La Presse (Tunisie)

Réouvertur­e du musée de l’afrique

Le musée rénové revendique «un regard critique» sur le passé colonial de la Belgique

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AFP — Le grand musée belge consacré à l’afrique a été inauguré hier après une vaste rénovation pour gommer sa réputation de vestige du passé colonial, un événement qui survient en pleine controvers­e sur la restitutio­n de biens culturels africains pillés ou acquis à bas prix.

Lors de l’inaugurati­on, à la veille de la réouvertur­e au public aujourd’hui, le vice-premier ministre belge, Alexander De Croo, a salué «un moment historique».

Cette transforma­tion du musée de Tervuren, dans le sud de Bruxelles, ouvre, a-t-il dit, «un nouveau chapitre» dans la relation belgo-africaine, entachée par une longue période de colonisati­on en Afrique centrale décrite comme «brutale» par les historiens. Outre le Congo (l’actuelle République démocratiq­ue du Congo, RDC), l’empire colonial belge comprenait également en Afrique le Ruanda-urundi, territoire qui deviendra le Rwanda et le Burundi après l’indépendan­ce. A Tervuren, où l’exposition permanente n’avait quasiment pas évolué depuis les années 1950, le musée rénové revendique désormais «un regard critique» sur ce passé, et l’histoire des objets collectés sous Léopold II, qui a régné sur la Belgique de 1865 à 1909 et a longtemps géré le Congo comme sa propriété privée. «On nous appelait souvent le dernier musée colonial au monde, donc on a voulu changer cela», a souligné le directeur général Guido Gryseels.

Résultat: certaines statues jugées caricatura­les ou glorifiant trop les colons belges ont été remisées à l’écart, au sous-sol du musée. Et il est prévu, selon M. Gryseels, d’expliquer pourquoi on ne les met plus à l’honneur.

«Tintin au Congo»

Dans ce lot figure la statue effrayante de l’homme-léopard, popularisé­e par Hergé dans «Tintin au Congo», une image qui a été accusée de ridiculise­r les Africains.

Le musée a conservé ses millions de spécimens zoologique­s, mais élargi ses horizons en ouvrant des salles dédiées aux paysages, aux minéraux ou aux langues et musiques d’afrique.

Un travail de fond salué par la presse belge (Le Soir a vanté «une vision de l’afrique débarrassé­e des démons du suprémacis­me blanc»), mais qui laisse un goût d’inachevé à certains.

Un collectif d’associatio­ns d’afrodescen­dants réclame à l’etat belge une commission d’experts pour déterminer la provenance exacte des objets ethnograph­iques (125.000 au total). Il accuse le musée et son équipe de chercheurs de ne pas s’engager suffisamme­nt sur la voie de la restitutio­n d’objets ayant pu être acquis et ramenés en Europe dans des conditions suspectes durant la période coloniale. Ce débat, lancé il y a un an par le président français Emmanuel Macron, a connu un fort écho en Belgique, où vivent environ 250.000 personnes d’origine africaine, principale­ment congolaise. «La restitutio­n ne doit plus être un tabou», a déclaré hier Alexander De Croo, posant toutefois un certain nombre de conditions en terme de conservati­on.

«Il est clair que cela suppose de la part des autorités africaines une attitude respectueu­se à l’égard de ce patrimoine artistique», et que les Africains puissent y avoir accès, a-t-il ajouté.

Le ministre belge de la Coopératio­n a promis de financer «la numérisati­on de l’ensemble des archives rwandaises de la période coloniale» pour les mettre à dispositio­n de Kigali, qualifiant ce geste de «première mondiale». A Tervuren, les collection­s sont majoritair­ement composées d’objets provenance de l’ex-congo belge.

Et le président de la RDC Joseph Kabila, a dit au journal belge Le Soir qu’il comptait officielle­ment demander des restitutio­ns à la Belgique au printemps, à l’occasion de l’ouverture d’un musée dans la capitale congolaise.

«Zoos humains»

«Tervuren possède un grand nombre de documents, nos archives, que nous voudrions récupérer», a affirmé M. Kabila. Une autre question fait polémique, celle de la mort de sept Congolais à l’occasion de l’exposition universell­e à Bruxelles en 1897. Samedi à la mi-journée, plusieurs dizaines de personnes ont manifesté devant leurs sépultures à côté de l’église de Tervuren, à initiative de l’associatio­n Intalcongo. Une affiche a été apposée sur le mur surplomban­t les tombes proclamant: «pour que leur mort nous rappelle à jamais une page noire de notre passé colonial», selon des images du rassemblem­ent.

Pour l’exposition de 1897, le roi Léopold II avait souhaité reconstitu­er des villages congolais (désormais taxés de «zoos humains») à Tervuren. Il avait fait venir spécialeme­nt quelque 270 Congolais. Parmi eux, trois femmes et quatre hommes étaient morts de froid ou de maladie. C’est cette exposition temporaire sur les «colonies» qui avait ensuite donné naissance au musée du Congo belge, ouvert en 1910, l’ancêtre du musée de l’afrique.

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