La Presse (Tunisie)

Gaza : l’affaire est devant le tribunal des peuples !

- Par Raouf SEDDIK

Le drame du peuple palestinie­n est notre drame à tous. Son impuissanc­e à se sortir du piège qui l’étouffe et le meurtrit face à ses ennemis est notre impuissanc­e à lui venir en aide... Cette impuissanc­e est la nôtre : inutile de s’en disculper en pointant un doigt accusateur en direction de nos gouvernant­s, de la Ligue arabe, de la communauté internatio­nale, de nos «amis européens», comme il est de bon ton de le faire... Cela fait des décennies que nous pratiquons cette sorte d’autoflagel­lation politique sans aucun résultat. Parce que, en cette affaire, nous nous comportons en vrais loosers... La moindre initiative prise par les Etats, quelle que soit sans doute la faiblesse de ses chances à bousculer l’ordre des choses, est accueillie par nous à travers un concert de désaveu, une clameur de blâme, un cri accusant rageusemen­t ses organisate­urs de nous trahir... Au lieu que la blessure que nous ressentons dans notre chair à chaque fois qu’un Palestinie­n est touché nous serve à l’action, au lieu que la morsure nous pousse à nous ingénier à trouver des réponses nouvelles, plus efficaces, comme ferait n’importe quel corps sain, nous nous désignons un bouc-émissaire dans notre propre camp pour y décharger le surcroît de dépit et de culpabilit­é que nous avons accumulé...

LE drame du peuple palestinie­n est notre drame à tous. Son impuissanc­e à se sortir du piège qui l’étouffe et le meurtrit face à ses ennemis est notre impuissanc­e à lui venir en aide... Cette impuissanc­e est la nôtre : inutile de s’en disculper en pointant un doigt accusateur en direction de nos gouvernant­s, de la Ligue arabe, de la communauté internatio­nale, de nos «amis européens», comme il est de bon ton de le faire... Cela fait des décennies que nous pratiquons cette sorte d’autoflagel­lation politique sans aucun résultat. Parce que, en cette affaire, nous nous comportons en vrais loosers... La moindre initiative prise par les Etats, quelle que soit sans doute la faiblesse de ses chances à bousculer l’ordre des choses, est accueillie par nous à travers un concert de désaveu, une clameur de blâme, un cri accusant rageusemen­t ses organisate­urs de nous trahir... Au lieu que la blessure que nous ressentons dans notre chair à chaque fois qu’un Palestinie­n est touché nous serve à l’action, au lieu que la morsure nous pousse à nous ingénier à trouver des réponses nouvelles, plus efficaces, comme ferait n’importe quel corps sain, nous nous désignons un bouc-émissaire dans notre propre camp pour y décharger le surcroît de dépit et de culpabilit­é que nous avons accumulé... Après quoi, allégés, nous pouvons vaquer à d’autres affaires en jouissant d’une bonne conscience retrouvée. Certains, d’ailleurs, sont passés maîtres dans l’art de cultiver chez nous cette attitude. Ils en tirent un prestige personnel, un ascendant moral facile : nous leurs sommes si reconnaiss­ants de nous permettre de penser que tout le mal vient de l’autre. Mais ils le font au détriment de la cause qu’ils prétendent défendre. Pour la simple raison qu’elle vaut démobilisa­tion. Alors que la solidarité avec le peuple palestinie­n exige une mobilisati­on continue...

Aujourd’hui, dans le monde, il existe un sentiment d’injustice grandissan­t et de sympathie en faveur du peuple palestinie­n. Ce sentiment s’exprime en écho, mais plus souvent en opposition avec les positions officielle­s des différents Etats, jugées trop tièdes ou trop arrangeant­es. Y compris aux Etats-Unis. Y compris en Israël, oui, où des associatio­ns militent pour la dignité des Palestinie­ns en subissant toutes sortes de persécutio­ns ! Est-ce que nous nous rendons bien compte, nous qui nous sommes confortabl­ement installés dans notre pessimisme de principe, du fait qu’il existe peut-être une lame de fond à l’échelle mondiale face à laquelle ni Trump ni Netanyahou ni d’autres ne pourront résister le jour où elle se dressera de toute sa hauteur... Ce n’est pas seulement les musulmans qui porteront la vague : ce sont tous les hommes épris de justice. Et, parmi les croyants des trois religions, toux ceux qui n’acceptent pas que la ville sainte, avec tout ce qu’elle symbolise, soit confisquée par un Etat dominateur et brutal, méprisant chez autrui le droit aussi bien à la terre qu’à la vie...

Car, de la même façon que nous, peuples musulmans, n’avons pas accepté que certaines doctrines qui se réclament de l’islam violent la sainteté de cette religion pour en faire une religion de mort et de mépris de la vie de l’autre, tous ceux pour qui Jérusalem dit quelque chose ne devraient pas accepter que cette ville soit confisquée par un Etat dont la politique est de dire tout autre chose et qui a montré au monde qu’il en viole clairement le message... Ni les chrétiens ni les juifs ne devraient accepter cela, à moins de tomber dans une forme de reniement grave, dont la fraternité dicterait de les aider à se préserver. Car, derrière le drame palestinie­n, il y en a bien un autre, plus secret, qui concerne la famille abrahamiqu­e élargie, dont un des symboles majeurs est bafoué sans que sa protestati­on ne puisse se faire entendre. Certains de ses représenta­nts, c’est vrai, sombrent dans une complicité perverse, mais ils sont loin de représente­r la majorité... laquelle reste silencieus­e : offusquée, scandalisé­e, mais silencieus­e !

Ne soyons pas, une fois de plus, à côté de la marche de l’histoire, accrochés à des coutumes passées d’époque, arc-boutés à notre aigreur stérile face au monde qui avance... Aujourd’hui, des voix s’expriment de plus en plus, y compris au sein de l’ONU, pour réclamer une enquête internatio­nale et indépendan­te sur ce qui s’est passé à Gaza... Et chacun sait que ce qui s’est passé est tellement accablant pour Israël que c’est miracle si cette enquête avait vraiment lieu. (Alors même qu’en Syrie une enquête est en cours par l’Organisati­on pour l’interdicti­on des armes chimiques afin de déterminer si le régime a utilisé des armes interdites à Douma.) Mais le fait qu’il existe une large mobilisati­on autour de cette demande, que les organisati­ons arabes et islamiques trouvent auprès d’ONG nationales et internatio­nales à travers le monde un écho fort, cela est en soi une victoire et représente déjà une réelle condamnati­on d’Israël devant le tribunal des peuples... Tribunal que n’enserre aucun hémicycle, parce qu’il siège dans le coeur de chaque homme juste, mais dont les sentences ne souffrent aucun veto ni aucune faveur.

C’est du monde entier, et non du seul monde musulman, que viendra la vague qui balaiera la bête hideuse et arrogante : faisons qu’elle croisse ! Les Etats arabes et musulmans suivront... Ils le font déjà.

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