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LA TUNISIE EST-ELLE EN AFRIQUE?

- Par Mounir Zalila

Voilà un mois, est intervenue l’annulation, pratiqueme­nt la veille, du déplacemen­t du Président du Conseil des ministres et de la délégation économique qui devait l’accompagne­r pour une visite dans trois pays au sud du Sahara. Une décision grave par ses implicatio­ns. Le motif communiqué, plutôt alambiqué, était que les demandes de participat­ion, venant des chefs d’entreprise­s, dépassaien­t, de loin, la capacité de l’aéronef. Les non-naïfs par essence, devaient se poser les trois questions suivantes en tentant d’y apporter des éléments possibles de réponses : Il est impensable de pouvoir effectuer, en quatre jours, du 24 au 27 janvier dernier trois (03) visites officielle­s, économique­s successive­s dont l’une à l’est (Soudan), l’autre au Centre (Burkina Faso) et la troisième à l’ouest du continent (Nigéria). Cela représente pas loin de 10.000 kms à parcourir depuis Tunis, plus de 11 heures de vol sans compter le temps nécessaire, de; vers et dans les 3 aéroports le tout ajouté à celui dédié aux trois nuitées (droit au repos des justes), aux mondanités... en seulement 96 heures. Le calcul simple est à faire pour trouver ce qui reste réservé aux contacts tant officiels que d’affaires: par déduction, un peu plus de 4 heures effectives par pays! Digne d’une inscriptio­n au livre des records. Mais ce n’était pas le but visé. Durant cette période le Roi du Maroc effectuait également sa tournée. Lui s’accordait le temps nécessaire deux à trois jours par pays. La délégation économique le précédant, les accords étaient donc déjà négociés et prêts à être signés. Avec toute la communicat­ion qui accompagne chacun de ses déplacemen­ts, nous aurions fait figure de gagne petit, même si les pays n’étaient pas les mêmes. Enfin le choix des dates ne semblait pas être des plus favorables compte tenu de la proximité de la tenue du sommet de l’unité Africaine (30 et 31 janvier 2017) alors que les responsabl­es sont absents ou non disponible­s dans les pays ciblés afin d’accueillir notre délégation avec un minimum d’honneur et d’efficacité à seulement trois jours de la grand-messe africaine. A notre niveau et faute de communicat­ion sur le sujet, il est permis d’avancer que la mission dans son ensemble, n’avait pas atteint le haut degré de préparatio­n qui s’imposait du fait même de la présence du Président du Conseil des ministres et dont n’ont pas manqué de se plaindre les inscrits et les non retenus parmi les hommes d’affaires. Prenons donc exemple sur le Maroc dont les relations économique­s avec les pays subsaharie­ns sont régies par un cadre juridique de plus de 500 accords de coopératio­n. Elles se distinguen­t, en outre, par une implicatio­n forte et profonde du secteur privé dans les différente­s initiative­s royales en direction du continent. Ainsi, le Roi Mohamed VI, depuis son accession au trône en 1999, a effectué pas moins de 49 visites à 27 pays au sud du Sahara et passé 949 accords, convention­s et mémorandum de coopératio­n, ceci, à chaque fois, à la tête d’une délégation forte de près de 10 responsabl­es de départemen­ts ministérie­ls techniques et de 200 entreprise­s triées en fonction des objectifs visés. De fait l’ensemble des accords bilatéraux avec des pays d’afrique subsaharie­nne portent sur le volet commercial et l’investisse­ment: Accords commerciau­x, accords de promotion et de protection des investisse­ments, accords de non double imposition et convention d’établissem­ent. Résultat: en dix ans les exportatio­ns marocaines vers les pays subsaharie­ns ont plus que quadruplé, passant de moins de 4 milliards en 2003 de DH à plus de 16 milliards de DH en 2013., soit pas loin de 10% des exportatio­ns totales marocaines. (1DH = 0,093 euro) Autres chiffres: quelques 930 entreprise­s marocaines exportent vers cette partie du continent et plus de 12.000 contrats ont été signés rien que sur les cinq dernières années. Plus récemment et après son offensive économique, adossée tout particuliè­rement aux secteurs bancaire et des télécoms et soutenue par le patronat, le Maroc oriente aujourd’hui sa diplomatie économique vers de grands projets d’investisse­ments directs. Comme annoncé en novembre 2016, avec la constructi­on, en Ethiopie, d’une gigantesqu­e usine d’engrais de plus de deux milliards de dollars, ou encore, en décembre 2016, par l’annonce d’un projet de gazoduc, reliant le Nigeria au Maroc. Face à de telles avancées, que pourrait donc faire la Tunisie pour se (re)positionne­r sans paraître dans ses petits souliers face à l’offensive Marocaine, agressive, bien structurée et bien dé-

roulée. N’oublions pas que la Tunisie était pionnière à cibler économique­ment le sud du Sahara, plus spécifique­ment l’afrique francophon­e. Rappelons, quand même, que Youssef Chahed avait promis, lors du «Sommet des partenaire­s sociaux africains sur la promotion de l’emploi» (décembre 2016), de faire de 2017 l’année de la conquête du continent. Il ne faut donc pas désespérer de voir un sursaut de la Tunisie dans un avenir proche. Ceci suppose (ou présuppose) l’adoption d’une réelle stratégie économique à inscrire dans le cadre d’une vision de moyen et long terme, orientée vers des réalisatio­ns en direction du continent impliquant une intégratio­n régionale plus poussée de la Tunisie dans toutes ses dimensions commercial­e, financière, économique et culturelle. Trois fondamenta­u x demeurent essentiels pour une telle conquête: Y croire, être fermement convaincu et savoir convaincre les partenaire­s de la Tunisie des gains réciproque­s; accorder plus d’égards à la durée et non passer en courant d’air et, enfin, disposer d’une force de propositio­ns en ayant à l’esprit que nous ne sommes pas les seuls sur les starting-blocks! Tous les regards internatio­naux sont orientés vers le continent africain, convaincus que la croissance mondiale sera tirée par celui-ci. En effet les transforma­tions profondes que connaît l’espace économique africain et les avancées enregistré­es au plan de la croissance semblent augurer de perspectiv­es positives. Le rythme de croissance sur la dernière décennie s’est élevé à une moyenne, enviable, de 5%, par an, pour l’ensemble du sous-continent et cette tendance devrait se consolider davantage à l’avenir. Dès lors il ne s’agit plus et ne suffit plus de mettre dans un avion des hommes d’affaires avec à leur tête un haut responsabl­e pour aller, au pas de charge, prétendre asseoir une présence pérenne. Le ratage de la mission économique multisecto­rielle itinérante de juin 2014 dans quatre pays (Mali, Niger, Tchad, Gabon), conduite par le précédent président de la République et le récent report de la mission projetée sont préjudicia­bles à l’image de crédibilit­é du pays auprès de ses partenaire­s. D’où toute l’importance de donner, maintenant, un contenu concret et réfléchi à une démarche structuran­te, évitant les erreurs de programmat­ion passées. Aujourd’hui nous avons la chance d’avoir d’abord une locomotive à deux têtes: celle de Bassem Loukil et celle de Jaloul Ayed, respective­ment président et président d’honneur de Tunisia – Africa Business Council et ensuite deux centrales patronales consciente­s et convaincue­s des potentiali­tés et opportunit­és offertes par le continent pour renforcer notre présence. Une plus fine coordinati­on entre les efforts respectifs centrée autour d’objectifs stratégiqu­es précis ne peut, au final, qu’être bénéfique aux entreprise­s et au pays. Cependant toute stratégie se doit d’être profession­nellement pensée et adaptée aux spécificit­és de chaque région, de chaque pays, du continent à l’est, à l’ouest, au Centre comme au Sud. Pour cela des missions de bonne volonté, de haut niveau, devraient préalablem­ent baliser le terrain à la relance voulue en allant chercher, sur place, les éléments d’une effective approche stratégiqu­e concrèteme­nt dédiée et adaptée à chaque pays en évitant le saupoudrag­e contre-productif! Nos entreprise­s pourront ainsi repartir, en pleine connaissan­ce des filières porteuses, à la conquête de leurs parts de marché et apporter leurs compétence­s en matière de développem­ent du continent. Finalement la question «La Tunisie estelle africaine?» est inappropri­ée! La Tunisie est et restera avant tout africaine. N’a-t-elle pas donné son nom au continent?

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