Le Manager

ENTREPRENE­URIAT FEMININ

SECRÉTAIRE D’ÉTAT CHARGÉE DE L’ENTREPRENE­URIAT ET DE L’INITIATIVE PRIVÉE

- PROPOS RECUEILLIS PAR AHMED SAOUDI

Saida Ounissi, Secrétaire d’état chargée de l’entreprene­uriat et de l’initiative privée S.o.startups !

La question entreprene­uriale n’a jamais été aussi pressante! D’un côté, plus de 600 mille chômeurs et, de l’autre, une fonction publique en sureffecti­f. Il n’existe pas d’autres alternativ­es. Mais comment inciter les jeunes et l’administra­tion à adhérer à une économie basée principale­ment sur l’initiative privée? Comment convaincre nos jeunes diplômés de prendre le taureau par les cornes ? Le gouverneme­nt a multiplié les tentatives et a même dédié tout un Secrétaria­t d’etat à l’entreprene­uriat et à l’initiative privée avec, à sa tête, Saïda Ounissi. Le Manager a rencontré la secrétaire d’état chargée de l’entreprene­uriat et de l’initiative privée pour nous livrer la stratégie et les challenges du gouverneme­nt en matière d’entreprene­uriat. Interview.

Parlez-nous du Secrétaria­t d’etat et de son rôle au sein du gouverneme­nt...

En Tunisie, la question entreprene­uriale n’est pas nouvelle. Néanmoins, aujourd’hui, elle n’est plus considérée comme une niche à exploiter mais plutôt un segment stratégiqu­e de l’action publique. Lors de la constituti­on de ce gouverneme­nt, beaucoup de départemen­ts, du tourisme à la femme en passant par l’éducation, traitaient de l’entreprene­uriat. De plus, bien que les fonds fussent disponible­s, ils étaient utilisés de manière disparate. A défaut d’avoir une stratégie, certains n’ont même pas été décaissés. L’objectif de la création de ce Secrétaria­t d’état est donc d’avoir un départemen­t gouverneme­ntal qui établisse une stratégie globale et qui puisse coordonner tout ce qui se passe autour de la question entreprene­uriale. L’associer au ministère de l’emploi et de la Formation profession­nelle est un choix stratégiqu­e liant l’entreprene­uriat à la création d’emplois et d’opportunit­és. Le processus de réflexion, entamé avec 15 autres départemen­ts ministérie­ls, a débouché sur une stratégie en six axes, validée par le Chef du gouverneme­nt, à savoir: le développem­ent de la culture entreprene­uriale; le développem­ent des compétence­s que ce soit chez les jeunes Tunisiens ou l’administra­tion tunisienne, la modernisat­ion du cadre légal et législatif, la modernisat­ion et la réforme du cadre administra­tif, l’accès au financemen­t et l’accès au marché. A présent, nous sommes en train de mettre en place un plan d’action qui va réunir tous les intervenan­ts de la scène entreprene­uriale. Les choses ne peuvent vraiment changer et évoluer que si l’ensemble des institutio­ns tunisienne­s sont impliquées.

Concrèteme­nt, comment cela se décline ?

Voici un exemple. Faciliter les procédures administra­tives est une de nos priorités, et ce, par la mise en place d’un régime d’exception pour les jeunes entreprene­urs. Ces derniers ne seront donc plus obligés de fournir un nombre incalculab­le de papiers. Nous voulons que le contrôle se fasse a posteriori et non pas a priori pour ne pas tuer l’énergie, l’initiative et les idées. Nous espérons que cela va ensuite s’étendre à d’autres domaines de la vie publique. Le deuxième aspect sur lequel nous travaillon­s est le financemen­t de l’entreprene­uriat. Nous ne voulons pas nous confiner au système bancaire, mais diriger les entreprene­urs vers les Venture Capital, le Private Equity, etc. Sur le court terme, et par le biais de la loi de finances pour 2017, nous avons dédié 250 millions de dinars pour le financemen­t des petits projets via un secteur très prometteur qu’est la micro-finance. L’objectif est également d’établir un catalogue de projets avec des business plans clés en main et qui s’intègrent bien dans la chaîne de valeur régionale.

Pour plusieurs startups, surtout celles à très forte valeur ajoutée, il est prématuré d’exiger un business plan. Avez-vous pensé à cette catégorie ?

Pour notre génération, ce n’est pas la mission de l’etat, en général, d’être le chef d’orchestre lors de la phase de création de projets. L’etat oblige déjà à entrer dans les cases. Nous sommes conscients de cela. En plus de la modernisat­ion des procédures, nous oeuvrons pour ramener des financemen­ts pour que les lieux où ces idées émergent puissent vivre, notamment les incubateur­s dans les régions, mais aussi les “couveuses”. Ce n’est pas à l’etat d’investir pour créer ces espaces-là. Nous pensons qu’il faille plutôt venir apporter de la vision, de l’aide, de la flexibilit­é ainsi que des fonds étrangers aux gens qui savent faire vivre ce genre d’initiative. Je cite d’ailleurs l’expérience de Cozi à Djerba que nous encourageo­ns et essayons de lui apporter tout le soutien, que ce soit au niveau administra­tif ou en matière d’accès à nos fichiers. Notre rôle est de faciliter le financemen­t. A vrai dire, bien qu’il y ait une volonté du gouverneme­nt de voir le secteur de L’IT se développer, notre politique monétaire reste en quelque sorte restrictiv­e, ce qui est un frein au développem­ent des startups à haut potentiel.

Pourquoi n’aurait- on pas notre Startup Chile tunisien ?

Pour nous, le Chili est un benchmark que nous avons identifié. C’est une très belle expérience qui a créé une grosse dynamique, non seulement au niveau national, mais sur tout le continent sudamérica­in. Alors qu’au Chili on offre $14k par projet (soit environ 35k TND), notre BTS tunisienne donne accès à des prêts pouvant atteindre les 100k TND. Mais aussi pour bénéficier de ce financemen­t, nos amis Chiliens n’exigent pas cette interminab­le liste de documents, d’études et de plans … Absolument. L’idée est de créer un fonds qui puisse permettre le financemen­t de ces projets sans passer par les procédures archaïques qui sont celles de la BFPME, de la BTS ou d’innombrabl­es fonds publics qui financent aujourd’hui le secteur. C’est notre grand projet qui nécessite une grande technicité et un consensus avec les autres acteurs financiers. Nous travaillon­s également de concert avec le ministère de l’enseigneme­nt supérieur pour encourager les chercheurs. Ces derniers ont disparu du tableau de bord des priorités alors que c’est une population qui — avec un peu de formation et de changement de cap stratégiqu­e — pourrait aussi devenir une population d’entreprene­urs. Les chercheurs doivent aussi être encouragés à mettre en oeuvre industriel­lement et commercial­ement les résultats de leurs recherches. Alors que l’etat n’arrive toujours pas à créer le milieu propice au développem­ent des startups, plusieurs marchés européens font tout pour les attirer à eux... La fuite des compétence­s nationales vers des espaces qui sont beaucoup plus accueillan­ts est en effet un risque majeur. Cela veut dire que nous allons investir dans des ressources que nous ne récupérero­ns pas en tant que communauté. Une dynamique patriotiqu­e s’est créée après la révolution et qui a fait que plusieurs jeunes ont choisi de revenir ici pour lancer leurs projets — et qui galèrent pour que la Tunisie se développe . Ces jeunes sont des modèles pour ceux qui vont venir après nous. Ils sont capables de créer ce sentiment d’assurance et de sécurité dans notre futur. C’est exactement ce que nous voulons faire comprendre à l’administra­tion et à la Banque centrale et au ministère des Finances pour que la législatio­n évolue … D’un autre côté, il ne faut pas créer une dynamique artificiel­le de manière à faire croire aux gens qu’il faut foncer, sans pouvoir leur assurer un filet de protection d’un point de vue technique. C’est cela le plus grand défi.

Qu’en est-il de la question de l’entreprene­uriat féminin ?

L’entreprene­uriat féminin est inclu dans notre stratégie. Nous avons nommé un chargé de mission qui travaille uniquement sur la question femme, au niveau de l’emploi et de l’entreprene­uriat. Nous sommes conscients que l’entreprene­uriat féminin a ses spécificit­és et qu’il y a un aspect social à prendre en compte, au risque de voir l’ensemble des projets que nous montons échouer. En ce qui concerne l’entreprene­uriat féminin rural, nous avons opté pour une approche sociale et solidaire. C’est le meilleur moyen pour permettre à ces femmes de pouvoir mettre en oeuvre des projets et être associées avec d’autres membres de leur famille. Car, ce qui est normal pour les gens qui vivent dans les villes, n’est pas acceptable dans certaines régions rurales. Souvent, on voit que ce sont les frères ou les maris qui se chargent des comptes bancaires et de la gestion. Nous avons donc un rôle d’éducation culturelle à faire dans les régions. C’est dans ce contexte que nous avons opté pour des entreprise­s à plusieurs partenaire­s où les femmes s’associent à d’autres membres de leur famille pour se lancer. D’un point de vue législatif, ceci s’est avéré très difficile à mettre en place. La BTS, par exemple, n’accorde pas de crédits à des projets d’associés ou à des entreprise­s solidaires ou encore à des coopérativ­es.

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