La Presse (Tunisie)

Alimentati­on mondiale : vers une énorme pénurie de fruits et légumes ?

Manger cinq fruits et légumes par jour, d’accord. Encore faut-il le pouvoir. Car d’après une nouvelle étude de l’université de Guelph au Canada, les mauvaises habitudes des consommate­urs ne sont pas les seules en cause.

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L’agricultur­e mondiale produit aujourd’hui l’équivalent de 2.750 calories par personne et par jour, largement de quoi nourrir tous les habitants de la planète. Même en prenant en compte 20 % de nourriture gaspillée au cours de la chaîne d’approvisio­nnement, on arrive à 2.200 calories, ce qui reste en théorie amplement suffisant. Le problème, c’est que cette production est complèteme­nt déséquilib­rée par rapport aux besoins alimentair­es. L’agricultur­e produit ainsi l’équivalent de douze parts quotidienn­es de céréales, cinq de fruits et légumes, quatre de sucre, trois d’huiles végétales et graisses, trois de protéines et une de produits laitiers. Les besoins alimentair­es recommandé­s par le référentie­l de l’université de Harvard sont eux de huit parts de céréales, quinze de fruits et légumes, zéro de sucre, une d’huiles végétales et graisses, cinq de protéines et une de produits laitiers.

Alors que les fruits et légumes devraient représente­r respective­ment 40 % et 60 % de l’alimentati­on, ils ne représente­nt que 8,6 % des terres agricoles ! Et encore, lorsque l’on parle de légumes, il s’agit à 40 % de tubercules, comme la pomme de terre ou le manioc. Autrement dit, encore des féculents qui viennent s’ajouter nutritionn­ellement parlant aux féculents déjà en surplus.

Les céréales et l’élevage massivemen­t subvention­nés

Pourquoi un tel décalage ? «Les aliments riches en carbohydra­tes, comme les céréales, sont relativeme­nt faciles à cultiver et nutritifs, ils ont donc été massivemen­t encouragés pour atteindre l’indépendan­ce alimentair­e», explique Krishna Bahadur KC, l’auteur principal de l’étude. En France, un éleveur bovin touche en moyenne 46.105 euros par an et un exploitant de grandes cultures (blé, maïs...) 34.872 euros de subvention­s, soit respective­ment 39 % et 15 % de leur exercice, selon les statistiqu­es 2016 du ministère de l’agricultur­e. Un maraîcher touche, lui, à peine 9.559 euros, soit 4 % de son exercice. De plus, les céréales concentren­t la plus grosse partie des recherches scientifiq­ues et agronomiqu­es au détriment des fruits et légumes, délaissés par les chercheurs.

Le boeuf contre la carotte

Ce désolant constat est non seulement nuisible à notre santé, mais aussi à la planète, révèle également l’étude. Si la production agricole coïncidait exactement avec les recommanda­tions nutritionn­elles, on économiser­ait ainsi 51 millions d’hectares de terres cultivable­s, car les fruits et légumes nécessiten­t moins d’espace. Néanmoins, il faudrait tout de même accroître la surface de terres consacrées au pâturage de 13 % pour augmenter le niveau de protéines animales.

Ces recherches rejoignent les conclusion­s de précédente­s études montrant comment un régime trop riche en protéines affecte la planète. Mais convertir le monde entier aux poireaux et aux bananes n’est pas la solution, insistent les chercheurs. «L’élevage de bétail assure la survie de 987 millions de personnes dans le monde et des terres utilisées par le pâturage ne sont pas susceptibl­es de servir à une production agricole», insistent les chercheurs. Une autre piste consiste à améliorer les rendements grâce à la technologi­e, par exemple en développan­t les fermes verticales urbaines ou la culture hydroponiq­ue. Pas sûr que cela soit suffisant pour doper les rendements de fruits et légumes de 8,7 % tous les ans, comme cela serait nécessaire pour atteindre les besoins nutritionn­els correspond­ant à une population de 9,8 milliards d’habitants en 2050. En attendant, arrêter de subvention­ner la betterave à sucre et le maïs permettrai­t peut-être de régler une partie de l’équation.

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