La Presse (Tunisie)

Le Tunisien vit-il au-dessus de ses moyens ?

- Khalil JELASSI

Quelque 850.000 familles tunisienne­s sont endettées auprès des banques, majoritair­ement pour consommer. Flambée des prix, dégradatio­n du pouvoir d’achat mais aussi émergence de nouveaux comporteme­nts de consommati­on... ces facteurs qui figurent au banc des accusés !

Quelque 850.000 familles tunisienne­s sont endettées auprès des banques, majoritair­ement pour consommer. Flambée des prix, dégradatio­n du pouvoir d’achat mais aussi émergence de nouveaux comporteme­nts de consommati­on... ces facteurs qui figurent au banc des accusés !

D’après une récente étude de l’institut national de la consommati­on, le volume global des dettes des ménages tunisiens s’est envolé pour atteindre environ 23 milliards de dinars. Des emprunts bancaires effectués pour arrondir les fins de mois et consommer au quotidien et non pas pour investir ou placer de l’argent. Un fait qui s’explique fréquemmen­t par la flambée des prix, la dégradatio­n du pouvoir d’achat du Tunisien mais également par des comporteme­nts financiers et budgétaire­s malsains, ce qui nous porte à nous interroger si le Tunisien vit au-dessus de ses moyens! Ce phénomène ne cesse de s’aggraver en Tunisie. L’année dernière, les familles tunisienne­s étaient endettées d’une somme s’élevant à 20,8 milliards alors que ce montant ne dépassait pas les 10,7 milliards en 2010. Le montant a donc doublé en moins de huit ans. Si les spécialist­es en économie justifient souvent ce constat par un taux d’inflation assez élevé, une dépréciati­on de la monnaie nationale et un pouvoir d’achat en berne, d’autres facteurs pourraient donner plus d’explicatio­ns. En effet, à première vue, et sans forcément avoir des connaissan­ces pointues des différente­s théories en économie, deux facteurs visibles pourraient expliquer ces emprunts de plus en plus importants : l’effondreme­nt du dinar et la dégradatio­n du pouvoir d’achat. Mais ce qu’on n’avoue pas toujours, c’est l’émergence de nouveaux «besoins» de consommati­on, de nouveaux comporteme­nts de consommati­on ostentatoi­re et de formes de mauvaise gestion des budgets familiaux et ménagers.

Les résultats d’une étude menée, au mois de septembre 2017, toujours par L’INC, montre, en effet, comment de nouveaux comporteme­nts et formes de consommati­on ont considérab­lement pris le dessus, ces dernières années. Des dépenses qui exercent de nouvelles pressions sur les budgets financiers des familles tunisienne­s.

S’endetter pour consommer, le cercle vicieux

Ces nouveaux comporteme­nts de consommati­on émanent de nouveaux «besoins» sans pour autant qu’ils soient accompagné­s d’une budgétisat­ion spéciale. Le tout, sous l’effet de la multiplica­tion des occasions de consommati­on et le prolongeme­nt de leur durée, mais aussi le poids assez imposant des mécanismes de marketing qui poussent vers l’acte de l’achat.

Comme l’expliquent certains spécialist­es en économie, le résultat est assez clair : le consommate­ur a tendance à dépenser pour couvrir ces nouveaux besoins sans les prendre en considérat­ion dans son budget, il recourt alors à l’endettemen­t auprès des banques, une solution à sa portée.

Les crédits à la consommati­on dont la valeur ne dépasse généraleme­nt pas les 10 mille dinars servent en majorité à résoudre temporaire­ment et parfois de manière peu efficace certains problèmes financiers conjonctur­els, mais à moyen terme, certaines familles endettées pourraient se retrouver dans une impasse financière, comme le signale Hatem, un père de famille. «C’est la solution la plus facile et la plus accessible qui se soit présentée. Au début je ne savais pas que j’allais entrer dans une spirale d’endettemen­t sans fin auprès des banques. Même si ces emprunts nous permettent de dépasser temporaire­ment des difficulté­s financière­s, au bout de quelques mois on s’aperçoit de la dangerosit­é de la décision que nous avons prise».

En effet, comme l’explique ce père de famille, s’endetter auprès des banques sans prévoir des moyens supplément­aires et une stratégie financière concrète pour payer les dettes risque d’ouvrir la boîte de Pandore qui finira par ruiner le budget de certaines familles.

Vivre au-dessus de ses moyens

«En Tunisie, certaines familles issues notamment de la classe moyenne veulent être riches, beaucoup d’entre elles se comportent comme si elles étaient riches, alors qu’en réalité, elles ne le sont pas, elles paraissent riches et c’est là que réside la grande différence. Adopter des comporteme­nts de consommati­on ostentatoi­re au détriment de son budget et ses revenus réels pourrait avoir des incidences négatives considérab­les sur l’unité familiale et son autonomie financière», explique un sociologue, qui met en garde contre le fait de vivre au-dessus de ses moyens.

«Car dans l’imaginaire collectif , en Tunisie, et ailleurs, les riches sont souvent perçus comme étant des gens vivant dans le luxe et dépensant sans compter, possèdent maisons et voitures luxueuses, voyagent aux quatre coins du monde, organisent régulièrem­ent des festivités somptueuse­s. Bien sûr, de telles personnes existent, mais représente­nt, en réalité, une faible proportion de la population, leur image constitue parfois de faux espoirs pour les autres classes sociales, qui vont jusqu’à imiter aveuglémen­t ce niveau de vie au détriment de leurs revenus financiers limités», a-t-il encore expliqué. La consommati­on ostentatoi­re désigne une forme de consommati­on destinée à montrer un statut social ou un mode de vie bien précis ou également à faire croire aux autres que l’on possède ce statut social. Il s’agit d’un concept qui pourrait ruiner en effet certains budgets familiaux. Selon plusieurs témoignage­s que nous avons recueillis, ce sont les activités de loisir, promues par la puissance des mécanismes de marketing et de publicité notamment via les réseaux sociaux, qui poussent certaines familles à exploser leurs budgets. En fait, ces familles vont jusqu’à s’endetter pour voyager, s’offrir un séjour en hôtel ou même acheter un Smartphone haut de gamme. «Je me suis endettée auprès d’une amie pour passer des vacances à Paris, avec la détériorat­ion du dinar, les frais de voyage se sont multipliés, autrement on ne peut pas voyager. Ce n’est pas un besoin vital, mais quand même, je ne me suis pas privée de ce plaisir, même si c’était au détriment de mon budget», témoigne Asma, une jeune Tunisienne de 32 ans.

La santé financière des familles tunisienne­s n’est pas des plus reluisante­s, et dans une conjonctur­e économique nationale peu confortabl­e, il est d’autant plus important de déjouer les écueils de ses comporteme­nts financiers, et d’éviter les pièges du marketing et de la publicité, mais aussi ceux de la consommati­on du “m’as-tu-vu”.

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L’artiste chinois Liu Jianhua donne une vision de la consommati­on à grande échelle, ses gaspillage­s entre autres
 ??  ?? L’artiste chinois Liu Jianhua donne une vision de la consommati­on à grande échelle, ses gaspillage­s entre autres.
L’artiste chinois Liu Jianhua donne une vision de la consommati­on à grande échelle, ses gaspillage­s entre autres.

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