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ESCAPADE

Héritière d’un legs riche, Testour a été bâtie par les Morisques.son quotidien rappelle cette Andalousie encore objet de beaux souvenirs.

- MOHAMED GONTARA

Testour La raffinée

La Tunisie n’a pas connu seulement dans des temps anciens les fameux « Venationes », combats d’animaux entre eux ou d’animaux contre des hommes. Elle a vécu également à l’heure de la corrida. Tel est du moins le témoignage fait par un prêtre espagnol, Francisco Ximenez, en 1720, dans un journal rédigé à l’occasion d’une visite accomplie en Tunisie « Diario de Tunez ». Selon ses dires, des combats entre des hommes et des taureaux se déroulaien­t sur une placette en haut de la ville de Testour. La ville était habitée alors par des Morisques, des réfugiés chassés d’espagne, qui avaient gardé nombre de traditions de la péninsule ibérique et parlaient l’espa- gnol (Voir notre encadré). Une population que nombre d’historiens décrivent comme raffinée « dans un milieu où les moeurs se distinguai­ent plutôt par leur rudesse » (Voir Histoire générale de la Tunisie, Tome III, Sud Editions, Tunis, page 145). Raffinée, mais également ingénieuse. Testour, distante de quelques quatre-vingt kilomètres

de Tunis, a été effectivem­ent Construite au XVII siècle bien

ème en hauteur. Bâtie sur l’emplacemen­t d’un ancien village berbère (Tichilia), la ville est située à 170 mètres—pour sa partie la plus haute—par rapport au niveau de la mer. Un choix on ne peut plus réfléchi: située dans une région où la pluviométr­ie est somme toute importante (autour de 450 millimètre­s par an), il fallait lui éviter les inondation­s. D’autant plus que Testour se situe sur la rive de l’oued Medjerda. Un choix synonyme de fraicheur. L’été, un air frais, venu des plaines qui entourent la ville, traverse les eaux de la Medjerda et les ruelles et les maisons construite­s en pente pour venir se déverser dans la place des Andalous. Celle-là même où se déroulait la corrida. Dallée et plantée d’arbres, la place des Andalous abrite de nos jours une belle terrasse de café. Où de nombreux habitants viennent siroter un thé ou boire un soda ou encore une limonade avant ou après avoir accompli la prière. Donnant directemen­t sur la place des Andalous se dresse sans doute le plus important monument de la ville : la Grande Mosquée. Le monument, qui aurait été bâti vers 1631, exprime à lui-seul toute la tolérance de la population. Son minaret rappelle, d’abord, l’architectu­re des églises des villes de Castille et d’aragon, en Andalousie, d’où est originaire, une bonne partie de la population de la ville. Il est constitué de la superposit­ion de deux tours surmontées d’un lanternon. Le minaret est, ensuite, décoré d’une étoile de David. Signe, estiment certains, d’une reconnaiss­ance des habitants de la ville à la communauté juive qui a activement participé à la constructi­on de la mosquée. Situé à droite de la grande rue, qui sert de souk, et qui remonte à droite de la route venant de Tunis pour atteindre la place des Andalous, le quartier de la Hara témoigne encore aujourd’hui de la présence d’une importante communauté juive. La grande chanteuse et actrice Habiba Msika, née Marguerite Msika (en 1903), a vu le jour dans une des rues de cette Hara Testour. Une testourien­ne pur jus qui fut attachée à sa ville et à son pays. Elle a été arrêtée par les forces coloniales françaises pour s’être enrôlée, en 1928, dans la pièce de théâtre «Les martyrs de la liberté», dans le drapeau tunisien et pour avoir scandé des chants indépendan­tistes. Sa demeure accueille la Maison de la culture de Testour. La Hara est l’un des trois importants quartiers de la médina de Testour : le quartier de la Hara, le quartier des Andalous et celui des Tagarins, nom donné aux émigrants musulmans de la région de Valence, d’aragon et de Catalogne dans les villes du Maghreb, pour les distinguer des Andalous (émigrants de Grenade et d’andalousie). Et partout la même architectu­re qui rappelle cette Andalousie perdue : des rues on ne peut plus étroites, des toits en tuiles, des faïences,… De nombreux habitants de Testour sont du reste reconnaiss­ables grâce à leurs noms d’origine espagnole : Al-kondi (originaire de Conde), Lakanti (de Alikante) ou encore Sakich (de Sax) et khemisi (d’al Guemisi),… Il faut arpenter le souk de Testour pour se rendre compte de l’apport de cette population. Quelques boutiques proposent en effet des Burnous, chéchias et autres Kachabyas qui tiennent chaud par cet hiver rugueux. On y rencontre aussi des vendeurs du fromage «testouri», naturel ou aux fines herbes. Des activités qui nous disent que l’agricultur­e constitue la principale activité de la région. Ayant choisi un site comportant parmi les terres les plus fertiles du pays, les population­s chassées

Testour, distante de quelque quatreving­t kilomètres de Tunis, a été effectivem­ent construite au XVII ème siècle bien en hauteur. Bâtie sur l’emplacemen­t d’un ancien village berbère (Tichilia), la ville est située à 170 mètres –pour sa partie la plus haute- par rapport au niveau de la mer.

d’espagne ont développé, dès leur arrivée, des activités agricoles des plus variées. On y rencontre dans les plaines situées en bas de la ville des cultures maraîchère­s: carottes, navets, radis, …des cultures en sec (céréalicul­tures et oliviers) et des cultures industriel­les comme le mûrier. Testour est également connue pour ses arbres fruitiers. Dont les grenadiers. La ville accueille depuis 2016 un Festival des grenades qui en dit long sur l’importance de ce fruit : Testour arrive en seconde position, après la ville de Gabès, pour les plantation­s de grenades. Avec une production de quelques 12 000 tonnes. Egalement largement présent, le bigaradier, appelé également orange de Séville, notamment sur les trottoirs de la ville. Un agrume qui a la même apparence que l’orange, mais qui possède une écorce épaisse et est d’un goût amer. Et l’élevage n’est pas en reste. On y rencontre souvent des troupeaux de chèvres et de moutons. Comme, on élève nombre de poules et de lapins. Testour est également connue pour abriter de nombreuses mosquées et zawiyas. Environ une vingtaine. La Zawiya de Sidi Ali Al Aryane, le saint patron de la ville, sans doute le plus vénéré de la cité. Elle accueille chaque année au cours du mois de mars une fête religieuse très courue : la «Zarda». Ce saint est connu pour avoir utilisé ses pouvoirs pour sauver les habitants de Testour et ses combattant­s des Turcs qui ont assailli la ville au XVII ème siècle. Impossible d’évoquer Testour sans parler du signe le plus évident de son raffinemen­t : l’organisati­on, depuis plus de cinquante ans (1966), du Festival internatio­nal du malouf et de la musique traditionn­elle arabe. Un festival qui reste d’ailleurs une des marques de fabrique de la ville. Et qui fait courir les musiciens et chanteurs de plus d’une dizaine de pays. Dont ceux du Maghreb qui ont également reçu les réfugiés arabes chassés de cette terre espagnole toujours objet du souvenir.

 ??  ?? Vue du souk de Testour
Vue du souk de Testour
 ??  ?? La place des Andalous avec au fond le minaret de la Grande Mosquée
La place des Andalous avec au fond le minaret de la Grande Mosquée
 ??  ?? Chants du Malouf, venu directemen­t d’andalousie
Chants du Malouf, venu directemen­t d’andalousie

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