Le degré zéro de la politique
Le mini-sommet entre les trois présidences et les secrétaires généraux des deux organisations syndicales, ouvrière et patronale, hier, au palais de Carthage, serait-il destiné à calmer, un tant soit peu, les esprits ? On ose le croire. On veut bien y croire. Bien loin de réconcilier, la classe politique est plus encline à diviser. L’imminence des élections municipales pourrait expliquer les exacerbations subites des différends. Et les divisions épousent les moules du régionalisme, du clanisme et de l’esprit de clocher qui, à défaut de régulations transcendantales, préfigurent la guerre de tous contre tous
• Le mini-sommet entre les trois présidences et les secrétaires généraux des deux organisations syndicales, ouvrière et patronale, hier, au palais de Carthage, serait-il destiné à calmer, un tant soit peu, les esprits ? On ose le croire. On veut bien y croire. • Bien loin de réconcilier, la classe politique est plus encline à diviser. L’imminence des élections municipales pourrait expliquer les exacerbations subites des différends. Et les divisions épousent les moules du régionalisme, du clanisme et de l’esprit de clocher qui, à défaut de régulations transcendantales, préfigurent la guerre de tous contre tous
Les observateurs et le commun des citoyens le constatent avec amertume : l’insulte, l’invective et la surenchère sévissent aujourd’hui sur la place publique. Cela prend parfois des proportions gigantesques, largement relayées dans les médias et les réseaux sociaux. Il en est de la violence verbale et discursive comme de toute violence sous nos cieux depuis la révolution. Son «marché» s’est déglingué : elle enfle au gré des circonstances, s’étend en long et en large comme une métastase, une excroissance pervertie. Pour elle, point de sanctuaire ou d’espace inviolable. Elle est désormais partout. Dans les institutions représentatives, le Parlement, les médias, les écoles et les lycées, les hôpitaux, les stades. La semaine écoulée, deux députés ont défrayé la chronique, dans des déclarations publiques et solennelles. Ali Bennour a souhaité écouter très bientôt le communiqué numéro un de quelque coup d’Etat militaire. De son côté, Imed Daimi a prôné, dans une intervention en salle plénière, que Ali Bennour soit pendu, éviscéré et écartelé avant d’être livré à la vindicte populacière dans toutes les régions du pays. Quelques jours auparavant, un jeune supporter d’un club de football, poursuivi par des policiers aux alentours du stade de Radès, est mort noyé au oued Méliane. Le gouvernement a mis cinq jours avant de décider de diligenter une commission d’enquête à ce propos. Toujours au cours de la semaine écoulée, les sentiments de haine se sont déchaînés dans les médias et les réseaux sociaux à l’occasion du décès de Salah Zeghidi, éminente figure de la gauche démocratique et de la lutte syndicale et associative. Les citoyens sont écoeurés. On ne reconnaît plus son pays. On peine à déceler ne fut-ce qu’une infime partie de la douceur légendaire des Tunisiens. Il est vrai que les psychologies individuelles et collectives sont tributaires de conditionnements sourds et en profondeur. Les Tunisiens ne sont guère bien servis à ce propos. Peurs, insécurité, angoisse du lendemain sur fond de renchérissement du coût de la vie, de chômage persistant, d’appauvrissement galopant, touchant de larges franges de la population, aggravent la donne. Dépressions et folies s’imbriquent. Les moeurs sont corrompues. Les nerfs craquellent. Ce qui est bien plus grave, c’est que la classe politique joue les premiers violons dans le sinistre concert des violences. Elle étale ses crispations et blocages pathologiques à fleur d’écrans, de plateaux radio et télé, de séances plénières tumultueuses. À défaut de fonction hégémonique, elle se calfeutre dans les espaces réducteurs ancestraux. Même des instances de dialogue et d’échanges subissent les contrecoups de cette montée en flèche conflictuelle. C’est le degré zéro de la politique. En définitive, le constat amer s’impose. Bien loin de réconcilier, la classe politique est plus encline à diviser. L’imminence des élections municipales pourrait expliquer les exacerbations subites des différends. Et les divisions épousent les moules du régionalisme, du clanisme et de l’esprit de clocher qui, à défaut de régulations transcendantales, préfigurent la guerre de tous contre tous.