Douja Gharbi : «Un tournant historique»
DOUJA GHARBI, 1ÈRE VICE-PRESIDENTE DE LA CONECT SUR LA LUTTE ANTICORRUPTION
À l’occasion du siminaire sur « Le secteur informel transfrontalier : ampleur et impact sur l’économie tunisienne », Douja Gharbi est revenue sur la position de la Conect concernant l’économie parallèle. Interview.
Quel est l’impact du secteur transfrontalier parallèle sur la santé de vos adhérents ?
Je tiens tout d’abord à souligner que le commerce transfrontalier parallèle qui afflige notre pays a pris une ampleur inquiétante avec l’augmentation exponentielle depuis 2011 de son volume et de son champ d’action. D’un simple trafic illicite frontalier limité à une gamme réduite de produits dont surtout le tabac et le pétrole et à certains habitants des zones frontalières, le commerce parallèle s’est transformé en réseaux multinationaux, transfrontaliers, complexes et multidimensionnels avec des enjeux financiers de très grande échelle et des rapports d’intérêts certains avec le terrorisme et la violence qui constituent les piliers de son existence et de son développement. C’est ainsi qu’en quelques années seulement la part de l’économie parallèle est passée à plus de 54% du volume global des transactions économiques en Tunisie, selon les estimations des experts et même des milieux officiels ! Des secteurs stratégiques qui constituaient les fleurons de l’économie tunisienne à l’instar du textile et du cuir et chaussures sont devenus des secteurs en butte à de graves difficultés. Le phénomène s’est amplifié avec l’absence de réaction des autorités concernées et la mise en place de mesures adéquates pour faire face à ces menaces et protéger des acquis stratégiques à caractère non seulement économique mais aussi social et de souveraineté économique nationale. Personnellement, ce qui m’inquiète le plus c’est que malgré nos appels successifs lancés depuis 2012, les réactions ont tardé, la situation des entreprises s’est gravement détériorée engendrant des fermetures, des départs vers des destinations concurrentes et la perte d’emplois. Par ailleurs, la récente campagne de lutte contre la corruption, la contrebande et le marché parallèle lancée par le Chef du Gouvernement est pour nous à la CONECT et pour nos adhérents le salut que l’on attendait non seulement pour nos entreprises mais aussi pour notre économie et pour notre pays. Notre organisation «la CONECT» en sa qualité de patronat d’entreprises citoyennes a immédiatement adhéré et appuyé l’initiative du Chef du Gouvernement et apporter tout son concours à l’action du Gouvernement pour réussir cette campagne, renforcer l’autorité de l’etat, assurer l’application de la loi à tous et faire face à tout ce qui peut affecter la sécurité et la stabilité du pays.
C’est ainsi qu’en quelques années seulement la part de l’économie parallèle est passée à plus de 54% du volume global des transactions économiques en Tunisie, selon les estimations des experts et même des milieux officiels ! La situation est tellement grave que des actions immédiates, audacieuses et rigoureuses sont devenues inévitables.
Seriez-vous d’accord pour l’abrogation des droits de douane pour limiter la corruption dans le secteur transfrontalier ?
Les droits de douane constituent l’un des moyens tarifaires pour lutter contre le commerce parallèle transfrontalier. Certes l’harmonisation des droits de douane avec les pays limitrophes contribuerait à lutter contre ce phénomène mais elle ne peut permettre à elle seule de le contrer. D’autres moyens sont nécessaires !
Que proposez-vous comme actions immédiates ?
Nous ne pouvons combattre ce phénomène avec les palliatifs classiques, la sensibilisation et les demi-mesures. La situation est tellement grave que des actions immédiates, audacieuses et rigoureuses sont devenues inévitables. Nous devons faire des choix clairs en continuant avec le commerce parallèle, la contrebande et le laisser-aller ou réagir et opter de manière résolue pour l’économie structurée, les emplois décents et le développement inclusif et durable. La réponse est évidente. Imaginez ce que peut gagner le pays en termes de droits de douane et de recettes fiscales si l’on arrive à intégrer même de manière progressive les 50% de l’activité économique réalisée dans le parallèle ? On pourrait, tout simplement, dégager de nouvelles ressources pour le développement, réduire le taux d’endettement à des niveaux raisonnables et donner une autre image du climat des affaires dans notre pays. Ces facteurs auront certainement un effet direct et immédiat sur l’investissement local et extérieur. L’action la plus audacieuse et la plus pertinente que nous avons toujours souhaitée vient d’être décidée par le Chef du Gouvernement avec le lancement de la campagne de lutte contre la corruption, le marché parallèle et la contrebande. C’est à mon avis un tournant historique qu’il faut renforcer et réussir par la persévérance et l’adhésion générale de tous les Tunisiens. Il ne s’agit réellement pas de campagne limitée dans le temps mais d’une vraie culture de respect de la loi, de l’autorité de l’etat et de lutte contre la corruption et le marché parallèle qu’il convient de développer. Cette action qui doit toucher tous les intervenants sans exception aura des effets rapides et directs surtout que le plus gros du commerce parallèle et de la contrebande transite en réalité par les passages ordinaires et habituels c’est à dire les ports et les aéroports. Il y a lieu aussi d’engager une grande action de rationalisation de nos importations en concertation avec les organisations professionnelles concernées afin d’éviter les importations de produits superflus sans affecter les conditions d’importation des intrants et des équipements nécessaires. D’autres moyens non tarifaires doivent également être mis en oeuvre rapidement. Il s’agit surtout des contrôles de provenance, de qualité et de respect des normes pour les produits importés. Il convient également de mettre en application les clauses de sauvegarde qui sont souvent prévues par les conventions internationales et bilatérales que notre pays a signées avec nos partenaires et de négocier avec les pays concernés les moyens et les programmes permettant d’assurer un meilleur équilibre des échanges commerciaux et de réduire de manière structurelle les déficits au niveau des échanges par le lancement de projets en partenariat avec les pays concernés qui seront destinés aux marchés des deux parties et d’autres partenaires, notamment sur les marchés africains et l’union Européenne.