Chassez le naturel, il revient au galop !
Si la révolution médiatique, commencée il y a sept ans dans l’euphorie et la motivation, a fini dans la crise et la déception, c’est que la profession n’a pas saisi, à juste titre, la liberté d’expression. Et encore moins, le vrai rôle qu’attend d’elle l’opinion. Aujourd’hui, public témoin et observateurs du secteur sont unanimes sur le fait que nos médias ne sont pas sur la bonne voie. D’autant que leur légitimité d’exercice et de parution continue à être remise en question. Publique ou privée, écrite, audiovisuelle et même électronique, la presse tunisienne avait manqué son coup. Quitte à revenir sur ses pas. On n’est pas sorti de l’auberge. Pourquoi ? Cette question ouverte, on tente, à chaque fois, de lui apporter plus qu’une réponse. Une solution radicale ne semble guère une sinécure.
Faut-il tout mobiliser pour galvaniser les énergies et remettre de l’ordre dans la maison? Aussi, les lois adoptées, à l’arraché, ont-elles fait leur effet ? Jusque-là, le métier cherche désespérément une issue favorable. Journalistes, structures professionnelles et certains sympathisants n’ont pas manqué de plaider en sa faveur, mais leur combat n’a jamais eu gain de cause. « Médias et transparence dans la vie publique » est l’un des sujets d’actualité qui a fait, dernièrement, l’objet d’un séminaire conjointement organisé par le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) et l’instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc). Cette transparence étant, certes, synonyme de crédibilité et de confiance. Inséparables critères d’évaluation pour jauger, ainsi, la véracité d’informations et s’assurer de la fidélisation du public cible. Il est si important qu’on n’a pas cessé d’invoquer l’institution d’une journée nationale de transparence. Et si cette année 2018-2019 était décrétée ainsi, surtout qu’elle verra se tenir les législatives et la présidentielle, souligne maître Chawki Tabib, président de l’inlucc. Et d’ajouter que malgré le succès des échéances passées, leur parcours a toujours été truffé de dépassements et de difficultés : partis accusés de corruption, sources de financement inconnues, diatribes politiques et fonds publics détournés.
Crise de transparence
Entre-temps, l’argent sale coulait à flots, traînant certains médias dans la boue. C’est que les convoitises partisanes en ont fait des complices inavoués. Au point de les voir, sans scrupule, contourner les vérités et induire l’opinion publique en erreur. Bilan peu reluisant, plus confiance dans les médias, ainsi juge une grande majorité des Tunisiens. Faisant son mea culpa, la profession devrait se rattraper pour redevenir un rempart contre tout risque de dérapages. Le droit d’accès à l’information, déjà un acquis en soi, lui permettra d’accomplir, dûment, sa noble mission. Et M. Tabib de souligner que le journalisme d’investigation constitue aussi une arme anticorruption. Sur ce plan, « l’inlucc et le Snjt prévoient d’organiser un cycle de formation à l’intention des médias », annonce-t-il, en conclusion. De l’avis de M. Neji Bghouri, président du Snjt, la liberté d’expression réside dans l’exercice médiatique indépendant et transparent. Mais, à chaque fois, dit-il, on revient à la case départ. « Il n’y a aucune intention manifeste visant à purifier le secteur des résidus du passé », s’indigne-t-il, s’adressant au gouvernement. Ces médias nous interpellent. On ne sait plus comment sont-ils gérés et quelle ligne éditoriale y adopter ? Comment sont-ils financés ? Sinon, assène-t-il, pourquoi créet-on toutes ces lois et instances de régulation ? La Haica, censée régir l’audiovisuel, a-t-elle un pouvoir de décision ? On en doute fort. Au-delà de ses prérogatives si limitées de monitoring, elle s’est trouvée, souvent, incapable d’appliquer la loi. Ce qui s’est passé, dernièrement, avec « Nessma TV », contre laquelle fut prise une décision de suspension des procédures de règlement de sa situation le prouve noir sur blanc. A ce sujet, la Haica s’est, plutôt, contentée de la qualifier de « chaîne illégale et propagandiste ». Dans son allocution, son président, M. Nouri Lajmi, s’est interrogé, comme un citoyen lambda, sur les sources de financement de nos médias. Il a mis en garde contre les fausses informations ou ce qu’il appelle l’« infotox ». L’opacité dans la gestion des médias est telle qu’on n’arrive pas à distinguer le vrai du faux. Et là, la non-transparence favorise la corruption. M. Imed Hazgui, président de l’instance nationale d’accès à l’information (Inai), insiste sur l’apport du journalisme d’investigation dans la lutte contre la corruption. S’y ajoutent, fait-il valoir, autant d’instruments juridiques qui sont de nature à décréter la transparence. La nouvelle loi sur la déclaration de patrimoine et des intérêts, désormais en vigueur, en est un. Tout comme plusieurs médias, certains partis politiques se refusent de présenter leurs états financiers. «Sur plus de 200 partis, seulement 10 en ont fait volontiers », indique-t-il.
L’argent du beurre !
Sans contrôle ni transparence, la presse écrite continue, elle, à exercer dans l’anarchie. M. Mohamed Laâroussi Ben Salah, directeur exécutif de l’association des directeurs de journaux, a mis à nu la réalité du secteur. Face à la crise, des entreprises ont disparu, d’autres ont réduit leur espace rédactionnel au profit des offres publicitaires. « Sans financements, elles ne peuvent plus résister», avoue-t-il. La répartition de la publicité publique fait, aujourd’hui, défaut. « Certains établissements de l’etat n’hésitent pas à résilier leurs contrats d’achat des journaux à la moindre tentative de critiques à leur encontre. Ce qui nuit, bien entendu, à l’objectivité des médias », dénonce-t-il. Alors qu’il y a une part budgétaire allouée à chaque entreprise publique, au titre d’achats de journaux et publications. Ce montant totalisant plus de 3 millions de dinars semble ne pas être dépensé là où il faut. Détournement de fonds ? De même pour les fonds publics (20 millions de dinars) annuellement consacrés à la publicité dans la presse écrite. Le beurre et l’argent du beurre ! C’est pourquoi, dit-il, un projet de loi portant création d’une agence de gestion de la publicité publique est actuellement en instance à L’ARP. Du reste, la transparence dans les médias dépend, en partie, de leur état de financement.