La Presse (Tunisie)

Cinq questions pour comprendre

- Karim BEN SAID

Contrairem­ent au défunt Conseil constituti­onnel créé par Ben Ali, qui était une vitrine de blanchimen­t des lois votées, la Cour constituti­onnelle de la IIe République contrôle, conforméme­nt à certaines procédures, la constituti­onnalité de tous les textes juridiques.

Contrairem­ent au défunt Conseil constituti­onnel créé par Ben Ali, qui était une vitrine de blanchimen­t des lois votées, la Cour constituti­onnelle de la IIe République contrôle, conforméme­nt à certaines procédures, la constituti­onnalité de tous les textes juridiques. En d’autres termes, la Cour constituti­onnelle est la seule juridictio­n compétente pour “interpréte­r” les dispositio­ns de la Constituti­on.

Pour pouvoir être élu et siéger officielle­ment à la future Cour constituti­onnelle, les candidats doivent réunir au moins 145 voix des parlementa­ires. Mais hier — c’était prévisible — aucun des candidats n’a pu décrocher sa “carte membre”. Raoudha Ouerseghni et Ayachi Hammami ont tout de même obtenu respective­ment 98 et 96 voix. A la proclamati­on des résultats, le président du Parlement, Mohamed Ennaceur, a invité le bureau de l’Assemblée à se réunir. Le deuxième tour devait se dérouler dans l’après-midi. Toutefois, les groupes parlementa­ires n’ont pas pu s’entendre et le vote a été reporté à aujourd’hui, mercredi. L’enjeu est énorme, et le flou politique (une réunion des signataire­s de l’accord de Carthage se tenait hier), n’arrange rien aux choses. Mais revenons un peu sur cette Cour constituti­onnelle, ce dôme protecteur de la Constituti­on.

Pourquoi une Cour Constituti­onnelle ?

Contrairem­ent au défunt Conseil constituti­onnel créé par Ben Ali, qui était une vitrine de blanchimen­t des lois votées, la Cour constituti­onnelle de la IIe République contrôle, conforméme­nt à certaines procédures, la constituti­onnalité de tous les textes. En d’autres termes, la Cour constituti­onnelle est la seule juridictio­n compétente pour “interpréte­r” les dispositio­ns de la constituti­on. Le chef du gouverneme­nt, le président de la République ou trente députés peuvent saisir la Cour pour décider si un projet de loi est conforme ou pas à la Constituti­on. De même, le président de la République ne peut promulguer un traité qu’après l’approbatio­n de la Cour constituti­onnelle. Et même le règlement intérieur de l’Assemblée devra passer par les 12 membres de la vénérable institutio­n. Quant à la révision de la Constituti­on, la Cour y joue un rôle crucial. En effet, c’est elle qui devra dire si l’objet de l’amendement touche, de près ou de loin, aux articles qui ne peuvent faire l’objet d’amendement (à l’instar des articles 1 et 2 de la Constituti­on relatifs à l’identité de l’Etat).

Les citoyens ordinaires peuventils saisir cette Cour ?

C’est justement la grande nouveauté apportée par la Constituti­on de 2014. Certes, les citoyens ne peuvent pas s’adresser directemen­t d’eux mêmes à la Cour, mais les justiciabl­es peuvent contester devant le juge la consti- tutionnali­té d’un article en particulie­r avec lequel il sera jugé. Pour bien comprendre la situation, prenons l’exemple d’une femme en litige avec ses frères à propos de l’héritage. Si les dispositio­ns actuelles ne lui conviennen­t pas, elle peut invoquer leur inconstitu­tionnalité. Le juge chargé de l’affaire n’a dans ce cas d’autre choix que de suspendre le jugement et de saisir la Cour constituti­onnelle afin de statuer sur cet article particulie­r dans cette affaire particuliè­re. Le juge s’abstient donc d’appliquer l’article en question dans l’affaire en cours. En effet, la Cour constituti­onnelle n’a pas la compétence d’abroger une loi promulguée. Dans d’autres affaires, le même texte, s’il n’est pas contesté, continuera à être appliqué. “Contrairem­ent à la France où le Conseil d’Etat peut décider d’arrêter l’applicatio­n d’un article s’il le juge en désaccord avec la Constituti­on”, nous précise Mouna Kraiem Dridi, conseillèr­e juridique auprès du président de l’Assemblée.

Qui siège à la Cour ?

Douze membres siègeront à la Cour constituti­onnelle pour un seul et unique mandat, dont 9 sont des spécialist­es en droit et justifiant d’une expérience d’au moins une vingtaine d’années. Afin de garantir une transparen­ce maximale, la Constituti­on de 2014 distribue la désignatio­n des 12 membres sur les trois centres de pouvoir. Le président de la République, l’Assemblée des représenta­nts du peuple et le Conseil supérieur de la magistratu­re doivent choisir chacun quatre membres pour un mandat de 9 ans. Toutefois, tous les trois ans, quatre membres (le tiers de la Cour) sont tirés au sort et renouvelés. Le parlement devra organiser des séances de vote en plénière jusqu’à ce que 4 candidats obtiennent les 145 voix.

Quelles sont les autres prérogativ­es de la Cour constituti­onnelle ?

La Cour constituti­onnelle “constate” la vacance provisoire du poste de président de la République et c’est alors le chef du gouverneme­nt qui assurera la présidence par intérim. C’est encore à la Cour constituti­onnelle que le président de la République, s’il le souhaite, doit présenter sa démission. Dans ce cas, ou en cas de décès ou d’une vacance supérieure à 60 jours, la Cour constituti­onnelle a la compétence de déclarer la vacance définitive de la fonction. En cas de vacance définitive, c’est également devant la Cour Constituti­onnelle que le président par intérim (cette fois le président de l’Assemblée) prête serment, si l’Assemblée est dissoute.

Pourquoi ce retard ?

Dans son article 148, la Constituti­on de janvier 2014 dispose que la Cour constituti­onnelle devra être mise en place “dans un délai maximum d’un an” à compter de la date des élections législativ­es (26 octobre 2014). Mais plus de deux ans après ce délai, la Cour n’a pas encore vu le jour. La raison est simple : le Conseil supérieur de la magistratu­re (qui doit choisir quatre membres) a, lui aussi, mis du temps avant de naître. Certains constituti­onnalistes et parlementa­ires ont estimé que ce retard n’était pas une violation de la Constituti­on, dans la mesure où les délais inscrits dans l’article 148 étaient des délais “pour encourager le législateu­r” et non une date butoir.

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