L’ENTREPRENEURIAT SOCIAL AU FÉMININ, UNE PRÉOCCUPATION FÉMINISTE ?
Il est évident qu’autant les success stories de Mark Zuckerberg, Bill Gates, Steve Jobs, liés à la transformation d’une idée en innovation sont glorifiées au niveau international, autant les noms de Roshaneh Zafar du Pakistan, Ingrid Munro ou encore Linds
Si les capacités productives sous-utilisées sont de 22% pour les hommes, ce chiffre atteint 50% pour les femmes (Organisation Internationale du Travail, 2014). Ces chiffres devraient nous interpeller sur la politique menée pour la promotion de l’entrepreneuriat féminin. Celui-ci est, cependant, reconnu comme un leader au niveau mondial pour générer des retombées économiques, sociales et politiques importantes et croissantes (OCDE, 2012). Le Global Entrepreneurship Monitor (GEM) 2012 a confirmé que l’entrepreneuriat des femmes gagne tous les secteurs dans tous les pays. A la veille de la publication de la Stratégie nationale de l’entrepreneuriat en Tunisie (Mars 2017), nous ne perdons pas de vue l’approche genre de l’entrepreneuriat mettant l’accent sur le rôle dynamique de la femme dans la croissance. Si elle est parfois considérée comme faisant partie des groupes vulnérables jugés incapables de subvenir à leurs propres besoins, la femme peut être un des piliers de la paix sociale à travers l’entrepreneuriat social. Quels sont alors les facteurs qui appuient l’entrepreneuriat social féminin ? Comment pourrait-il favoriser une dynamique de changement social ? Statistiquement, il y a plus d’hommes que de femmes à la tête d’une entreprise sociale. Le cas de Gaia, Ferme Thérapeutique (FTH), dont la finalité est l’insertion socioprofessionnelle de personnes en situation de handicap (PSH) au contact de la nature, illustre bel et bien le rôle joué par les hommes dans la pérennité de l’entrepreneuriat féminin. Cette association, créée en 2009 et co-présidée par Leila Guesmi et Meriem Farah est dirigée par plusieurs femmes bénévoles.
Les hommes, indispensables tout de même Interrogeant les bénévoles sur l‘appui dont bénéficie la FTH, celles-ci soulignent le rôle joué par l’environnement proche du genre masculin (Mari et enfants, Mécènes, Facilitateurs...). A vrai dire, toutes les interviewées soulignent le rôle non négligeable joué par leur mari. Ils leur sont, en effet, d’un grand appui. « Les enfants et les maris sont nos partenaires dans la ferme, ils sont là quand on a besoin de construction, de vendeurs pendant nos kermesses, de comptables, ... ». Leur absence du foyer est légitimée par la gestion de la FTH : “J’ai tout de suite expliqué à mon mari que je serai désormais prise comme lui dans son usine”. Par ailleurs, d’un autre côté, le réseau des connaissances des bénévoles permet
Les enfants et les maris sont nos partenaires dans la ferme, ils sont là quand on a besoin de construction, de vendeurs pendant nos kermesses ...
de trouver des mécènes. A noter que le réseau professionnel est d’un grand intérêt. « Tout l’argent investi dans les infrastructures et la mise en place de nouveaux fonds d’investissement proviennent des appels à projets lancés par les fondations (la Fondation de France, la Fondation Air France, la Fondation Air Liquide, la Coopération suisse, la Fondation Orange) et par les services culturels de l’ambassade de France », précisent-elles. Elles conviennent également de l’importance du réseau social. « Notre réseau caritatif nous apporte un appui opérationnel en termes de ressources financières et humaines : la ferme organise des événements de collecte de fonds (tournoi du coeur; tournoi de golf, sponsoring, participation des joueurs, tombolas, Dîners des femmes ambassadrices…) ». Facilitateurs ou mécènes Toutes les personnes interviewées s’accordent pour dire que le rôle des mécènes dans le développement des potentialités entrepreneuriales féminines est très important. Un des appuis que les femmes saluent se mesure à la prise en charge pendant un an du paiement des factures de la FTH par le chef d’une entreprise qui appuie quasiment chaque action. « Une entreprise, comme Vermeg, nous a beaucoup aidées. Elle a couvert toutes nos factures pendant un an après la révolution, date à laquelle on n’avait aucun moyen de lancer le projet ». La catégorie des facilitateurs comprend le réseau professionnel et social et le réseau social de bienfaisance. L’intelligence collective appuie donc l’entrepreneuriat social au féminin pour évoluer vers une mobilisation sociétalement responsable, sans que la preuve d’une supériorité des capacités éthiques féminines ne soit apportée. Malgré un contexte qui n’a pas pour autant avantagé les bénévoles de la FTH dotées d’un dynamisme particulier, elles se sont fait appuyer par leur environnement souvent masculin. Elles ont développé une intelligence collective, grâce à laquelle elles ont favorisé la pérennité des activités de la FTH. Elles ont tenu à respecter leur engagement vis-à-vis des PSH, et ont oeuvré à améliorer leur quotidien ainsi que leur environnement. La question de la supériorité féminine par rapport aux hommes sur la jonction entre genre et morale abordée par Gilligan (1982), dans son ouvrage Une voix différente; est ainsi éclairée dans le cas de Gaia. Cette théorie a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs controverses et Gilligan même a déclaré lors de la deuxième réédition de son ouvrage en français (2008) : « Mais le care et le caring ne sont pas des questions de femmes ! Ce sont des préoccupations humaines. Il faut avancer vers la prise en compte des vraies questions, à savoir comment les questions de justice et de droits croisent les questions de care et de responsabilité ».