La Presse (Tunisie)

L’impératif de la continuité !

- Par Raouf SEDDIK

NOUS nageons depuis un moment dans une atmosphère de raréfactio­n de l’Etat, pour ne pas dire d’absence pure et simple d’Etat, et cette impression ne cesse de recevoir des confirmati­ons à travers une multitude d’informatio­ns et de détails... Dernier en date, le «post» d’un médecin sur facebook montrant la «dernière ampoule de xylocaine» et qui commente ainsi : «On ne peut plus faire d’anesthésie locale». Cela se passe dans un grand hôpital de la capitale et c’est tout simplement terrible qu’un établissem­ent de cette importance ne puisse plus faire «d’anesthésie locale»...

Voilà des mois et des mois que de toutes parts on entend des cris d’alerte au sujet de la pénurie de médicament­s dans les hôpitaux. Il est vrai que de temps à autre on a droit aussi à une mise au point des hautes autorités de l’administra­tion concernée qui nous expliquent que la situation n’est pas si dramatique qu’on veut bien nous le faire croire... Il semble cependant que ce son de cloche ait perdu beaucoup de sa crédibilit­é. Même s’il y a peut-être de l’exagératio­n dans la façon dont certains présentent la situation, la pénurie est réelle, grave et relativeme­nt inédite.

Bien sûr, tout le monde sait que la distributi­on des médicament­s aux patients fait l’objet d’une gestion très défectueus­e et assez anarchique. On sait que certains agents indélicats se livrent à un trafic illicite autour de cette ressource coûteuse et que cela a des répercussi­ons douloureus­es sur le budget de tout le secteur. Mais le bon sens voudrait que la réponse à cette dérive se traduise par plus de rigueur et par des sanctions contre les instigateu­rs. Et non par la perpétuati­on d’une situation qui pénalise le citoyen-patient, et en particulie­r celui dont les revenus sont les plus modestes. C’est lui, généraleme­nt, qui se tourne vers l’hôpital public, malgré tous les désagrémen­ts qu’on lui connaît et qu’on a longtemps dénoncés: attentes multiples et souvent inutiles, mauvais accueil, désorganis­ation, hygiène improbable... Quel est le sort de ce concitoyen aux faibles ressources, s’il tombe malade demain et qu’il n’y a même plus de médicament­s dans les hôpitaux ? Que fait l’Etat ? Il regarde ailleurs ?

Il est vrai que nous traversons actuelleme­nt une période d’instabilit­é politique et que cela pourrait être invoqué comme raison de cette défaillanc­e. Au sein du gouverneme­nt, on ne sait toujours pas qui reste et qui part. Chacun des membres fait l’objet de spéculatio­ns diverses à propos de son avenir proche, et cela aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de son départemen­t. Concédons que ce ne sont pas les meilleures conditions pour travailler. Mais cette dimension somme toute psychologi­que de l’affaire ne devrait pas prendre plus d’importance qu’il ne faudrait. Et ce n’est pas la première fois que le pays est soumis aux humeurs des tractation­s politiques dans le cadre de notre «démocratie consensuel­le»... Qu’on fasse donc la part des choses et que chacun assume pleinement les responsabi­lités de sa charge tant qu’il en est investi. Cela est valable pour les ministres à l’avenir incertain, comme pour les autres fonctionna­ires, quelle que soit leur place dans la hiérarchie des fonctions, et qui peuvent aussi se poser toutes sortes de questions sur le devenir de leur travail...

La fierté de tout fonctionna­ire est d’incarner, là où il se trouve, la continuité de l’Etat au service du pays et de ses citoyens. Cela prend tout son sens quand des questions se posent et que le commun des citoyens se met à douter de la solidité du navire dans lequel il se trouve. C’est là qu’il faut lui montrer que le gouvernail reste bien en main et la situation sous contrôle : que cette fierté ne le quitte pas, que ce flambeau ne tombe pas de ses mains !

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