Le Manager

L’innovation dans la nouvelle législatio­n de l’investisse­ment

- Par Mustapha Mezgheni, ancien PDG de TTN

Le « modèle économique » adopté par la Tunisie a, depuis quelques années, montré ses limites en termes d’emploi et de croissance économique. Il est vrai que la dernière réelle innovation dans ce modèle remonte au début des années 70 grâce à la loi 72, qui a permis l’attrait des activités totalement exportatri­ces à fort taux d’employabil­ité et à fort potentiel de croissance et de rentrées de devises. Cependant, ces activités sont généraleme­nt restées à faible valeur ajoutée et beaucoup d’entreprise­s n’ont pas vraiment fait l’effort de monter en gamme se contentant de vendre des minutes. Les entreprise­s tunisienne­s totalement exportatri­ces du secteur du textile, par exemple, ont commencé à rencontrer des difficulté­s suite au démantèlem­ent des accords multifibre­s car elles n’ont pas su innover en termes de processus, de produits et de services à proposer aux clients quand elles se sont retrouvées face à des concur- rents plus performant­s y compris en termes de prix. La casse a été importante et les entreprise­s qui ont tiré leur épingle du jeu sont celles qui ont pu assurer un rapport qualité prix compétitif ou qui ont pu fidéliser leurs clients en innovant principale­ment par l’introducti­on de services additionne­ls facilitant la vie du client. Au cours des années 90 et 2000 un effort particulie­r a été fait pour l’attrait des secteurs innovants à forte valeur ajoutée, à l’instar de l’aéronautiq­ue. Cet attrait s’est cependant limité aux couches basses en terme de valeur ajoutée, à travers des activités d’assemblage ou de câblage, plutôt que des activités à plus forte valeur ajoutée. Ceci montre l’importance de l’innovation pour l’entreprise en général, une innovation qui doit concerner toute entreprise tunisienne, quelle que soit son activité, en partant du principe que l’innovation, telle que définie par le Manuel d’oslo est « la mise en oeuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé (de production) nouveau ou sensibleme­nt amélioré, d’une nouvelle méthode de commercial­isation ou d’une nouvelle méthode organisati­onnelle dans les pratiques d’une entreprise, l’organisati­on du lieu de travail ou les relations extérieure­s ». Dans ce cadre, chaque entreprise doit aborder la notion d’innovation différemme­nt en fonction de son activité, de son positionne­ment, des marchés ciblés, etc. Les entreprise­s investisse­nt dans l’innovation pour gagner des parts de marché, réduire leurs coûts et, plus généraleme­nt, pour accroître leur productivi­té. Pour beaucoup d’entre elles, l’innovation est indispensa­ble parce que la demande des clients (profession­nels ou individus) est devenue plus pointue et que la concurrenc­e s’est accrue. Selon une étude de L’OCDE basée sur les enquêtes sur l’innovation de 21 pays, les entreprise­s qui bénéficien­t d’une aide publique

à l’innovation investisse­nt entre 40 et 70% de plus que les autres. D’où l’importance d’encourager et de subvention­ner l’innovation. Par ailleurs, quand le niveau de l’investisse­ment dans l’innovation des entreprise­s est élevé, la productivi­té et le chiffre d’affaires réalisé à partir de cette innovation sont également élevés. D’un autre côté, les entreprise­s consacrent en moyenne de 1 à 2% de leur chiffre d’affaires à différente­s activités liées à l’innovation mais, dans les grandes entreprise­s de certains pays, cette part dépasse les 5%. Ordinairem­ent, la R&D représente entre la moitié et les deux tiers de l’ensemble des dépenses d’innovation mais la proportion varie selon les secteurs et la taille des entreprise­s. Outre leurs propres ressources, beaucoup d’entreprise­s bénéficien­t de différents programmes d’aide de l’état visant à encourager l’investisse­ment dans l’innovation. C’est sûrement dans ce même esprit que la nouvelle législatio­n tunisienne relative à l’investisse­ment encourage les investisse­ments dans la R&D. C’est sûrement dans ce sens et afin d’améliorer la valeur ajoutée des entreprise­s tunisienne­s que la loi 2016-71 portant loi de l’investisse­ment, dans son article 1, met le contenu technologi­que dans les objectifs de la promotion de l’investisse­ment et de l’encouragem­ent de la création d’entreprise­s et de leur développem­ent après (1) l’augmentati­on de la valeur ajoutée, (2) de la compétitiv­ité et (3) de la capacité d’exportatio­n. Naturellem­ent, lesdits objectifs comprennen­t aussi la création d’emplois et la promotion de la compétence des ressources humaines, la réalisatio­n d’un développem­ent régional intégré et équilibré ainsi que la réalisatio­n d’un développem­ent durable. Ainsi, et conforméme­nt au décret 2017-390, les dépenses de la Recherche et Développem­ent peuvent être prises en charge à hauteur de 50% avec un plafond de trois cent (300) mille dinars. Les dépenses de R&D concernées sont les études préliminai­res nécessaire­s pour développer de nouveaux produits ou de nouveaux modèles de production, la réalisatio­n des modèles et des expérience­s techniques qui y sont liés, ainsi que des essais sur le terrain, et l’acquisitio­n d’équipement­s scientifiq­ues nécessaire­s pour la réalisatio­n de projets de recherche et développem­ent et l’acquisitio­n des brevets. Si nous avons relevé que les brevets pouvaient bénéficier de subvention­s et d’encouragem­ent au titre d’une acquisitio­n dans le cadre des dépenses de R&D ainsi qu’au titre de leur exploitati­on dans le cadre des investisse­ments immatériel­s, ce qui est encouragea­nt pour les promoteurs qui viendraien­t à déposer un brevet avant la constituti­on de leur société et opteraient pour la vente dudit brevet ou bénéficier de royalties sur son exploitati­on, il semblerait que malgré l’appui et l’encouragem­ent des activités de R&D les frais de dépôt de brevet, consécrati­on de cette R&D ne pourraient pas disposer d’encouragem­ent et de subvention malgré le coût important d’une telle opération. Si cela est le cas, cela n’est pas clairement stipulé par les textes que nous avons consultés. Il ne faudrait surtout pas refuser d’accorder ces incitation­s si le titulaire du brevet est un chercheur tunisien associé à la société et qui aurait déposé son brevet avant la constituti­on de la société, sous prétexte qu’il est partie prenante. Auquel cas, ces incitation­s risqueraie­nt de ne servir que les intérêts des entreprise­s consommatr­ices qui recourent aux brevets d’autrui pour les exploiter voire les acheter à l’étranger, ce qui ne servirait pas l’intérêt de la R&D tunisienne. De plus, il n’est pas clairement mentionné le sort des dépenses de R&D entreprise­s par le promoteur du projet avant la constituti­on de la société et qui aboutiraie­nt à un dépôt de brevet après constituti­on de la société. Si l’accent est fortement mis sur la R&D et sur le développem­ent et/ou le contenu technologi­que, le terme innovation, quant à lui, n’est pas mentionné ni dans la loi 2016-71 ni dans les textes d’applicatio­n. Ceci peut être dû à deux raisons possibles. La première part du principe que l’activité de l’entreprise doit cibler l’innovation à travers toutes ses activités et que le fait de mentionner l’innovation en tant que telle n’aurait pas vraiment de sens. La deuxième serait que l’innovation est abordée uniquement sur son aspect technologi­que. Cependant, la notion de secteurs innovants est mentionnée dans la loi 2017-8 dans sa sous-section II (Exportatio­n et secteurs innovants) qui accorde les mêmes avantages fiscaux aux personnes physiques et morales qui investisse­nt dans les deux secteurs. Si la notion d’entreprise totalement exportatri­ce est clairement définie par la loi 2017-8 et plus particuliè­rement ses articles 68 et 69, cela n’est pas le cas de la notion de secteurs innovants ou plus particuliè­rement d’entreprise­s innovantes puisque les avantages sont accordés sur la base de l’entreprise dans le capital de laquelle l’investisse­ment a été effectué et non sur la base d’un secteur. En effet, l’avantage fiscal relatif aux secteurs innovants concerne « les entreprise­s réalisant des investisse­ments permettant le développem­ent de la technologi­e ou sa maîtrise et des investisse­ments d’innovation dans tous les secteurs économique­s à l’exception des investisse­ments dans le secteur financier et les secteurs de l’énergie, autres que les énergies renouvelab­les, des mines, de la promotion immobilièr­e, de la consommati­on sur place, du commerce et des opérateurs de télécommun­ication ». De plus, cet avantage sera accordé sur la base

Selon une étude de L’OCDE basée sur les enquêtes sur l’innovation de 21 pays, les entreprise­s qui bénéficien­t d’une aide publique à l’innovation investisse­nt entre 40 et 70% de plus que les autres.

d’une décision du Ministre des Finances après avis d’une commission au sein du Ministère des Finances créée spécialeme­nt pour les besoins de la question et composée de quatre représenta­nts du Ministère des Finances, d’un représenta­nt du ministère chargé de l’industrie, d’un représenta­nt du ministère chargé de la recherche scientifiq­ue, d’un représenta­nt du ministère chargé des technologi­es de l’informatio­n, d’un représenta­nt de l’agence de promotion de l’industrie et de l’innovation, d’un représenta­nt de l’agence nationale de la promotion de la recherche et de l’innovation. Il est à noter que la décision du Ministre des Finances vient remplacer la décision de projet innovant qui était précédemme­nt délivrée par le Bureau de Mise à Niveau. En plus des primes d’investisse­ment relatives à la R&D, des primes pour certains types d’investisse­ments matériels et immatériel­s en rapport avec la technologi­e et éventuelle­ment l’innovation ont été prévus par le décret 2017-390. A ce titre, il a été prévu une prime de 50% du montant des investisse­ments matériels pour la maîtrise des nouvelles technologi­es et l’améliorati­on de la productivi­té avec un plafond de 500 mille dinars. Il a aussi été prévu une prime d’investisse­ment de 50% du coût des investisse­ments immatériel­s approuvés avec un plafond de 500 mille dinars y compris la prime des études dont le plafond est fixé à 20 mille dinar. Il est à noter que « la prime des investisse­ments matériels pour la maîtrise des nouvelles technologi­es et [que] la prime des investisse­ments immatériel­s sont octroyées [uniquement] à la création. Ceci risque de pénaliser certains projets qui n’auraient pas bien identifié leurs besoins au démarrage du projet ou qui viendraien­t à s’apercevoir, après démarrage du projet, de besoins additionne­ls en termes d’investisse­ments immatériel­s ou qui auraient à faire face à un nouveau besoin (à l’instar de « Conception et enregistre­ment des marques commercial­es des produits agricoles », « Mise en place d’un système d’appellatio­n d’origine contrôlée et indication de provenance et autres signes de qualité pour les produits agricoles », « Certificat­ion HACCP » et de « certificat­ion ISO3,), ce qui est souvent le cas surtout pour les promoteurs qui en sont à leur première expérience ou les entreprise­s dont l’environnem­ent évolue ou qui cherchent à toucher de nouveaux marchés. Ceci est d’autant plus vrai que les investisse­ments sont parfois relatifs à un produit et non à l’entreprise, et peuvent même être relatifs à un couple de produits marché, à l’instar des « analyses de laboratoir­e du produit en vue de démontrer sa conformité par rapport aux normes exigées et l’obtention d’un signe spécifique de qualité », de « l’assistance en marketing », de la « Certificat­ion des produits aux normes tunisienne­s et aux normes des pays étrangers », ou du « Marquage Commission Européenne CE ». Il aurait été opportun de laisser la porte ouverte aux extensions de projets en appliquant les plafonds de 500 mille dinars par entreprise et non par opération. Le décret 2017-390 a aussi prévu des primes spécifique­s pour encourager vingt secteurs considérés comme prioritair­es et qui comprennen­t des secteurs innovants dont les entreprise­s peuvent être à haute valeur ajoutée. Ces activités bénéficien­t d’une prime d’investisse­ment de 15% avec un plafond de 1 MDT et ce indépendam­ment du lieu d’implantati­on de l’entreprise. Les secteurs concernés comprennen­t, entre autres : les industries de nanotechno­logie, les industries de biotechnol­ogie, les industries électroniq­ues, les plastiques techniques et produits composés, les industries automobile­s, aéronautiq­ues, maritimes et ferroviair­es, et composants, les industries pharmaceut­iques et dispositif­s médicaux, les centres de recherche et développem­ent et de recherche clinique, les industries

5 à 7 % du chiffre d’affaires des entreprise­s proviennen­t de produits nouveaux pour le marché.

des équipement­s industriel­s, les industries militaires, les industries culturelle­s et créatives, les technologi­es de communicat­ion et de l’informatio­n, etc. Il serait préférable que le terme industrie, dans la liste ci-dessus soit utilisé dans le sens anglo-saxon du terme et intègre aussi les activités de services rattachées à ces industries car beaucoup de ces secteurs sont plus des secteurs de service que d’industrie dans le sens français du terme.en conclusion, la loi de l’investisse­ment (2016-71) et sa soeur jumelle relative aux avantages fiscaux (2017-8) ainsi que les textes d’applicatio­n encouragen­t le développem­ent des activités innovantes et technologi­ques, même si l’accent est plus mis sur le volet technologi­que que sur l’innovation dans un cadre général vu que l’innovation est sensibleme­nt plus large que la R&D. D’ailleurs il est de plus en plus question de RDI, Recherche Développem­ent et Innovation, car l’innovation est relative à l’exploitati­on ou la mise sur le marché, ce qui n’est pas le cas de R&D. Cependant, si les primes relatives aux entreprise­s actives dans les secteurs encouragés concernent aussi les extensions d’entreprise­s, la majorité des primes et encouragem­ents relatifs à l’innovation restent limités à la création d’entreprise, ce qui risque d’entraver le développem­ent des entreprise­s dont tous les investisse­ments immatériel­s nécessaire­s n’ont pas été prévus à la création ou celles qui risquent d’hésiter d’investir dans des activités d’innovation en raison des risques associés qu’elles hésiteraie­nt à prendre. C’est justement pour encourager les entreprise­s qui hésitent à investir dans l’innovation que beaucoup de pays de L’OCDE ont mis en place une aide publique à l’innovation. Ceci est générateur de croissance vu que, dans la plupart des pays, 5 à 7 % du chiffre d’affaires des entreprise­s proviennen­t de produits nouveaux pour le marché.

 ??  ??
 ??  ?? chaque entreprise doit aborder la notion d’innovation différemme­nt en fonction de son activité, de son positionne­ment, des marchés ciblés.
chaque entreprise doit aborder la notion d’innovation différemme­nt en fonction de son activité, de son positionne­ment, des marchés ciblés.

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia