Ce «centrisme» dont tout le monde se réclame
Les partis actuellement extra-parlementaires ne cessent de brandir des projets de centrisme assortis d’une volonté de se regrouper pour mieux peser. Ainsi voit-on se faire et se défaire des alliances et des projets de partis unifiés qui se font à la va-vite puis se dissolvent aussi rapidement
Les partis actuellement extra-parlementaires ne cessent de brandir des projets de centrisme assortis d’une volonté de se regrouper pour mieux peser. Ainsi voit-on se faire et se défaire des alliances et des projets de partis unifiés qui se font à la va-vite puis se dissolvent aussi rapidement
Le centrisme politique est devenu, à l’approche des élections générales de fin 2019, une vertu majeure dont de multiples partis se réclament. Il est vrai que le cataclysme de la révolution a déplacé les frontières et ramené les ambitions rêveuses à la raison.
Et la raison est têtue puisqu’elle invite à une analyse concrète et réaliste des données palpables du pays et des causes qui ont conduit à l’explosion sociale des 17 décembre 2010-14 janvier 2011.
Il est donc utile de procéder à une relecture du positionnement des différents courants politiques tunisiens depuis la révolution, et aux nouvelles évolutions constatées ou prévisibles, en réponse aux contraintes des vicissitudes actuelles du pays ou aux attentes populaires si mal assumées.
L’ancienne distribution
Le 13 janvier 2011, alors que Ben Ali tentait, une dernière fois, de rattraper son centre de gravité en un discours de mea culpa qui n’a pas su convaincre, l’échiquier politique se déclinait en deux couches superposées. La plus visible concernait les partis légaux obligés de composer avec le régime autoritaire, la deuxième, ceux qui étaient soit interdits, soit tolérés. Seul Et-tajdid avait un pied ici, un pied là.
Ce parti, anciennement communiste, a toujours eu, depuis l’indépendance, et pour des raisons historiques, une attitude modérée de soutien critique au pouvoir destourien. C’est une gauche aux références marxistes euro-communistes mais à la pratique social-démocrate avérée sous la houlette de son leader Mohamed Harmel qui venait de quitter volontairement la direction au profit de Ahmed Brahim.
Ennahdha, parti théocratique de droite
A l’époque, Ennahdha était un parti théocratique de droite décimé par la répression mais toléré comme tel dans les tractations de coulisses, à l’image de sa participation au Mouvement du 18 octobre et à à sa grève de la faim.
Sachant que le parti Afek Tounès, libéral moderniste, n’existait pas encore, ce qui accordait aux islamistes l’exclusivité du libéralisme économique et de l’anti-syndicalisme. Mustapha Ben Jaâfar, successeur d’ahmed Mestiri dans la ligne des «destouriens démocrates» du Mouvement des démocrates socialistes (MDS), chapeautait alors un petit parti centriste attrape-tout, le «Forum démocratique pour le travail et les libertés», qui sera plus connu, après la rèvolution sous, son nom arabe simplifié : Ettakatol.
Le porte-parole de tous les exclus
Néjib Chebbi était à la tête d’un parti socialiste dont le projet socioéconomique était mitigé et évolutif. Son journal Al Mawqif était devenu le défenseur et porte-drapeau de tous les exclus, ce qui l’habilita à parler au nom de l’opinion publique dès le 13 janvier. 2011. Hamma Hammami, vieux routier du maoïsme, dirigeait, souvent dans la clandestinité, un parti d’extrême gauche né d’une radicalisation du mouvement «Perspectives» de la fin des années 60.
Les partis légaux ne demanderont pas leur reste, sauf Attajdid. Il s’agit du MDS, du Parti de l’unité populaire, de l’union démocratique unitaire (nationaliste arabe) et du Parti des verts pour le progrès.
L’échiquier post-révolution
Suite à la révolution, les partis qui étaient légaux vont disparaître tout seuls sauf le Rassemblement constitutionnel démocratique qui était au pouvoir, qui sera interdit, et At-tajdid qui se maintiendra puis deviendra El-massar.
Très vite, Ennahdha émergera du lot comme parti structuré prêt à combler le vide laissé par le RCD, et le retour de Rached Ghannouchi battra le rappel de plusieurs milliers de militants islamistes qui lui feront un triomphe à l’aéroport Tuniscarthage.
Très vite, grâce à l’arrivée de Béji Caïd Essebsi au Premier ministère, les élections de l’assemblée constituante vont dégager les rapports de force électoraux et placer deux partis en tête : Ennahdha et le Congrès pour la République (CPR) de Moncef Marzouki, qui n’avait pas de réelle prise au sein de l’opinion avant la révolution. Le parti de Mustapha Ben Jaâfar obtiendra un nombre de sièges qui lui permettra de se placer en arbitre représentant les modernistes réformateurs. Sera également de la partie, le parti de Néjib Chebbi avec quelques sièges. En gros, les modernistes sont lessivés. D’où la nécessité historique d’un rééquilibrage de l’échiquier que conduira BCE suite à son Appel de la Tunisie ou Nida Tounès.
Un échiquier changeant
Les élections de 2014 donneront ainsi un échiquier transformé avec un parti moderniste réformateur qui a battu d’une courte tête Ennahdha mais qui a effacé les partis de Mustapha Ben Jaâfar, de Moncef Marzouki et de Néjib Chebbi, alors que les élus Massar sont réduits à leur plus simple expression. L’échiquier que l’on voit actuellement à l’assemblée est en mouvement car les députés eux-mêmes bougent et reconsidèrent leur choix de départ. Mais aussi parce que les partis représentés à L’ARP bougent. Le cas d’afek Tounès est édifiant. Issu de la volonté de jeunes diplômés d’incarner une voie libérale débarrassée des séquelles du socialisme des années 60, le parti s’est modéré à tel point que certains journalistes le qualifient de socialdémocrate.
L’envol du parti des Abbou
Autre transfiguration spectaculaire, celle du parti de Mohamed Abbou, le «Courant démocratique». Perçu au départ comme un parti islamiste modéré, il se place de jour en jour au centre et s’efforce de faire oublier ses sympathies pro-ennahdha d’antan, grâce aussi au militantisme agressif de Samia Abbou contre tous les abus. Ennahdha, de son côté, fait oublier son passé libéral, alors que le Front populaire apprend à compter et s’éloigne de ses recettes collectivistes. Quant à Nida Tounès et à ses mécontents, désormais distribués sur plusieurs formations, ils n’ont pas le loisir de réfléchir à leur positionnement, pris qu’ils sont par les luttes internes qui n’en finissent pas.
Mille projets de centrisme
Cette situation encourage les partis actuellement extra-parlementaires à brandir des projets de centrisme assortis à une volonté de se regrouper pour mieux peser. Ainsi voit-on se faire et se défaire des alliances et des projets de partis unifiés qui se font à la va-vite puis se dissolvent aussi rapidement. Les protagonistes en sont, dans le désordre, les deux partis des Chabbi, Ettakatol, l’alliance démocratique et ses vestiges, le Parti socialiste de Mohamed Kilani ainsi que divers partis de fraîche date conçus autour d’anciens ministres ou Premier ministre ou encore de tel ou tel ancien dirigeant de parti. Enfin, l’alliance mise en route entre le groupe parlementaire de la Coalition nationale et celui d’al Horra affilié à Machroû Tounès se promet d’agir à rassembler toutes les forces démocratiques centristes pour en faire une machine électorale au service d’un «nouvel équilibre de l’échiquier». Mais Nida Tounès va-t-il se laisser évincer ? Ou vat-il plutôt rattraper la manoeuvre et ressouder les rangs dispersés ? Cela est en grande partie entre les quatre mains des deux têtes de notre exécutif.