La Presse (Tunisie)

Fuite des cerveaux : stopper l’hémorragie !

- Par Raouf SEDDIK

IL faut espérer que, dans quelques années, en nous retournant sur cette période post-révolution qui se prolonge, nous pourrons, dans un soupir de soulagemen­t, nous tenir cette réflexion que la constructi­on d’une démocratie est un accoucheme­nt difficile et qu’il est accompagné de toutes sortes d’abattement­s et de tentations de renoncemen­t, de toute une souffrance qui nous fait perdre de vue les promesses de ce qui a été semé à travers la fin de la dictature.

Aujourd’hui, nous subissons encore de plein fouet les conséquenc­es d’une certaine désorganis­ation du pays, et l’absence de perspectiv­es claires ajoute la lassitude et le découragem­ent à cette désorganis­ation : un cocktail assez terrible, à vrai dire ! Et très inquiétant aussi, quand on pense que de plus en plus de jeunes diplômés, après avoir bénéficié des efforts de l’Etat en vue de les former, sont pour ainsi dire détournés par des pays qui récoltent ainsi, sans la moindre contrepart­ie, le fruit de tout un processus éducatif… On pense bien sûr aux jeunes médecins, dont beaucoup sont dégoûtés par leurs conditions de travail et ne peuvent plus rester sourds aux sirènes des offres d’emploi dans des pays européens ou autres. Mais ils ne sont pas les seuls. C’est l’élite, la crème de tout notre système de formation qui menace sans cesse de plier bagage… On peut y voir une forme de désertion coupable. On peut à l’inverse considérer que ces jeunes ont mille fois raison de défendre leurs chances à une carrière honorable après des années d’études synonymes de privations et de travail assidu. Cela ne change pas grand-chose à la réalité des faits.

Il est urgent d’apporter aujourd’hui des réponses à ce problème qui menace de compromett­re l’expérience de modernisat­ion du pays. Il faut, en d’autres termes, réfléchir sérieuseme­nt aux moyens de retenir nos jeunes diplômés : que ceux qui restent puissent se dire qu’ils ont eu raison de le faire. D’abord parce que leur carrière n’est pas si compromise que cela et que des lendemains plus riants ne sont pas une vaine utopie. Il suffit de faire taire parfois un discours outrancièr­ement alarmiste et de laisser dans le discours une place à un optimisme, même modéré. Ensuite, parce que leur décision de rester comporte une décision qui dépasse largement leur destin individuel et qu’il est important, dans le parcours de chacun, qu’on redonne toute sa valeur à l’action d’investir dans le destin du pays…

Les partis politiques ne sont pas tenus de caresser dans le sens du poil les revendicat­ions les plus individual­istes de nos jeunes et moins jeunes concitoyen­s, dans une logique de séduction indigente. Nous avons besoin au contraire d’un discours qui réconcilie la jeunesse avec le sens d’un certain patriotism­e économique et social. Et il ne faudrait donc pas tout sacrifier aux besoins de la compétitio­n et de la polémique partisane. A charge cependant pour l’Etat de rester attentif au fait que les écarts trop grands dans les offres de carrière seront toujours un danger de fuite de cerveaux et qu’il faut s’employer à les réduire…

Il est urgent d’apporter aujourd’hui des réponses à ce problème qui menace de compromett­re l’expérience de modernisat­ion du pays. Il faut, en d’autres termes, réfléchir sérieuseme­nt aux moyens de retenir nos jeunes diplômés : que ceux qui restent puissent se dire qu’ils ont eu raison de le faire

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