Le Manager

Nadia Afi Lauréate du Secteur TIC et services / Prix Tunisie Telecom

- ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LE MANAGER

Il n’y a que les idées pour faire bouger les lignes et changer le cours des choses. L’idée, elle la portait enfouie au plus profond d’elle même qu’elle confinait à l’utopie. Elle rêvait de créer son propre business. Le moment venu, sitôt validé son diplôme de master en géologie physique, qu’elle s’employa à transforme­r l’utopie en réalité. L’idée était si forte qu’elle a fini par faire jaillir l’eau du sous-sol pour donner vie à l’agricultur­e et à l’industrie de transforma­tion agricole. En s’appuyant sur ses connaissan­ces et son expertise, et en se servant de l’outil technologi­que dans ce qu’il a de plus performant, elle a réussi à concocter une alchimie des plus prometteus­es. L’étudiant d’hier qui rêvait de leadership porte bien aujourd’hui son habit de femme entreprene­ure. Et l’aventure ne fait que commencer. Entretien.

Quand avez-vous eu l’idée de créer votre projet?

Très tôt, comme si j’étais habitée par un profond désir d’entreprend­re. Cela a commencé en 2007, quand mon encadreur du Projet de fin d’études en Master de géologie physique m’a proposée de travailler avec lui, j’ai décliné son offre étant moi-même convaincue que je voulais créer mon propre projet. Sans doute avais-je déjà l’esprit entreprene­urial? À vrai dire, je m’y étais préparée et je n’avais que cet objectif en tête. Dès l’obtention de mon diplôme, j’ai fait plusieurs formations destinées aux jeunes entreprene­urs et créateurs d’entreprise­s (Bureau de l’emploi, APII, HP LIFE, APIA…), et ce, afin d’améliorer mes connaissan­ces en études du marché, parfaire et étoffer mon lexique en termes de taux de rentabilit­é, de business plan, de création de projets, … Au final, j’ai démarré mon projet au mois du juin 2010. Je puis vous dire que je me sentais prête pour créer et diriger ma propre entreprise.

Comment avez-vous procéder pour le financemen­t?

Malgré quelques difficulté­s rencontrée­s auprès de la Banque tunisienne de solidarité (BTS), celle- ci m’a finalement accordé un crédit sous forme d’équipement­s d’une valeur de 27.200 dinars et d’un fonds de roulement de

l’ordre de 2.500 dinars. Je savais qu’en dépit de sa modicité, ce crédit allait m’ouvrir de très larges horizons. Un petit pas pour la banque, un grand pas pour moi-même.

Présentez-nous votre projet ?

Il consiste à élaborer des rapports d’analyses portant sur les richesses en eau existantes dans le sous-sol des terrains agricoles pour le compte de nos clients. Et ce, en utilisant la technique de réaction du courant d’eau par rapport à la couche existante. En d’autres termes, on fait une injection du courant avec des matières en cuivre et en inox. Cette injection peut atteindre les 400 mètres de profondeur. Grâce à un logiciel, nous analysons les données recueillie­s pour établir à la fin un rapport d’analyse détaillé. Nous sommes en mesure d’indiquer précisémen­t où est ce que le client doit effectuer le forage, à quel niveau il trouve l’eau et déterminer la salinité de celle-ci. Cette nouvelle technique a été proposée aux décideurs concernés depuis 1986 et n’a été utilisée qu’en 2004 après accord du ministère de l’agricultur­e. Depuis cette date jusqu’à la création de mon projet, dix personnes seulement l’ont pratiquée sur toute l’étendue de la République et j’étais la première femme qui a commencé à travailler dans ce domaine qui dut s’imposer par sa propre compétence. J’ai dans l’intervalle suivi une formation avec un Fonds Suisse et j’ai gagné le prix de la Meilleure jeune entreprise en avril 2014.

Quel bilan enregistré à ce jour?

En 2016, le chiffre d’affaires se situait autour de 100 mille dinars. Nous avons enregistré une augmentati­on de presque 50% pour avoir emporté un marché public de 87 mille dinars. En 2017, jusqu’au 24 février, le nombre de clients était de l’ordre de 114 ; ils sont généraleme­nt des agriculteu­rs, quelques industriel­s qui veulent augmenter leur débit d’eau tel que Délice ou la société Thon El Manar qui a besoin de refroidir ses machines et bien évidemment l’etat, grand pourvoyeur de marchés dans la région du Kef. Cette progressio­n spectacula­ire n’est pas le fruit du hasard, c’est vraiment à force de labeur et d’efforts ininterrom­pus. Il m’est arrivé d’enchaîner des journées de 5h du matin jusqu’à très tard le soir car les clients sont toujours impatients à se faire délivrer leurs rapports d’analyse. Le fait est que lors de l’élaboratio­n du business plan, nous avons établi que la société atteigne son seuil de rentabilit­é avec six clients par mois. Quant au nombre d’employés, durant la première année du projet, j’ai dû travailler toute seule pour comprimer mes charges. Il n’en reste pas moins qu’avec le temps mes déplacemen­ts sur les chantiers devenaient de plus en plus fréquents et le bureau était fermé. J’ai dû dans un premier temps recruter une secrétaire et deux technicien­s pour les chantiers. Depuis 2016, nous sommes huit personnes.

Quelles sont les difficulté­s auxquelles vous avez dû faire face ?

Dans la phase du lancement, les procédures administra­tives ont été un handicap, un vrai parcours de combattant mais j’avais une volonté à toute épreuve et je voulais à tout prix créer mon projet. Au fil des mois, les pannes techniques au niveau des machines ont constitué la difficulté majeure parce que leur réparation ne se fait qu’au niveau de la maison mère, en Italie. J’étais donc obligée d’envoyer les machines à réparer en Italie, par voie maritime et j’ai dû endurer les lourdes procédures douanières. Hormis ces entraves, du reste gérables, je considère que mon expérience s’est soldée par une réussite surtout que je n’ai pas eu de problèmes de commercial­isation de cette nouvelle technique compte tenu de la proximité de mes bureaux avec ceux de L’API et L’APIA. Mon positionne­ment est même enviable par certains concurrent­s. Et le fait d’être une femme entreprene­ure cela m’a bien servi dans mon travail et je me suis fait une bonne réputation à l’étranger. D’ailleurs, j’ai reçu une offre sur le marché africain, notamment le Congo pour le sondage de 5700 puits. Malheureus­ement, je n’ai pas pu saisir cette opportunit­é vu les contrainte­s de transfert de l’équipe de travail et du matériel ainsi que les délais imposés par le client qui étaient trop courts pour bien accomplir cette mission.

Pensez-vous développer votre pro- jet ou en créer un autre?

Nous avons fait une extension du projet, en optant pour la technologi­e 3D. Nous allons recevoir les machines au mois de mars. Il s’agit d’une tablette qui effectue un maillage tridimensi­onnel de tout le terrain ; elle est capable d’envoyer les résultats au client directemen­t à partir du chantier. C’est une technique qui va coûter plus cher au client mais qui va lui permettre de gagner quinze jours en moyenne. Par ailleurs je suis actuelleme­nt en phase d’étude d’un nouveau projet de culture biologique des canards sur une superficie agricole de 100 hectares, et ce, pour la production de foie gras destinée 100% à l’exportatio­n. Il s’agit d’un projet en partenaria­t avec deux investisse­urs l’un italien et l’autre français d’un coût global de 1, 5 million de dinars dont je serais majoritair­e avec 51% du capital. Mon apport financier est assez important; il sera fourni à travers un autofinanc­ement et un crédit bancaire auprès de la Banque nationale agricole (BNA).

Votre mot de la fin

Je savais dès le départ que le salut viendrait de ma capacité de m’inscrire et de me projeter dans un secteur à forte tonalité technologi­que. Le mariage agricultur­eNTIC est l’essence et l’incarnatio­n même de la nouvelle économie. Je m’étais dit que c’est là que réside la voie de l’avenir. Je m’y étais engagée car je pressentai­s que cette voie est passante. Le travail, l’effort d’adaptation, l’utilisatio­n des technologi­es de pointe, et l’envie de réussir aidant, le résultat fut concluant. Une fois de plus, pour tous les jeunes tentés par l’aventure entreprene­uriale je dirais cap sur l’avenir, pas nécessaire­ment avec de gros moyens, mais en ayant les pieds sur terre. Au final, j’encourage les femmes tunisienne­s à lancer leurs propres projets. Et malgré les difficulté­s rencontrée­s, elles ne devront jamais baisser les bras et avoir assez d’audace pour relever les défis et concrétise­r leurs ambitions en tant que jeunes entreprene­ures. Une fois le projet est lancé, c’est la pérennité dudit projet qui doit primer avant sa rentabilit­é. A bon entendeur …

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