Une création intelligente et onirique…
«On a volé la lune», une pièce de théâtre en langue française mise en scène par Jean-Luc Garcia et Sihem Koutini, adaptée du livre de Jean-Paul Alègre et présentée du 5 au 7 avril à la salle El Teatro à Tunis.
«Il n’y a plus de sel… Le peuple est en colère. Le chef syndicaliste s’est allié avec la stupide bande de stupides conseillers de notre cheffe vénérée la grande ivrogne… On a volé la mer?… Puis la lune?… Le coupable? Le poète sans doute, qui cherche désespérément un pays où il y aurait des fleurs… Il sera jugé par ses juges…». Il s’agit d’une pièce écrite par Jean-Paul Alègre et qui a été mise en scène par deux professeurs de théâtre au lycée Pierre Mendès-France et interprétée en langue française par quelques uns de leurs collègues et des enseignants du lycée Gustave-Flaubert et qui font partie des comédiens du Teatro Studio. Dans le pays du Grand Ivrogne, on a volé la mer. Célestin prend la direction du mouvement populaire chargé de la récupérer. Pendant ce temps, le poète part à la recherche du Pays des fleurs... Et voici qu’à son retour, il apprend qu’on a volé la lune. Il s’est avéré à la fin que les histoires de vols sont montées de toutes pièces par le dirigeant et le syndicaliste «révolutionnaire», faisant ainsi des polémiques de diversion dans le but de détourner l’attention du peuple des problèmes politiques. Un concept vieux comme le monde et qu’on retrouve dans plusieurs anciens écrits mais qui n’a été clairement formulé et théorisé qu’au cours des dernières décennies. Shakespeare l’évoquait dans Henry IV : le vieux roi mourant (Henry IV, donc), qui a régné dans la crainte permanente d’une révolte de son peuple, y conseille à son fils (Henry V) d’attaquer la France afin de détourner l’attention de ses sujets et d’unifier la nation contre un ennemi commun. Dans un décor d’une grande sobriété : un plateau quasiment nu, à part trois échelles suspendues au fond de la scène. Et pourtant, grâce à une création lumière intelligente et onirique, ce décor semble se transformer, créant des espaces plus intimes, ouvrant ou resserrant la scène, mais en gardant toujours cette chape de mystère englobant toute la pièce. Corps, histoires, lumière, sons… Un spectacle qui joue sur de multiples langages, et qui garde pour- tant son unité, et son étrangeté. Le titillement de tous les sens. La pièce d’Alègre conjugue la satire et l’absurde, une écriture moderne qui traite avec dérision les jeux de pouvoir et l’évolution de nos sociétés qui éloignent l’homme du bonheur. Autour de cette idée des fausses identités et du complot, les fils de la pièce «On a volé la lune » se sont tissés. Les scènes rebondissent à chaque fois sur de nouveaux personnages haut en couleur. Dans un fourre-tout plutôt inspiré, et souvent drôle, les metteurs en scène orchestrent le défilé de cette galerie de personnages haut en couleur, des archétypes légèrement détraqués de notre société, évoquant, à travers de nombreuses allégories, le monde dans lequel nous vivons, ses dysfonctionnements, ses dérapages, ses absurdités ainsi que les futilités d’une société à la dérive. Des personnages justement interprétés par les comédiens Mohamed Turki, Soufia Chadli, Nora Djerai, Silvia Chiave, Selima Lasram, Boutheina Ferchiou, Emilie Amblard, Salma Triki Fourati, Karim Ghenim, Walid Mufti, Jean Louis Rébora, Emna Triki Sellami, Lobna Toukabri et Valérie Wuillez, qui font preuve d’une belle sincérité. Ils se griment, changent de démarche, de voix, d’intonations, donnant aux spectateurs l’occasion de réfléchir et de sourire.