THINK TANK
Dans son style tranchant, l’article «10 raisons pour ne pas investir en Tunisie » paru au magazine le Manager du mois de Septembre a évoqué les entraves à l’investissement. Le Think Tank Ibn Khaldoun a, pour sa part, pris acte que trois des problèmes entr
Les trésors cachés de la RH
Productivité atone et revendications en chaîne Fait d’évidence qui tient lieu d’indéniable constat : la productivité des travailleurs tunisiens est à son plus bas niveau. Dorsaf Bejaoui, DRH du groupe Monoprix, fait état d’un changement radical de la situation assénant que les employeurs ont de plus en plus de mal à gérer leurs équipes. Elle note un problème comportemental relevant principalement du laxisme. « C’est un problème de contrat social. La polémique concernant l’augmentation des salaires entre L’UGTT et l’etat en est la preuve», précise-telle. La DRH du groupe Monoprix constate que ce problème comportemental découle essentiellement d’une écoute insuffisante, qui pourrait de ce fait être améliorée à travers le renforcement des capacités de communication, d’acceptation de l’autre et de la gestion des conflits. Elle souligne qu’en Tunisie, il n’y a vraisemblablement pas de problème de compétences, mais que c’est au niveau du savoir- vivre et du savoir- être que le bât blesse. A ce titre, la responsabilité incomberait à la famille, à l’école et à l’entreprise. Mariem Sanhaji, DRH de Vermeg, nuance le problème de la faiblesse de la productivité affirmant que le domaine d’activité des TIC est particulier, dans la mesure où il est challengé. Et pour cause, les entreprises opèrent sur le marché international et doivent donc se conformer aux normes internationales. Et de préciser que leur productivité est même mesurée par les clients en comparaison de celle des entreprises américaines, européennes et indiennes. « Chez nous la productivité est un “must have” et non pas un “nice to have” », a-t- elle avancé. Et d’ajouter : «Nous n’avons de cesse de rappeler notre réalité, à savoir que nos clients sont des banques européennes, lorsque nous sommes face à des collaborateurs qui comparent notre rythme challenging à celui d’autres sociétés tunisiennes qui bénéficient de la séance unique par exemple ». La question serait alors comment l’entreprise peut-elle enraciner l’appartenance de ses employés ? L’ancrage de la culture de l’entreprise Dorsaf Bejaoui a signalé que beaucoup d’entreprises prennent conscience de l’importance de la motivation et de la culture d’entreprise. Force est de constater que beaucoup de bonnes pratiques managériales en matière de ressources humaines ont été introduites par les multinationales implémentées en Tunisie. Mariem Sanhaji a déclaré que le secret qui leur a permis d’atteindre ce niveau de productivité est celui d’impliquer les collaborateurs dans le projet Vermeg, bâti sur l’idée d’une entreprise tunisienne qui veut s’imposer à l’international. Nous avons une démarche qui vise à insuffler l’engagement plutôt qu’à mettre en place des règles disciplinaires telles que le pointage. Pour sa part, Dorsaf Bejaoui souligne que la mise en place d’un projet de culture d’entreprise prend deux à trois ans. En gros, il s’agit de propager les valeurs de l’entreprise en leur assignant une compréhension commune. Dorsaf Bejaoui a expliqué que la démarche d’implantation d’une culture d’entreprise se décline principalement en deux volets. D’abord, un premier volet qui consiste à définir les valeurs de l’entreprise à travers une team scan à laquelle participent tous les niveaux hiérarchiques. Elle a précisé qu’il est important que les valeurs soient clairement écrites et bien communiquées à travers les canaux de communication internes tels l’intranet ou la newsletter. Le deuxième volet est de nature à déterminer un baromètre social permettant de mesurer le climat social de l’entreprise. Ce dernier permet d’évaluer le management et la qualité de la vie dans l’entreprise. Il est indéniable qu’aujourd’hui l’ambiance et la flexibilité du travail deviennent des éléments déterminants. « On mesure les attentes des salariés, leurs problèmes. Il s’agit de déceler comment les salariés perçoivent les valeurs. C’est ce point de mesure à un moment donné qui permet à terme de faire ressortir l’évolution, d’établir la politique sociale de l’entreprise, la politique de rémunération et
les recommandations. Ensuite, la direction générale recueille le feedback du baromètre pour dégager cinq problématiques dominantes. Celles-ci permettent d’élaborer le plan d’action avec le concours des collaborateurs. Ces derniers seront ainsi plus engagés. Ils pourront à cet effet voir les résultats progressifs des plans d’action permettant ainsi de décliner une stratégie de culture d’entreprise et une politique de communication interne », a-t- elle précisé. De son côté, Mariem Sanhaji confirme que pour ancrer cette culture d’entreprise, Vermeg met en exergue sa vision, ses valeurs qui sont l’authenticité, l’engagement et l’ingéniosité. La société se donne pour slogan « passionné de livrer ». Dorsaf Bejaoui a également signalé qu’au sein de Monoprix, de nouveaux projets ont été lancés pour ressusciter des valeurs perdues ces dernières années, en l’occurrence le respect et la discipline. A cet effet, un prix du salarié modèle est organisé pour valoriser et gratifier le collaborateur qui fait preuve de discipline, de ponctualité et qui met en avant un bon relationnel avec les clients. Ces consécrations sont ensuite communiquées sur les réseaux internes. L’entreprise a également engagé une politique sociale qui vise à renforcer l’appartenance des salariés à l’entreprise en leur faisant bénéficier de certains avantages, via notamment des conventions avec des hôtels, des cliniques voire d’autres professions. Dorsaf Bejaoui a mis l’accent sur l’importance de la formation. «Dans cette conjoncture morose, la majorité des entreprises se sont lancées dans une dynamique de restructuration impliquant une compression des effectifs. Il est de ce fait important de convertir et de recycler ses salariés». Elle a également souligné l’importance des techniques de développement personnel qui non seulement aident les salariés quel que soit leur statut - ouvrier, cadre ou manager - à prendre conscience de leur potentiel et de leurs limites mais également permettent de faciliter la communication et d’améliorer la gestion des conflits au sein des équipes ainsi qu’entre différents niveaux hiérarchiques. Toujours dans le même sens de faciliter l’intégration et l’adhésion de ses salariés, l’académie de Vermeg prend en charge les nouveaux recrues pendant les deux jours du welcome day où d’éventuels problèmes pourraient être détectés. Durant la période d’essai, un coaching sera instauré pour le renforcement des basic-skills qui vont de l’humain telles la multi- culturalité et la diversité au management en passant par l’opérationnel. L’idée est que chacun se sente entrepreneur par rapport à ce qu’il fait. « Pour motiver nos collaborateurs, nous avons une politique de rémunération qui valorise la productivité et la performance», indique Mariem Sanhaji. Les salaires ne sont guère déterminés selon la fonction et le niveau mais plutôt par rapport à la productivité et à la performance. «A Vermeg, il n’y a ni salaire social ni plafonnement de primes», signifie-t- elle. Interrogée sur la marge de manoeuvre d’un patron de PME disposant de moyens réduits, Dorsaf Bejaoui a signifié que la culture de l’entreprise n’est pas exclusivement l’apanage des grandes firmes. Certaines actions qui ne coûtent pas cher peuvent améliorer l’engagement des salariés, telles que la signature de conventions avec des hôtels, l’organisation de séances de team building, une fois par an, pour traiter une thématique donnée comme la cohésion d’équipe ou le challenge commercial. Elle a également précisé que le digital permet également de communiquer à faible coût, notamment à travers les réseaux sociaux. Il faut simplement avoir la volonté de communiquer et de partager. Dorsaf Bejaoui a mentionné au passage les changements auxquels les entreprises doivent se préparer pour intégrer d’ici à peu près 5 ans cette nouvelle génération individuelle, audacieuse et virtuelle. Et de renchérir : «L’idée est de chercher comment exploiter la créativité de cette jeunesse». Il n’en reste pas moins que cette génération sera confrontée à la rigidité du Code du travail. Il est impératif de nous poser la question de savoir dans quelle mesure sommes- nous prêts à accepter ces changements, à canaliser cette énergie et à profiter de ces potentiels qui réclament de plus en plus de liberté et de flexibilité ?
Flexibilité Laetitia Kallel, DRH du groupe Maille Club et Dorsaf Bejaoui s’accordent à souligner l’impératif de faire évoluer le Code du travail et d’engager un dialogue social permettant de sortir des vieux clivages entreprise/ syndicat. Toutefois, Dorsaf Bejaoui pense qu’au jour d’aujourd’hui nous ne sommes pas encore prêts à accepter plus de flexibilité, eu égard au manque de discipline des employés qui bénéficient d’une quasi-impunité grâce au code actuel qui ne donne pas droit au licenciement. Quant à Laetitia Kallel, elle défend l’idée d’un souffle de flexibilité qui permettrait enfin à la Tunisie de franchir le fossé (ou la galaxie!) qui existe entre sa base légale apparentée aux années 60 et le contexte générationnel qui propulse les entreprises dans un monde mobile et décomplexé par rapport au travail. Pour la DRH de Maille Club, la question de flexibilité n’est pas seulement une affaire de type de contrat, mais une question de mise en oeuvre de ce contrat. Et d’ajouter : « Il faut repenser notamment la notion de présence au travail et d’exécution d’heures de travail, dans un monde hyper connecté et avec les moyens informatiques dont l’entreprise dispose aujourd’hui : quid du télétravail par exemple ? ». Pour ce qui est de la flexibilité, Myriam Sanhahi souligne une fois de plus la particularité de son domaine d’activité, employant principalement des cadres qui vivent une perpétuelle évolution technologique et contextuelle. « La flexibilité est de ce fait au coeur de notre stratégie RH », a-t- elle signalé. Et de préciser : « Nous demandons à nos collaborateurs d’être dans une logique d’adaptabilité, d’autonomie, de mobilité dès le départ. Nous favorisons la flexibilité et l’interchangeabilité au sein des niveaux et des fonctions selon les besoins de Verrmeg et de ceux des collaborateurs en dehors du cadre réglementaire». Elle a précisé que dans leur règlement intérieur, la flexibilité est mise en évidence comme étant un must, au niveau des fonctions, dans le temps ou dans l’espace. «Le collaborateur peut produire de chez lui si cela augmente son rendement. C’est un win-win pour tout le monde», a-t-elle avancé. L’évidence s’impose, le secteur des TIC en faisant intervenir des cadres diplômés et en se confrontant à une concurrence internationale s’inscrit dans une tout autre réalité que la tendance générale, ce qui le place éventuellement dans une situation de secteur pilote. C’est dire qu’une entente de la part de l’ensemble des entreprises d’un secteur sur une démarche, imposée par la concurrence étrangère ou pourquoi pas de leur propre initiative en vue de s’améliorer, peut contrebalancer des pratiques qui tirent vers le bas. A bon entendeur !