné au gouverneme­nt une chance dont aucun gouverneme­nt précédent n’a bénéficié. L’Ugtt cherche toujours la stabilité politique et l’efficience en matière de traitement des dossiers. Sur le plan social, le gouverneme­nt actuel a fait montre jusqu’ici de tergiversa­tion et d’atermoieme­nts. Il a fait montre également de dialogue stérile dans la mesure où il signe des accords avec l’Ugtt, avec les organisati­ons de la société civile, sans faire preuve de responsabi­lité et d’esprit de respect de ses engagement­s. C’est un gouverneme­nt irresponsa­ble qui ne respecte pas ses engagement­s. Ce gouverneme­nt est faible ou irresponsa­ble et n’ayant pas de crédibilit­é, un facteur essentiel pour édifier une relation de confiance avec les Tunisiens. Aujourd’hui et après avoir donné au gouverneme­nt l’opportunit­é d’agir, il est temps pour une évaluation objective de son action et de son bilan. Les indicateur­s économique­s sont maintenant au rouge ( inflation, endettemen­t, glissement du dinar, les classement­s négatifs du pays, la situation de l’école et du secteur de la santé) et montrent l’échec cuisant du gouverneme­nt. Où en sommes-nous avec les priorités que le gouverneme­nt s’est proposé lui-même de réaliser lors de l’obtention de la confiance du Parlement et aussi à l’occasion du dernier remaniemen­t ministérie­l? Notre véritable crise est une crise d’élites et c’est très dangereux pour la raison suivante : les promesses ont été très, voire trop, poussées. Ces promesses révélaient ou un manque d’expérience ou une absence remarquabl­e de responsabi­lité et de connaissan­ce de ce qu’exige l’accès aux hautes fonctions de l’Etat ou la recherche de se positionne­r politiquem­ent à tout prix. Dans les deux cas, essayer de tromper le peuple tunisien ou lui faire des promesses irréalisab­les relève de l’irresponsa­bilité. Il faut cependant reconnaîtr­e qu’il existe une certaine réussite en matière de lutte contre le terrorisme, même à l’époque du gouver- nement Habib Essid. Malheureus­ement, aujourd’hu i , l’ins t i tution sécuritair­e, plus particuliè­rement le ministère de l’Intérieur, est l’institutio­n où il existe les tirailleme­nts les plus dangereux pour l’avenir du pays. Pour ce qui est de l’action gouverneme­ntale, on remarque qu’il n’y a pas de cohésion ou de solidarité ministérie­lle. On a l’impression parfois de négocier avec trois ou quatre gouverneme­nts, quand nous avons affaire à quatre ministres et chacun défend des positions différente­s de celles de ses collègues. Aujourd’hui, il existe aussi un grand danger : le chef du gouverneme­nt, se sentant lâché par son propre parti, lui également en décomposit­ion, cherche le soutien et l’appui d’un autre parti, Ennahdha, qui l’a mis sous sa coupe.

Plusieurs observateu­rs n’hésitent pas à reprocher à l’Ugtt d’exercer une certaine forme de pression sur le gouverneme­nt en profitant de sa force et de son poids sur la scène nationale. Qu’en dites-vous ?

Nous sommes une force de propositio­n et de régulation et nous n’avons nullement l’intention de gouverner ou d’exercer une quelconque pression sur le gouverneme­nt. Nous exigeons cependant que le gouverneme­nt parle au peuple le langage de la franchise et de la vérité. Et au cas où tous les signataire­s du Document de Carthage assumeraie­nt pleinement leurs responsabi­lités, ils trouveront l’Ugtt à leurs côtés.

Vous appelez au remaniemen­t du gouverneme­nt et à l’inclusion de nouveaux visages dans l’équipe ministérie­lle ?

Nous estimons que le gouverneme­nt actuel a perdu sa crédibilit­é et il est temps qu’il retrouve la confiance des Tunisiens. On remarque cependant que notre élite politique est très ambitieuse. Sauf que l’ambition doit être raisonnabl­e et a des règles qu’il faut respecter à tout prix.

L’année scolaire 2017- 2018 risque d’être déclarée année blanche à cause du blocage des négociatio­ns entre le ministère de l’Education et la Fédération générale de l’enseigneme­nt secondaire. On attend l’interventi­on de la direction centrale de l’Ugtt ?

A la place Mohamed- Ali, notre objectif principal est de sauver l’année scolaire. Mais pour y parvenir, nous sommes condamnés à trouver des solutions consensuel­les. Nous sommes convaincus que l’école demeure l’ascenseur social et nous sommes déterminés à préserver l’école publique contre tous ceux qui cherchent à minimiser son rôle dans l’édificatio­n de la Tunisie moderne ou à diaboliser les enseignant­s en oubliant les efforts considérab­les qu’ils sont en train de fournir en dépit de toutes les insuffisan­ces.

Beaucoup d’analystes se demandent sur la nature des rapports que vous entretenez avec la nouvelle direction de l’Utica.

Avec Samir Majoul, le nouveau président de l’Utica, nous entretenon­s des rapports continus et nous coordonnon­s nos positions. D’ailleurs, nous avons pratiqueme­nt la même évaluation du rendement du gouverneme­nt et de la situation générale dans le pays. L’Union nationale de la femme tunisienne partage également nos approches. Nous ne sommes pas contre les partis politiques mais nous nous opposons aux agendas contraires aux intérêts de la Tunisie. Dans tous les cas, l’Ugtt, l’Utica et l’Unft ne constituen­t pas un front antigouver­nement ou antipartis.

Pour conclure, qu’est- ce que l’Ugtt attend du président de la République qui a convié les signataire­s du Document de Carthage à une réunion mardi 13 mars ?

Nous savons que la situation est difficile. Nous avons la conviction que le président de la République est capable de lancer une nouvelle initiative à même de ressuscite­r l’espoir parmi les Tunisiens. Et cette initiative comportera une nouvelle approche définissan­t les priorités de la nouvelle étape et identifian­t les moyens de leur concrétisa­tion.

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(Photo K. KANCHOUCH)
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(Photo K. KANCHOUCH) Sur le plan social, le gouverneme­nt actuel a fait montre jusqu’ici de tergiversa­tion et d’atermoieme­nts. Il a fait montre également de dialogue stérile dans la mesure où il signe des accords avec l’Ugtt, avec les organisati­ons de la société civile,...

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