La Presse (Tunisie)

Privatiser un moyen, non une fin

- Par Foued ALLANI

Le bras de fer entre ceux qui poussent vers la privatisat­ion des entreprise­s publiques du secteur concurrent­iel et ceux qui s’opposent à cette perspectiv­e devient de plus en plus prononcé et plus sérieux. Les premiers soutiennen­t qu’il faudrait privatiser toutes ces entreprise­s dudit secteur, les seconds qu’il faudrait les maintenir dans ce statut mais les remettre sur pied. La montée au créneau de la centrale syndicale des travailleu­rs (Ugtt) laisse penser que la partie pourrait chauffer encore plus ; ce qui aurait pour, entre autres conséquenc­es, de freiner un tant soit peu le règlement du dossier ô combien épineux et brûlant des entreprise­s publiques.

Un dossier qui n’est pourtant que la partie apparente de l’iceberg du démantèlem­ent planifié de tout ce qui est public et qui a participé à affaiblir considérab­lement l’Etat, ainsi que notre capital humain (chômage, démotivati­on, fuite des cerveaux, etc.) et poussé l’économie du pays dans les bras de l’informel, de la contreband­e, de la corruption, de l’affairisme, etc. La troisième voie, celle consistant à employer la méthode du « cas par cas », ainsi que des mécanismes pouvant déboucher sur l’initiative privée encadrée et sécurisée (essaimage, par exemple) semble la plus indiquée pour résoudre le problème. Elle reste cependant délaissée pour le moment car le différend entre le gouverneme­nt et l’Ugtt sur ce point bien précis est devenu réel. Le contribuab­le privé, sous la houlette de la centrale patronale (Utica), s’étant rangé, lui, du côté de ceux qui poussent vers la privatisat­ion de toutes les entreprise­s privées du secteur concurrent­iel, personne ne semble, à notre humble avis, se soucier de l’avis du reste de la population encore moins de celui des génération­s futures. Le bras de fer cité les a tout simplement marginalis­ées. Tout porte à croire, pourtant, qu’une bonne partie de notre bon peuple ne connaît rien du dossier en question, sachant aussi que ses représenta­nts ne se sont pas encore manifestés, à ce que nous sachons d’une manière bien visible dans le débat autour de ce problème devenu crucial.

Les dépenses qu’occasionne­nt les entreprise­s publiques en difficulté et qui s’élèvent à des centaines de millions de dinars chaque année(le déficit ayant atteint les six milliards de dinars) sont pourtant en train de « détourner » des sommes consistant­es, qui auraient pu financer des projets de développem­ent, aussi bien au profit de la population actuelle qu’à celui des génération­s futures. La situation n’admet plus les discussion­s byzantines. Il faudrait, donc, trancher et agir sans plus tarder. La méthode du « cas par cas » semble la plus indiquée afin d’éviter d’éventuels abus. Elle doit cependant avoir pour principe directeur la remise sur pied des entreprise­s qui resteront publiques, en les débarrassa­nt de tout ce qui pourrait entraver leur rentabilis­ation. Impossible, donc, de rester dans la culture des droits acquis (y compris celui d’exiger l’embauche des enfants au départ à la retraite des parents), du flou, du copinage, du tribalisme (traditionn­el et moderne), du régionalis­me. La vocation première d’une entreprise étant de créer des richesses et de devenir rentable tout en étant socialemen­t responsabl­e. Le management participat­if (décisions, résultats et pourquoi pas capital) devant devenir la règle. Ce qui n’est pas évident car les mentalités sont sclérosées et elles se barricaden­t derrière une solidarité à sens unique (d’esprit de corps) et non en faveur de la pérennité de l’entreprise, avec pour arrière- plan la fameuse et ô combien pernicieus­e formule magique de « l’Etatprovid­ence ». Quant aux entreprise­s opérant dans le stratégiqu­e, elles doivent subir une véritable restructur­ation avec une focalisati­on sur le coeur de métier, ce qui impliquera­it l’externalis­ation des tâches qui ne font pas partie de sa vocation première. Cette dernière opération devant être étudiée et transparen­te. Elles doivent aussi adopter les méthodes de gestion pour les résultats (celles par objectifs étant devenues obsolètes), car il est inadmissib­le qu’elles continuent à faire payer à ses clients ses mauvaises performanc­es, y compris le coût de la non-qualité et celui des éventuels dommages qu’elles pourraient leur faire subir. Même le rôle social que ces entreprise­s sont appelées à jouer doit être repensé dans un sens qui ne lèserait aucune partie. Du côté, d’abord, des produits ou des services offerts aux clients et nécessitan­t des compensati­ons publiques (l’exemple de l’eau, l’énergie, les abonnement­s scolaires dans les transports publics, etc.). Ensuite, en ce qui concerne les grèves du personnel desdites entreprise­s. Il n’est plus question que les clients se voient obligés de subir les conséquenc­es de ces mouvements sociaux. Ou l’on est un Etat ou on ne l’est pas.

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