Libye : pas de désengagement avant terme
LES principaux protagonistes de la crise libyenne viennent de s’entendre à Paris sur le principe d’élections, à la fois présidentielle et législatives, pour le 10 décembre prochain. Ils l’ont fait sous l’égide de l’ONU et devant les représentants d’une vingtaine de pays et d’organisations internationales. Ils ont également admis de façon explicite et sans ambiguïté que toute partie qui s’aviserait d’entraver le processus s’exposerait à des sanctions. Cela constitue sans conteste une base solide en vue d’une sortie de crise et, au-delà, de la mise en place d’un régime démocratique qui permettrait, non pas de faire taire les voix qui ont alimenté la discorde depuis toutes ces années, mais de leur offrir un cadre grâce auquel elles pourraient être écoutées sans se sentir obligées de recourir à la violence... Bref, un cadre où elles pourraient s’exprimer de façon civilisée !
Au vu de la situation chaotique qui a été longtemps celle de la Libye, on ne peut nier que nous assistons à un progrès de taille, et Ghassan Salamé, le représentant spécial de l’ONU, n’a pas tort de parler de «réunion historique»... Mais il conviendrait peut-être de modérer les élans de l’optimisme... Il demeure quelques obstacles sur le chemin qui ne sont pas à négliger. Premièrement, il y a toujours des milices qui font régner leur ordre partout où elles exercent un contrôle. Nous en recevons régulièrement un écho quand nous parviennent des témoignages d’immigrés échappés de camps où ils sont détenus, maltraités et rançonnés. C’est un trafic qui s’est développé autour du phénomène de l’immigration clandestine mais ce n’est pas le seul. Les milices soutiennent aussi une activité de contrebande dont nous faisons les frais en Tunisie et, d’une façon générale, elles sont prêtes à favoriser toute activité illicite, voire criminelle, qui est de nature à assurer leur pérennité.
Lié au problème des milices, il y a celui de l’unité de l’armée. Le maréchal Khelifa Haftar, qui a hérité de l’armée de Kadhafi et qui a assuré pour elle une continuité à travers la lutte contre les groupes jihadistes, mais aussi contre les milices, contrôle l’est du pays mais pas l’ouest. Comment imaginer des élections sur une partie du territoire où l’armée nationale ne serait pas présente pour veiller aux conditions sécuritaires de l’opération ? L’unification de l’armée et son extension sur l’ensemble du territoire libyen doit impérativement se réaliser avant le scrutin, et avant même la campagne électorale.
Autre obstacle à signaler : selon le plan arrêté, les Libyens devraient voter sans avoir mis en place une nouvelle Constitution. Il s’agit par conséquent de trouver une «base constitutionnelle» provisoire, définissant le mode de scrutin, les pouvoirs du président et du gouvernement, etc. Tout cela va nécessairement constituer un exercice de compromis assez délicat...
Ce qui signifie en résumé que la diplomatie tunisienne serait mal avisée de se détourner maintenant du dossier libyen, malgré l’amélioration incontestable de la situation sur le terrain et les engagements pris récemment à Paris par les principaux acteurs de la crise. La politique de construction patiente du consensus, en laquelle la Tunisie se présente désormais comme une référence, a encore quelques beaux jours devant elle pour faire ses preuves en amenant les Libyens à surmonter ces divers obstacles... L’engagement de la Tunisie, avec l’Egypte et l’Algérie, en vue de pousser à des accords interlibyens à l’abri de toute influence ou immixtion étrangère est une démarche qui paie, mais justement : il ne s’agit pas de se démobiliser avant terme.