«Une industrie embryonnaire et un tourisme à diversifier»
Nous sommes aujourd’hui en face du gouverneur de Tozeur, M. Salah Mtiraoui, le quatorzième gouverneur à être interviewé par « La Presse Economie » dans le cadre de son programme de médiatisation de l’activité économique régionale. Notre invité nous fait, entre autres, un diagnostic, nous ayant paru objectif, consistant et audacieux à souhait. Cela tout en préconisant les solutions idoines, pour l’économie d’une région, trahie par la géographie (éloignement des grands centres urbains, enclavement, etc.) et par un vide industriel longtemps traîné. Malgré la présence d’une multitude de zones industrielles n’ayant pas suscité l’intérêt et l’«appétit» des investisseurs. Tout de suite les questions.
Quel est a priori, M. le gouverneur, l’état des lieux dans votre région sur le plan économique et industriel ? Traditionnellement agricole, le gouvernorat profite aussi d’un autre secteur de développement non négligeable, à savoir celui du tourisme saharien. L’agriculture est un secteur prédominant à la fois en tant que secteur économique, par sa contribution à l’emploi, à la production agricole nationale, notamment pour certains produits, tels que les dattes et les cultures sous serre, mais aussi en tant que forme de mise en valeur de ressources naturelles. L’agriculture est aussi un patrimoine et un mode de vie constituant un support nécessaire au développement économique de la région de Tozeur et un complément indispensable au développement d’autres secteurs, tels que le tourisme et l’artisanat. En parallèle, l’activité agricole oasienne traditionnelle est caractérisée par la dispersion excessive de la propriété, la pénurie de maind’oeuvre, la raréfaction des ressources hydriques, le tarissement des sources et le pompage accru sur la nappe profonde.
Sans le tourisme…
D’autre part, la région de Tozeur présente des produits touristiques aux caractéristiques uniques en Tunisie : paysages saharien et oasien, patrimoine archéologique exceptionnel, cultures et traditions originales, etc. Le tourisme constitue une activité économique importante à l’échelle locale et régionale. Ses effets sont multiples sur la création d’emplois, de l’urbanisation et des prestations de services liés au tourisme. Quoique ce secteur traverse provisoirement un certain passage à vide. A l’heure actuelle, le tourisme saharien souffre de plusieurs inconvénients. Il demeure un tourisme de passage. En effet, la durée moyenne de séjour, avant la crise actuelle, était de 1,3 jour, contre 5,5 jours pour l’ensemble de la Tunisie. Le taux d’occupation des unités hôtelières demeure inférieur à la moyenne nationale, à savoir 33%, contre 43% pour toute la Tunisie.
L’artisanat en mal de compétitivité
Les effets d’entraînement du secteur touristique sur les autres secteurs d’activité demeurent modestes. Ainsi, l’aéroport de Tozeur n’enregistre qu’une très faible activité et l’approvisionnement des hôtels s’effectue auprès des grands centres urbains du pays. Un riche artisanat est basé sur les différentes matières premières disponibles (sous-produits du palmier, de la laine, des poils de dromadaire, etc.). L’artisanat, en dépit de son omniprésence dans la région, souffre d’un manque de compétitivité et d’une faible contribution en matière de création d’emplois.
L’Industrie à l’état embryonnaire
Reste le secteur industriel qui est encore à l’état embryonnaire. Les investissements y afférents sont essentiellement orientés vers le secteur agroalimentaire, avec 41 entreprises industrielles employant plus de 10 employés dont pas moins de 36 d’entre elles sont concernées par l’agroalimentaire, lié principalement au stockage et au conditionnement des dattes, créant près de 4.200 emplois. Cela étant, on ne saurait parler réellement d’un secteur industriel. D’autant que celui-ci n’a nullement profité de la présence de l’aéroport ni de l’existence de la ligne ferroviaire. Par ailleurs, le secteur des industries alimentaires et agroalimentaires (IAA) lui-même souffre du fait que près de 90% de la production de dattes exportées sont traitées et conditionnées en dehors de la région.
Sans vision stratégique
En effet, le gouvernorat de Tozeur est doté de 11 zones industrielles, totalisant une superficie de 95 hectares dont, malheureusement, 27 seulement sont exploitées. La prolifération de ces zones devait faire suite à l’ancienne politique industrielle ayant prévu de doter presque chaque délégation d’une zone industrielle. Quoique judicieuse et raisonnable quant au prin- cipe, elle s’est avérée en pratique inopérante et sans intérêt. Dans la mesure où elle n’est pas inscrite dans le cadre d’une vision stratégique cohérente. Le taux de leur exploitation n’ayant pas dépassé les 30%. Quatre zones industrielles de 100 ha sont encore programmées dans la région. Elles vont être réalisées par le pôle du Jérid.
Quels sont, M. le gouverneur, les projets qui viennent d’êtres réalisés ? Au vu des éléments exposés cidessus, l’on ne peut parler de l’existence d’un secteur industriel dans la région. Car, jusqu’ici, l’on se limite au simple stockage des dattes et à son conditionnement d’une manière archaïque et empirique, n’offrant que du travail manuel de manipulation, sans la moindre plus-value.
La datte fait du surplace
Le gouvernorat qui, à l’origine, avait le quasi-monopole de la «Deglet Nour», n’a pas réussi à en améliorer ni la qualité ni la valorisation. Alors que des expériences ont fait leurs preuves à travers le monde et devenues concurrentes à partir d’implants très probablement provenant de Tozeur. Un pan industriel entier aurait pu être développé autour de la valorisation de la datte pour le bien de la région et du pays. A part les unités de conditionnement qui sont installées, une entreprise d’assemblage de Jeans, des coiffes d’automobiles et une unité de fabrication de détergents ont vu le jour.
Quels sont ceux qui sont en cours de réalisation et à quelle étape se trouvent-ils à présent ? Les principaux projets en cours d’exécution sont la réalisation d’unités de plastique «Royal Plast», d’une cartonnerie en phase d’acquisition de terrain auprès de l’AFI et de fabrication de moustiquaires, en phase de bouclage de financement.
Quels sont ceux ayant rencontré des difficultés de réalisation et quelle est la nature de ces difficultés ? En parallèle, 12 autorisations de recherches pour l’exploitation de sel à Chott Jerid ont êtes octroyées. La région présente aussi d’autres ressources naturelles méritant d’être exploitées, telles que les substances utiles et les ressources valorisables : sels, sables, gypse, argile, etc. Elle présente de même des atouts pour les énergies alternatives, l’énergie solaire et l’eau géothermale.
Trahie par la géographie
La problématique de la région de Tozeur est d’ordre géographique, à savoir l’éloignement et l’enclavement par rapport aux grands centres urbains du pays, tels que Tunis, Sfax, Sousse, et Gabès. Ajouter à cela l’état de l’infrastructure routière, qui n’est pas sans compliquer la situation. La structure économique d’ensemble reste donc tributaire de sa liaison avec les grands centres urbains littoraux où Tozeur ne joue que le rôle de récepteur de biens de consommation et d’équipements et d’expédition de matières premières, essentiellement agricoles.
Quels sont les principaux indicateurs de développement de la région ? Globalement, le cadre de vie au niveau du gouvernorat de Tozeur est assez proche du niveau national. Bien que l’infrastructure d’électrification, d’adduction d’eau potable et d’évacuation est légèrement en dessous des moyennes nationales. Au niveau de la connexion aux réseaux mobiles, le gouvernorat de Tozeur compte le double de la densité nationale (presque deux lignes par personne) D’après les statistiques disponibles, le gouvernorat de Tozeur comptait en 2017 près de 8.000 chômeurs qui représentaient 1,2% de l’ensemble des chômeurs au niveau national. Ce nombre a forcément augmenté depuis, conséquemment à la situation du pays. L’analyse de la structure du chômage dans la région au vu des chiffres disponibles de 2017 met en évidence les points suivants : — Comme pour l’ensemble du pays, c’est la tranche 25 - 45 ans qui est la plus touchée mais, avec moins d’acuité par rapport au niveau national (53% contre 72%). Le différentiel s’inverse pour la tranche des 15 - 25 ans. Cette tranche d’âge n’est pas moins problématique, vu sa fragilité face aux risques de délinquance ou de conditionnement intellectuel.
Le chômage des diplômés, encore lui !
— Le chômage des diplômés demeure assez élevé. Le différentiel de 7 points inférieurs au niveau national est probablement dû à l’absence d’un grand pôle universitaire. Il est cependant supérieur pour l’élément féminin, de près de 4,4 points malgré le fait que la population des diplômés lui est favorable de 9 points.
«La bonne recette»
La vision future pour la région du Jerid pour y améliorer le développement économique est tributaire des conditions suivantes : — D’abord, la nécessité de préserver les ressources disponibles et d’en assurer une gestion durable. — L’optimisation de la valorisation des ressources et des investissements consentis dans l’agriculture et dans le tourisme. — La préparation de la région pour un développement alternatif qui met en amont les ressources et les atouts non exploités. — La création de bases d’un développement plus économe en ressources naturelles et plus diversifiées dans son aspect économique. — La valorisation de la proximité de la frontière algérienne à travers la mise en place de zones d’activité et de libre-échange. — La préservation et la valorisation de l’ensemble des ressources et spécificités de la région par:
* La poursuite et la généralisation des programmes d’économie d’eau dans l’agriculture et les autres secteurs.
* Le maintien de la superficie irriguée actuelle avec la possibilité d’extension pour les zones à potentiel hydrique confirmé.
* Le développement de la recherche en matière d’économie d’eau et d’exploitation des eaux à salinité élevée.
* La création de stations de dessalement des eaux saumâtres (mélange d’eau douce et d’eau de mer) à Tozeur, Nafta, Hezoua et Deguech.
* La mise en place d’un programme de valorisation des eaux de drainage des eaux usées traitées.
* Favoriser la reprise de la biodiversité par la réalisation de réserves et de parcs naturels et la réintroduction d’espèces rares à l’instar de la réserve de Dghoumès.
* Développer l’agriculture oasienne par :
* La labellisation des produits de l’agriculture oasienne
* La préservation des variétés et des espèces autochtones et la valorisation de leurs produits.
* La diversification de la production agricole par le renforcement de la culture étagée.
* L’amélioration de conduite de l’élevage
* Le développement de l’agriculture géothermique. Favoriser une meilleure valorisation des ressources minières et énergétiques à travers :
* L’exploitation de la grande variété de sels de Chott El-Jérid (chlorure de soduim, potasse, palite, sylvite, sels de magnésium, sulfate et bromure, etc.).
* L’exploitation des carbonates représentés surtout par les calcaires de la région de Mahasen.
* L’exploitation des sables de la zone de Sédada.
* Le recours intensif aux énergies alternatives : solaire et éolienne, eu égard aux caractéristiques climatiques de Tozeur.
Un tissu industriel à diversifier
La diversification est possible à travers :
* La création de zones et de bâtiments industriels aménagés.
* Le développement d’une industrie basée sur les produits liés à l’exploitation de l’énergie solaire.
* Le développement d’une industrie de valorisation des produits et des sous-produits agricoles. L’augmentation de la compétitivité du tourisme saharien et oasien par :
* La création d’un technopôle du tourisme saharien et oasien basée sur l’enseignement supérieur, la recherche scientifique et la formation en matière de tourisme et d’artisanat ainsi que l’accompagnement des porteurs de projet dans le domaine.
* La création d’un parc international des images et des mirages à Tozeur, Nafta et Chott el-jérid .
* Le développement d’un tourisme de séjour basé sur les potentialités culturelles , thermales et sportives .
* La conservation et la valorisation du patrimoine archéologique.
* La conservation du patrimoine culturel, régional, nomade du pays comme à l’étranger
* L’amélioration et la modernisation des équipements de base des zones touristiques.
* La création d’un musée du Sahara et des oasis à Tozeur.
* Le développement de l’agrotourisme dans les oasis à travers l’aménagement de fermes modèles illustrant l’ancienne agriculture traditionnelle.
* La création et l’amélioration des circuits sahariens et culturels à Tamaghza et Nafta.
* Le développement des stations touristiques haut de gamme avec des paysages panoramiques.
* Le développement de l’hébergement typique haut de gamme en harmonie avec le paysage environnant.
* L’amélioration de l’exploitation des vols vers Tozeur à partir de l’Europe
* L’amélioration des pistes des oasis anciennes du Jerid et oasis de montagne.