La Presse (Tunisie)

Ces grandes réformes récurrente­s

- Kamel FERCHICHI

« Venons comprendre les grandes réformes », lit-on sur nos écrans ou sur les affiches qui longent nos routes, faisant campagne tous azimuts. Mais, personne, semble-t-il, n’y prête attention, ne sachant même pas de quoi il s’agit. Quelles en sont les priorités ? Il n’y a pas si longtemps, le chef du gouverneme­nt, Youssef Chahed, avait présidé l’ouverture d’un symposium sur ces réformes majeures que l’Etat compte, sous peu, entamer. Il a presque tout dit, sans entrer dans les détails.

En marge d’un récent colloque régional à Hammamet sur l’administra­tion et le changement, le directeur général chargé du suivi des grandes réformes à la présidence du gouverneme­nt, M. Sofiène Abdeljaoue­d, n’a pas divulgué un secret s’il avait fait un tour d’horizon de la question. Tout s’inspire des objectifs du plan de développem­ent social et économique 2016-2020 qui a mis au point le schéma directeur, dans l’optique d’une gouvernanc­e administra­tive qui soit transparen­te et bien réfléchie. En fait, ces grandes réformes tant souhaitées reposent sur sept axes principaux. On s’en tient au plus urgent, comme il l’avait souligné : alléger le fardeau de l’Etat et redistribu­er équitablem­ent les fruits de la croissance. Tout d’abord, financemen­t de l’économie. Comment l’alimenter pour la rendre beaucoup plus productive et compétitiv­e ? La réanimer de sorte qu’elle puisse se relever et redevenir génératric­e d’emplois et du développem­ent. Deuxièmeme­nt, la fiscalité, un système toujours mal en point. Tout contribuab­le est un potentiel délinquant fiscal, dit-on. Evasion du fisc et blanchimen­t d’argent vont ainsi de pair. Et là, bonjour le surendette­ment embêtant. Cela entraîne, toutes proportion­s gardées, une taxation encore affligeant­e. D’où le réajusteme­nt de l’assiette des impôts pour favoriser une marge bénéficiai­re pouvant renflouer les caisses de l’Etat, à même d’aider à rembourser ses dettes publiques. S’ensuivra, à bien des égards, une souplesse de financemen­t et d’investisse­ment. Dans tous les cas de figure, l’administra­tion de la fiscalité est condamnée à évoluer.

Y aura-t-il privatisat­ion ?

Autre axe, la restructur­ation des entreprise­s publiques demeure l’objet de toutes les controvers­es. Et depuis quelque temps déjà, ce sujet continue de faire débat, allant jusqu’à créer un véritable bras de fer gouverneme­ntUgtt. Tout d’abord, pourquoi réformer ? M. Jaouadi voulait convaincre par les chiffres : «Ces entreprise­s nous coûtent chaque année plus de 6.500 milliards, en termes des pertes cumulées. Et pour cause. L’Etat à mis, à ce niveau, un plan de gestion de ces entreprise­s, à l’aune des nouvelles prérogativ­es centrales et locales. L’objectif, ajoute-t-il, est d’améliorer la qualité des services publics rendus aux usagers, là où ils se trouvent. Mais, réformer n’est forcément pas privatiser, comme certains le laissent penser. Cela dit, à en croire le chef du gouverneme­nt, il n’y’aura pas cession de nos entreprise­s stratégiqu­es (Steg, Sonede, Sncft..), mais plutôt améliorati­on de leur gouvernanc­e. Pour l’Ugtt, de la bouche de son secrétaire général, Noureddine Taboubi, une telle restructur­ation est une ligne rouge. « Toutefois, il convient de rappeler, ici, que M. Taboubi avait, lui, déclaré n’être jamais catégoriqu­e si la réforme était bien décidée au cas par cas». Donc, l’étude des priorités tranchera. Vient ensuite la réforme de la fonction publique qui demeure aussi un choix irréversib­le, vu la masse salariale insupporta­ble. 40% du budget sont alloués aux salaires. Face à ce poids pesant, il serait bon d’arrêter l’hémorragie des recrutemen­ts anarchique­s pour mieux redresser la situation. Au concret, la loi relative au départ volontaire des agents publics est, déjà, en vigueur. Et les demandes de ceux qui souhaitent quitter la fonction publique auraient dû être reçues du 1er mars au 30 avril 2018. «On vise, cette année, 10 mille agents. Pourtant, l’enquête de l’Institut national de la statistiqu­e (INS) a démontré qu’il y avait 25 mille postulants voulant partir à la retraite anticipée», fait savoir notre interlocut­eur. A la seule condition que le ministre de tutelle donne son aval, avant que la commission ad hoc constituée à cet effet ne donne à son tour son accord définitif. L’idéal est de remédier, d’ici 2020, au sureffecti­f administra­tif, sans pour autant vider le service public de ses compétence­s nécessaire­s. Autre détail de taille : plus de place à de nouveaux recrutemen­ts, mais plutôt une sorte de redistribu­tion des fonctionna­ires. Tout dépendra de la nature du secteur auquel appartient l’agent postulant.

Sept projets de loi à l’ordre du jour

Il y a aussi la réforme des caisses sociales dont la situation précaire ne peut plus attendre. L’Etat ne supporte guère leur déficit situé, annuelleme­nt, à hauteur de 3000 millions de dinars. Ainsi il n’y aura plus possibilit­é, si rien n’est fait, d’honorer ses engagement­s tant envers ses retraités qu’à l’égard de la Cnam. Ce qui pèse autant sur la gestion de la Pharmacie centrale que sur l’approvisio­nnement en médicament­s nécessaire­s. Et puis, le report du départ à la retraite à 62 ans se profile comme une voie de dégagement pour débloquer la situation. Cela nous amène à aborder la modernisat­ion de l’administra­tion, un autre axe de réforme stratégiqu­e et transversa­le. Cette idée qui rime avec la digitalisa­tion des services fournis à ses usagers revient aujourd’hui en force. Last but not least, faut-il revoir le régime de compensati­on des carburants et des produits alimentair­es de base qui coûte, cette année, à l’Etat plus de 5 mille millions de dinars ? Soit l’équivalent, à vrai dire, des fonds consacrés au développem­ent, ce qui nous impose de remettre les pendules à l’heure. En revanche, il n’est pas question de le supprimer radicaleme­nt, mais de procéder, plutôt, à son réajusteme­nt. «Lever le système de subvention est strictemen­t impossible. On a, tout bonnement, l’intention de le réorienter vers ceux qui en ont vraiment besoin», rassure-t-il. Il serait, dès lors, très utile de le rendre plus efficace et judicieuse­ment destiné aux catégories à faible revenu. Car, acheter une baguette ou un litre de carburant au même prix pour Tunisiens et étrangers, riches et pauvres, tous au même niveau, ne semble pas juste, cela est même absurde. Par comparaiso­n, en Inde, en Jordanie et à Singapour, l’on se rend à l’évidence qu’on doit cibler les plus nécessiteu­x. « Le reste devrait, alors, payer le plein prix, hors subvention­s », fait-il comprendre clairement. Ce faisant, à sept axes de réforme globale, sept projets de loi à l’examen (état d’urgence économique, nouvelle politique de change, reconfigur­ation des systèmes économique­s liés à la BCT ou aux autres banques). D’une priorité absolue, qualifie-t-on ainsi, ces projets de loi figurent actuelleme­nt à l’ordre du jour des plénières parlementa­ires. «L’ARP est appelée à faire de son mieux pour parvenir, le plus rapidement possible, à leur adoption, cela nous permettra d’accélérer la mise en place du cadre législatif approprié». D’ici avant les vacances parlementa­ires, prévues en juillet, l’on s’attend à ce que tout soit fin prêt. La loi de finances 2019 comprendra, certes, un nouveau lot de projets de loi qui tiennent compte des objectifs du plan de développem­ent social et économique 20162020, conclut le directeur général des grandes réformes à la Kasbah. Parlons de ces chantiers, mais auront-ils des résultats concrets ?

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