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Quel avenir pour les sociétés confisquée­s ?

- SAHAR MECHRI KHARRAT

Mounir Ferchichi, président de la commission de confiscati­on, Adel Grar, DG d’al Karama Holding, Habib Karaouli, PDG de CAPBANK et Anis Wahabi, expert-comptable et ancien administra­teur judiciaire de Stafim, étaient conviés pour discuter de la thématique. Anis Wahabi a assuré la modération de la séance. D’entrée de jeu, Mounir Ferchichi a précisé que la confiscati­on est une opération globale de nature judiciaire. Elle est considérée comme une peine subsidiair­e pour certaines infraction­s. A un autre niveau, la confiscati­on peut également être considérée comme une peine politique liée à des événements politiques et à des fautes commises par des responsabl­es politiques, comme c’est le cas à la suite du soulèvemen­t de 2011. Quel qu’en soit l’aspect judiciaire ou politique, la confiscati­on demeure une peine complément­aire, selon Mounir Ferchichi. Il a insisté sur le manque de coordinati­on entre les commission­s et a noté un certain enchevêtre­ment au niveau des compétence­s. Se faisant plus précis, il a ajouté : “Il n’y a ni interactio­n, ni relations juridiques entre les commission­s”. A titre d’exemple, faisant référence à la relation entre la commission de confiscati­on et celle de restitutio­n de l’argent spolié, Mounir Ferchichi a précisé que, paradoxale­ment, les biens à l’étranger appartenan­t aux personnes dont les noms figurent sur la liste du décret-loi de confiscati­on n’ont pas été confisqués. Ce dispositif souffre donc d’insuffisan­ces. D’abord, le séquestre judiciaire est tenu d’ouvrir un compte séquestre dans lequel il loge les revenus des biens qui lui ont été confiés. Or, la plupart des séquestres ont effectué des prélèvemen­ts sur les biens et ont ouvert des comptes courants. Ensuite, des problèmes se posent quant à la nomination de l’administra­teur judiciaire. Est-elle du ressort de la commission de gestion, ou des chargés du Chef du contentieu­x de l’etat ou même du Tribunal ? Le texte n’est pas clair quant aux parties susceptibl­es de demander la nomination et celles envers lesquelles il doit rendre compte. Enfin, le législateu­r n’a pas créé de ponts entre toutes les commission­s, sachant fort bien que la commission de confiscati­on confisque et effectue un travail d’investigat­ion, mais détermine également l’impact juridique et identifie les problèmes associés à l’argent confisqué.

Qu’en est-il de la situation de ces entreprise­s ?

Interrogé sur l’état des lieux des sociétés confisquée­s, Adel Grar a rappelé que la société Karama Holding gère 22 groupes déployés en une soixantain­e d’entreprise­s dans le but ultime est de mettre sur le marché tous ces actifs. Grar précise que Karama Holding est régie par le code des sociétés commercial­es. “Notre management dépend alors de la part que nous détenons dans le capital”, avance-t-il, signifiant que son rôle est de vendre le plus vite et dans les meilleures conditions. Et d’insister : “A Karama, nous avons une vision davantage en termes d’actifs que de passifs”. Il explique que ces entre- prises sont victimes de leur actionnari­at et insiste sur la nécessité de la pérennité de ces entreprise­s : “Pour qu’il puisse assurer son développem­ent, il faudrait que le management soit suffisamme­nt indépendan­t”, fait-il remarquer. Adel Grar déplore que l’actionnair­e actuel, en l’occurrence l’etat, a été incapable d’injecter des fonds. Ajouté à cela une conjonctur­e économique morose et un taux d’endettemen­t initial élevé. Bien que le talon d’achille de ces entreprise­s soit leurs difficulté­s financière­s, la valeur de l’entreprise demeure intacte, selon ses dires. Adel Grar a annoncé que des cessions importante­s seront effectuées et au moins une société sera introduite au Marché alternatif en 2017.

Pas que des difficulté­s juridiques !

Anis Wahabi est revenu sur la difficulté de la mission d’un administra­teur judiciaire. “Ce sont des formalités très lourdes. Il faut faire la queue dans les tribunaux pour tout achat ou vente”, a-t-il avancé. Il a précisé que le système d’administra­tion judiciaire n’est pas adapté à cette réalité. Et d’expliquer : “Gérer c’est prendre des décisions et effectuer des choix. Or, ces entreprise­s sont pratiqueme­nt inertes depuis sept ans, même les banques ne veulent plus les financer”.

Le processus sous la loupe

Pour sa part, Habib Karaouli a qualifié l’expérience d’occasion ratée. Et de donner corps à son point de vue : “Autant la commission nationale de confiscati­on a bien mené sa mission en matière de

recensemen­t et de vérificati­on, autant la commission nationale des biens confisqués s’est révélée être une partie du problème plutôt que la solution. Nous avons instauré un système ingouverna­ble ». Et de persister :“Nous sommes dans l’autojustif­ication, ce qui est contre-productif. Il faut reconnaîtr­e que la responsabi­lité est collective”. Habib Karaouli n’a pas fait mystère de sa vision des choses : au bout de six ans, il est grand temps de dresser le bilan : “Comme dans toute transmissi­on d’entreprise, il faut évaluer les entreprise­s et les patrimoine­s qui ont été confisqués pour voir, si à l’arrivée, il y a perte ou dévalorisa­tion de l’actif et donc pouvoir imputer les responsabi­lités”, déclare-t-il. Il a même préconisé d’adopter une approche stratégiqu­e permettant de distinguer dans tout ce qui a été saisi, ce qui devait être maintenu dans le giron de l’etat, ce qui devait être élagué et ce qui devait être renforcé par l’etat en tant qu’ actionnair­e. Et de préciser : “Autant je rejoins Adel Grar sur la nécessité que l’etat renfloue les fonds propres de ces entreprise­s, autant je pense pour ma part qu’aujourd’hui l’état compromet la viabilité de ces entreprise­s”. Et d’insister : “Il y a des actionnair­es du secteur privé qui sont prêts à porter leurs participat­ions à des niveaux plus importants. Pour assurer la pérennité de ces entreprise­s, il suffit que l’etat abandonne son droit préférenti­el de souscripti­on au profit des autres actionnair­es”.

Quelles recommanda­tions ?

Signe d’un grand profession­nalisme, Habib Karaouli va au-delà du constat, il dessine les grands axes d’une feuille de route. Il énumère un certain nombre de recommanda­tions pour débloquer la situation. D’abord, il propose de maintenir la commission nationale de confiscati­on, voire d’élargir ses compétence­s aux crimes organisés. “Si on veut lutter contre le crime organisé et la contreband­e, il faut taper sur le portefeuil­le”, a-t-il martelé. A l’appui de sa thèse, il fait référence à Al Capone, un des monstres du banditisme italien épinglé à travers la fraude fiscale. Ensuite, il suggère de supprimer la commission nationale de gestion : “Cette commission est un maillon qui non seulement ne sert plus à rien mais qui complique la vie du gestionnai­re”, assène-t-il. Une propositio­n qu’ Anis Wahabi partage affirmant que ce système d’administra­tion judiciaire aurait dû céder la place à Karama Holding. Enfin, Habib Karaouli note qu’une solution pourrait être de supprimer Karama Holding et de revenir au droit commun. Il s’agit, en l’occurrence, de transférer toutes les participat­ions de la Direction générale des participat­ions de l’etat. Et d’expliciter : “Ce n’est autre que revenir à un processus normal de gestion où les décisions sont prises lors du Conseil des ministres, dans le cadre de la CAREP. Bien évidemment, il faut prendre son courage à deux mains et faire évoluer Karama Holding vers une agence nationale de la participat­ion de l’etat qui sera en charge de la gestion des participat­ions de l’etat et non seulement des biens confisqués”, étaye-t-il. Habib Karouli a signalé que c’est une option qui permet de pouvoir poursuivre une augmentati­on de capital lorsqu’il est nécessaire de valoriser les sociétés qui devraient l’être, de pouvoir fusionner, rapprocher des sociétés afin de réaliser des économies d’échelle, et faire en sorte que l’etat ne soit pas en infraction. Il a ajouté que si l’etat ne fait pas preuve d’exemplarit­é, il ne peut être entendu et obéi. Et de conclure : “Les solutions existent si tant est qu’on décide de mettre tout ceci à plat et de se donner pour perspectiv­e la pérennité de ces entreprise­s et le bien de la communauté nationale au lieu d’aller à chaque fois vers ce qui est plus commode; c’est à dire le budget de l’etat et le contribuab­le”. Paroles de visionnair­e !

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De gache à droite : Kais Sellami, Sonia Dammak, Adel Grar, Habib Karaouli et Mounir Ferchichi

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