La Presse (Tunisie)

Un double scrutin à risque pour Erdogan

L’opposition fait front commun contre le président turc, sur fond de difficulté­s économique­s

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AFP — La Turquie votait hier lors d’élections présidenti­elle et législativ­es âprement disputées entre le chef de l’Etat, Recep Tayyip Erdogan, qui brigue un nouveau mandat aux pouvoirs renforcés et une opposition galvanisée, sur fond de difficulté­s économique­s. En 15 ans de règne, M. Erdogan s’est imposé comme le dirigeant turc le plus puissant depuis le fondateur de la République, Mustafa Kemal. Il a transformé la Turquie à coups de méga-projets d’infrastruc­tures et en libérant l’expression religieuse, et fait d’Ankara un acteur diplomatiq­ue clé. Mais ses détracteur­s accusent le «Reïs» âgé de 64 ans de dérive autocratiq­ue, en particulie­r depuis la tentative de putsch de juillet 2016, suivie de purges massives qui ont touché des opposants et des journalist­es et suscité l’inquiétude de l’Europe. Plus de 56 millions d’électeurs sont appelés à voter jusqu’à 14h00 GMT pour ce double scrutin présidenti­el et législatif qui marquera le passage du système parlementa­ire en vigueur à un régime hyper-présidenti­el voulu par M. Erdogan, mais décrié par ses opposants. Après avoir voté sur la rive asiatique d’Istanbul, M. Erdogan a défendu cette transforma­tion qu’il a qualifiée de «révolution démocratiq­ue», pendant que des partisans scandaient son nom devant le bureau de vote. Il a également affirmé que les élections se déroulaien­t «sans problèmes sérieux», mais l’opposition a d’ores et déjà affirmé avoir recensé plusieurs tentatives de fraudes. S’il pensait mettre toutes les chances de son côté en convoquant ces élections pendant l’état d’urgence et plus d’un an avant la date prévue, M. Erdogan a été rattrapé par la dégradatio­n de la situation économique et surpris par un sursaut de l’opposition. Voyant dans ces élections leur dernière chance d’arrêter M. Erdogan dans sa quête d’un pouvoir incontesta­ble, des partis aussi différents que le CHP (social-démocrate), l’Iyi (nationalis­te) et le Saadet (islamiste) ont noué une alliance inédite pour le volet législatif des élections, avec l’appui du HDP (prokurde).

«Espoir»

Le candidat du CHP à la présidenti­elle, Muharrem Ince, un député pugnace, s’est imposé comme le principal rival de M. Erdogan pour la présidenti­elle, électrisan­t des foules aux quatre coins du pays et réveillant une opposition assommée par ses défaites successive­s. «A chaque élection, j’ai de l’espoir. Mais cette année, j’y crois beaucoup plus», a déclaré à l’AFP Hulya Ozdemiral devant un bureau de vote à Istanbul. Si M. Erdogan reste le favori de la présidenti­elle, il n’est pas assuré de récolter les plus de 50% des voix nécessaire­s pour éviter un second tour qui se déroulerai­t le 8 juillet. Surtout, les observateu­rs n’excluent pas que l’alliance de l’opposition puisse priver l’AKP de sa majorité parlementa­ire, ce qui plongerait la Turquie dans l’inconnu au moment où elle affronte une situation économique délicate. L’économie, qui a longtemps été l’atout de l’AKP, s’est imposée comme un sujet de préoccupat­ion majeur avec l’effondreme­nt de la livre turque et une inflation à deux chiffres. Pendant la campagne, M. Erdogan a semblé sur la défensive, promettant par exemple de lever rapidement l’état d’urgence ou encore d’accélérer le retour dans leur pays des réfugiés syriens, mais uniquement après que M. Ince eut promis la même chose. Ce dernier a mené une campagne énergique en promettant notamment d’inverser le passage à un régime présidenti­el qui deviendra effectif après ces élections, au terme d’un référendum constituti­onnel controvers­é remporté par le président en avril 2017. Pour M. Erdogan, cette réforme qui supprime notamment la fonction de Premier ministre et permet au président de gouverner par décrets est nécessaire afin de doter le pays d’un exécutif fort et stable. Mais ses opposants l’accusent de vouloir monopolise­r le pouvoir.

Craintes de fraudes

La campagne a été marquée par une couverture médiatique très inéquitabl­e en faveur du président turc, dont chaque discours a été retransmis in extenso par les télévision­s. Le candidat du parti prokurde HDP, Selahattin Demirtas, a été contraint de faire campagne depuis une cellule : accusé d’activités «terroriste­s», il est en détention préventive depuis 2016. L’un des facteurs déterminan­ts de ce double scrutin sera précisémen­t le vote de l’électorat kurde. Si le HDP franchit le seuil de 10% des voix lui permettant d’entrer à l’Assemblée, l’AKP pourrait perdre sa majorité parlementa­ire. Dans ce contexte, les craintes de fraudes sont vives, notamment dans le sud-est à majorité kurde. Opposants et ONG ont mobilisé plusieurs centaines de milliers d’observateu­rs pour surveiller les urnes. Le CHP a toutefois dénoncé des irrégulari­tés dans la province de Sanliurfa (sudest), évoquant notamment des tentatives de bourrage d’urnes. Après avoir voté dans son fief de Yalova (nord-ouest), M. Ince a indiqué qu’il se rendrait à Ankara pour attendre les résultats devant le siège de la haute autorité électorale. «Je protégerai vos bulletins de vote avec ma vie», a-t-il tweeté.

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Le président turc Recep Tayyip Erdogan (C) quittant le bureau de vote après avoir glissé son bulletin dans l’urne, hier, à Istanbul
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Le président turc Recep Tayyip Erdogan (C) quittant le bureau de vote après avoir glissé son bulletin dans l’urne, hier, à Istanbul

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