90% des agriculteurs ne savent pas comment s’y prendre pour optimiser leurs activités.
Travers une étude effectuée en 1999, couvrant l’ensemble du territoire tunisien. Il s’agissait de la manière d’optimiser l’exploitation des terres en fonction de la qualité du sol, de la pluviométrie et de bien d’autres éléments. Notre intérêt, en tant qu
Parlez-nous de la nature de la relation que vous entretenez avec les agriculteurs ? Notre société Comptoir multiservices agricoles (CMA) leur fournit la semence et les intrants et récupère ensuite auprès d’eux les céréales. En fait, ce régime ou système impliquant cette relation de partenariat existe en Europe et aux Etats-unis où il a donné d’excellents résultats. A cet effet, il faut signaler que nous avons besoin du soutien du gouvernement qui est en train de subventionner uniquement les semences des autres semenciers, à savoir les sociétés semi-étatiques. Pourtant, je dois dire que le ministre de l’agriculture, M. Samir Ettaieb est à l’écoute . J’aimerais à ce titre vous dire que nous vendons le quintal à 140 dinars alors que le semencier le vend à 97 dinars ! Encore heureux que nous puissions vendre notre produit qui d’ailleurs fait un tabac sur le marché grâce à son excellente qualité et les rendements avérés sur terrain.
Revenons sur l’appel que vous avez lancé à l’adresse du gouvernement. Si votre appel est entendu quel en serait l’impact notamment sur les agriculteurs ? Laissez-moi vous dire d’abord que 90% des agriculteurs ne savent pas comment s’y prendre pour optimiser leurs activités. Quant à l’impact, je peux vous confirmer que sur une période de 5 ans, nous pouvons facilement créer 150 mille emplois dans l’agriculture. D’ailleurs, nous avons formulé une proposition que nous avons adressée aux deux présidences : au chef du gouvernement et à M.le Président de la République pour leur dire d’élever le niveau de la prime d’emmagasinage afin d’en finir avec la culture de la perte. Il faut passer à la vitesse supérieure. Si l’on veut réussir, il faut gagner de l’argent. A ce titre, nous nous sommes engagés auprès du gouvernement à recruter 5 personnes (entre ingénieurs et techniciens) pour chacun des 200 centres de collecte qui formeront à leur tour l’agriculteur. De ce fait, ce dernier comprendra qu’il lui faudra recruter à son tour un technicien qui pourra l’aider dans son activité. Les agriculteurs ne pourront recruter que s’ils commencent à gagner de l’argent. Venons-en maintenant à la phase d’achat de Spiga et Diari, quelles étaient les motivations ? Il faut dire que nous avions déjà mené une étude pour la création d’une deuxième minoterie ainsi qu’une usine d’aliment de bétail. Et lorsque l’opportunité s’est présentée à Sfax avec deux minoteries et une usine d’aliment de bétail, nous l’avons saisie. Les groupes Spiga et Diari nous les avons achetés en 2008 auprès du groupe Affès et j’ai supervisé moi-même cette opération. J’y avais vu un potentiel de développement remarquable dans ces deux groupes. Ce potentiel, en particulier au niveau de l’outil de production, est à un point tel que les chiffres qui ont été réalisés représentaient le double de ce que j’avais prévu au moment de l’achat. Nous avions donc un débouché, couscous Diari, avec une production de 1600 tonnes par mois, un chiffre que nous avons élevé à 2400 t avec quelques investissements d’appoint et en peu de temps. Nous avons également investi dans une 6ème ligne qui à elle seule produit 1800 tonnes de couscous. Au total, nous sommes passés à 4200 tonnes par mois de production de couscous. Nous avons également p u créer une synergie entre les deux pôles, celui de Sousse et de Sfax de manière à ce que lorsque nous avons un surplus de commande à Sousse, nous le transférons à Sfax et inversement. Cette configuration a fait que nos minoteries et usines de pâtes et couscous travaillent à plein régime.
Comment expliquez-vous cette explosion de l’activité ? Effectivement, nous sommes leaders sur le marché, nous en détenons 30%. Le statut de leader se mérite, donc nous devons innover. De ce fait, nous avons créé dernièrement les pâtes intégrales qui sont un excellent produit. Nous avons sollicité un laboratoire français pour effectuer une comparaison au niveau de la qualité avec le géant Barilla, et une autre marque italienne. Il en est ressorti que notre pâte longue est la meilleure et nous étions les seconds après la marque Barilla, pour ce qui est des pâtes courtes. Nous savons que notre produit est d’excellente qualité : la force de notre groupe réside dans notre propre diagramme de trituration des céréales. Notre diagramme « Rose Blanche » nous permet d’avoir le meilleur
Au bout de la chaîne, comment s’organisent la distribution et l’emballage? Nous assurons toute la chaîne du traitement de la semence jusqu’à l’étalage. N ous avons notre propre société de distribution de porte à porte qui fait de la vente directe aux épiceries dans les grandes villes à l’instar de Sfax, Mahdia, Sousse, Tunis et Cap Bon. Les deux autres canaux de distribution sont les grossistes et les grandes et moyennes surfaces pour lesquelles il y a des synergies avec la filière volaille. Pour l’emballage, nous avons également notre propre société « Flexoprint » à Sfax que nous avions achetée, redressée et développée en effectuant des investissements pour changer tous les équipements.
En rachetant cette société vous avez été obligé d’investir, quel en est le but ? En fait ce qui s’est passé dans ce cas précis est qu’en 2007, un incendie s’est déclaré et a endommagé une machine que nous avions remplacée avec l’indemnisation que nous avions reçue de l’assurance. Toutefois, avec cette nouvelle machine et une autre plus ancienne datant de 1994, nous n’arrivions pas réellement à atteindre le seuil de rentabilité et donc nous avions vendu l’ancienne à notre fournisseur et avions acheté une nouvelle machine à haute technologie portant ainsi notre capacité installée à 400 tonnes. Cela a fait qu’en 2011, la société est devenue bénéficiaire. Par l’effet de synergie elle produit à 45% pour le groupe et à 55 % pour les autres. Aujourd’hui elle réalise 300 tonnes par mois largement au-dessus du seuil de rentabilité.
Est-ce que vous exportez ? Nous exportons des pâtes et du couscous. Pour notre unité à Sfax, l’exportation est de l’ordre de 70% à destination de la Libye et de l’afrique subsaharienne. En ce qui concerne Warda, Le chiffre d’affaires à l’export est de l’ordre de 30%. Nous vendons au Maroc, en Corée du Nord, au Japon, en Australie et notamment en Afrique subsaharienne.
Pouvez-vous nous parler de la deuxième filière, celle de l’alimentation animale ? Nous avons commencé à importer de la matière première pour l’alimentation animale en 1996. Nous avons à cet effet créé Produisez- vous des compléments minéraux vitaminés –CMV- ? Effectivement, s’agissant des CMV, nous avons notre propre unité à Soliman qui nous les fournit. Cela étant, nous traitons avec deux grands laboratoires français auprès desquels nous achetons nos ingrédients et nous faisons faire approuver toutes nos formules pour l’optimisation.
C’est dans ce sens que vous avez également acheté la marque « Mliha » Tout à fait cela se passait en 2014. Nous étions face à deux choix : soit investir, sachant que le marché est devenu exigu, soit racheter. Nous savions que la société était confrontée à un certain nombre de problèmes que nous avions pris l’habitude de gérer. Hélas, nous avions joué de malchance, car le secteur de la volaille a connu une période creuse qui survient de manière cyclique tous les 7 à 8 ans environ. Celle-ci dure en général entre 6 mois et 1 an et demi. L’ennui est que cette fois elle a duré 4 années. Au lendemain de la révolution, une réelle anarchie s’est installée dans le secteur. De nombreux éleveurs s’y sont incrustés et cela a conduit à un vrai désastre, notamment pour certains agriculteurs. L’autre souci est que d’importantes quantités de poussins ont été introduites sur le marché de manière illicite en provenance d’algérie qui connaissait un surplus de production, ce qui a inondé le marché tunisien et conduit à une baisse significative des prix, qui ne couvraient même pas le coût de revient ; d’autres produits de la même famille ont connu le même sort. Heureusement, aujourd’hui le secteur reprend. Notre part de marché est autour de 16% et notre objectif est d’atteindre les 20%.
Le groupe comprend 26 sociétés et 2800 personnes, qu’en est -il de son organisation ? En fait, dès le tout début je me suis mis d’accord avec M. Kamel Belkhiria sur le fait que nous devrions changer tout le système d’information tout en consacrant la transparence totale. Ce qui m’importait le plus était l’optimisation du rendement de l’outil de production et cela je ne pouvais l’obtenir qu’en mettant en place une transparence totale au niveau des chiffres. Afin d’y arriver, nous avons opté pour X3 comme ERP et que nous avons installée dans toutes les sociétés. Il fallait également une comptabilité analytique ainsi que la centralisation des départements tels que l’audit, le juridique, l’organisation, le marketing, les
années, les USA avaient taxé les sociétés au-dessus de la moyenne des pays riches. À mon avis, il faut considérer ces hausses dans leur contexte. Par ailleurs, Plusieurs mesures nécessaires pour relancer l’économie tunisienne ne seront pas populaires dans le court terme. C’est au gouvernement de mieux expliquer leur utilité et de créer le soutien nécessaire autour d’elles.
Selon vous, quels sont les fondements d’une démocratie ? De mon point de vue, je pense qu’une démocratie repose d’abord, sur la mise en place d’un Etat moderne, à égal distance de tous les citoyens et qui arrive à maitriser la corruption. Ensuite, vient l’application de la loi et le respect des procédures par tous les citoyens. Enfin, il y a lieu de citer la redevabilité démocratique, c’est à dire la tenue des élections, qui est l’élément le plus facile dans un processus démocratique.
Dans une économie émergente, que devrait-être le rôle de l’etat: patron ou gestionnaire ? Le gouvernement doit assurer le respect des lois, notamment celles portant sur la protection de la propriété, et l’exécution des contrats. Il s’agit des fondements de l’activité économique sans lesquelles il n’y ni investissements ni échanges commerciaux. Le gouvernement doit aussi garantir la stabilité politique, mettre en place l’infrastructure adéquate et fournir les services de base tels que la santé, l’éducation, etc. Le gouvernement doit également jouer un rôle régulateur, mais sans que cela donne naissance à une régulation excessive qui risque de ralentir l’activité économique.
Y a-t-il une relation entre le système politique et la croissance économique? Il y a certainement une relation, mais elle est très complexe à appréhender. De fait, certains pays démocratiques ont connu une grande croissance alors que d’autres ont échoué. C’est aussi le cas avec les régimes autoritaires. Si l’état n’a pas la capacité de fournir les services de base que je viens de citer, peu importe le degré de démocratisation du régime, car il n’y aura certainement pas de croissance. Ceci est d’autant plus vrai dans les pays en voie de développement. Les démocraties ont cependant l’avantage d’une plus grande stabilité sur le long terme.
Aujourd’hui, l’etat doit entreprendre des réformes douloureuses, toutefois, depuis la révolution l’etat fait face à des tensions sociales. Devrait-il adopter une pédagogie particulière? Les gouvernements ne sont généralement pas de bons pédagogues quand il s’agit d’expliquer les compromis entre les conséquences de court terme et les bienfaits de long terme de leurs politiques. D’après ce que j’ai vu, la Tunisie dispose de politiques sociales développées qui ressemblent à ceux de pays riches comme la France ou la Suède. Certes, tout le monde aimerait bien avoir une meilleure sécurité sociale, mais la Tunisie est un pays pauvre qui ne peut pas se permettre certaines de ces politiques trop accommodantes. C’est au gouvernement de penser à la viabilité de ces mesures sur le long terme. À mon avis, il faut que le développement des politiques sociales d’un pays soit conforme au niveau de l’industrialisation et des revenus, etc. Il faut faire attention sur ce point car plusieurs pays européens avaient le même niveau de sophistication du système de sécurité sociale que la Tunisie avec des moyens comparables et qui ont vécu des crises à long terme. La tâche du gouvernement est de faire comprendre que ces politiques sociales ne doivent pas limiter la croissance économique car c’est cette croissance qui va en fin de compte permettre de créer la société à laquelle aspirent les Tunisiens.
Vous avez cité dans l’un de vos articles que les pays qui atteignent les 6k dollars de GDP per capita deviennent plus sensibles aux valeurs démocratiques. Pensez-vous que la Tunisie est dans ce cas? Non, la Tunisie a besoin d’être un pays encore plus riche pour s’assurer que la démocratie soit bien enracinée. Et même pour les pays riches, aucune garantie n’existe pour contrer les dérives autoritaires. Regardez ce qui se passe par e xemple aux États-unis où plusieurs de nos institutions
démocratiques sont menacées à cause de la montée du populisme. Je pense que cette montée rapide du populisme est due
partiellement à la montée de la globalisation et aux grands
changements économiques et sociaux qui en ont découlé. Une grande partie de la croissance ainsi créée n’a pas été distribuée de façon équitable. De plus, les emplois de la classe moyenne dans les pays riches ont été délocalisés dans les pays pauvres. Cela a créé une grande tension au niveau politique. Il faudra se doter de plus de flexibilité pour pouvoir gérer ce processus.
Selon vous, quelles sont les mesures les plus urgentes pour la Tunisie? Il faut commencer par mettre en place les politiques et les structures qui vont créer de la croissance. Il s’agit de renforcer l’application de la loi, de réduire la corruption, de libéraliser encore plus de secteurs et de rendre plus flexible le marché de l’emploi. Cela ressemble à l’agenda de Macron pour la France, sauf que la Tunisie n’a pas les moyens nécessaires pour soutenir ses politiques sociales.
Le mot de la fin? Je pense que pour asseoir une démocratie il faut bien plus que des votes et des élections. La croissance économique et la créations des emplois sont indispensables. Plusieurs nouvelles démocraties échouent de ce fait. La réussite de l’expérience tunisienne est tributaire de la réussite du gouvernement à pouvoir réaliser de la croissance et à renforcer les institutions.