Clôture hier des JCC
A défaut de pouvoir remuer la terre, le réalisateur remue les mémoires en ressortant les visages de l'ombre, en leur attribuant des noms et même en les érigeant au statut de monuments immortels.
La 29e édition des Journées cinématographiques de Carthage a clos, hier, ses représentations.
La cérémonie de clôture et d’annonce des Tanits s’est déroulée hier tard dans la soirée. (Nous reviendrons demain sur les détails de la clôture).
La compétition officielle des Journées cinématographiques de Carthage est une véritable fenêtre sur l’afrique et le monde arabe. Les films qu’on y propose, en particulier les documentaires, se battent, chacun à sa façon, contre l’oubli et pour le rétablissement de la mémoire. L’un des films en question qui s’est selon nous distingué dans son approche est «Erased, ascent of the invisible» du Libanais Ghassan Halwani. La colonisation et les conflits intérieurs font partie des histoires communes des pays de la région. Aujourd’hui, pour des raisons objectives et subjectives, des réalisateurs de différentes générations s’emparent de ce passé afin que ses réminiscences se transforment en visions claires, faisant du présent, et peut-être du futur, des sentiers plus lumineux. L’intention est donc louable. Elle est souvent portée par une grande motivation, de grandes recherches et des découvertes parfois inespérées. Sauf que les auteurs ont à faire face au défi de la forme, et c’est selon nous ce qui peut distinguer leurs oeuvres, faire en sorte qu’elles justifient leurs places dans une compétition comme celle des JCC et qu’elles restent dans les esprits bien après, comme l’a été à titre d’exemple «28 nights and a poem» du Libanais Akram Zaatari. L’influence de ce dernier se sent d’ailleurs dans le film de son compatriote Ghassan Halawani. Dans «Erased, ascent of the invisible», le jeune réalisateur se transforme en un archéologue dont les fouilles tentent de retrouver les traces des disparus de la guerre civile libanaise (1975-1990), sous les décombres de la mémoire, où l’on veut bien qu’ils reposent à jamais. Ce n’est pas que ces disparus ont été oubliés, mais c’est la manière dont on évoque leur mémoire qui révolte le réalisateur. Sa réaction se fait dans la sobriété, déterminée et incisive. Une approche quasi scientifique d’un Patricio Guzmán en herbe, qui défie les discours officiels et les décisions politiques à coup de pinceaux, de ciseaux et de recomposition d’archives. Depuis les images d’un travail acharné où il enlève couche sur couche de papiers collés sur les murs de la ville pour arriver à ceux des posters des visages des disparus, à la reconstitution des photos de ces derniers, en animation, au repérage des lieux des fosses communes, Ghassan Halawani passe par un processus de rétablissement de cette mémoire. Ce qui semble le hanter le plus, c’est la mémoire des corps, auxquels on refuse le droit de sortir de là où on les a forcés à disparaître pour reposer au milieu des leurs, dans un endroit connu de tous. L’intégrité de ces corps, leur droit à sortir au grand jour leur est refusé, parce qu’ils sont des preuves matérielles du crime, qui pointent du doigt directement les criminels.
A défaut de pouvoir remuer la terre, le réalisateur remue les mémoires en ressortant les visages de l’ombre, en leur attribuant des noms et même en les érigeant au statut de monuments immortels. Un documentaire marquant, qui manie la douleur et l’émotion avec beaucoup de sagesse et de précaution. Même s’il peut donner l’impression d’être un work in progress, ce film remporte le défi d’une oeuvre qui ne se contente point de l’originalité ou de l’importance du thème, mais qui va au-delà pour proposer un travail d’écriture personnel et intéressant. Sa recherche porte sur la forme comme sur le fond et c’est là l’intérêt d’un documentaire qui échappe aux filets du film historique, pour s’ériger en documentaire de création.