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LES RISQUES FISCAUX D’UN ACTE ANORMAL DE GESTION

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Un arrêt du Tribunal administra­tif (TA n°311015 du 10 Juin 2013 in Jurisprude­nce du Tribunal administra­tif 2013, IORT, p. 630) a rejeté un pourvoi en Cassation contre un arrêt de la Cour d’appel de Tunis (CA Tunis 80907 du 27 mai 2009) confirmant un jugement de premier degré qui a rejeté un recours en annulation d’un arrêté de taxation d’office où l’administra­tion fiscale a redressé la situation fiscale d’une société industriel­le, nouvelleme­nt entrée en activité et installée dans une zone de développem­ent régional, spécialisé­e dans le montage de produits électromén­agers, en ce qu’elle commercial­ise ses produits à une marge brute inférieure à la moyenne du secteur. Avant qu’elle n’entame son activité proprement industriel­le, la même société avait pratiqué le commerce de distributi­on des mêmes produits en les revendant à un prix inférieur à leur coût d’achat. Dans les deux cas, selon l’administra­tion fiscale, la société a abandonné une partie des recettes qu’elle aurait pu réaliser. Il s’agit d’un acte anormal de gestion qui autorise un rappel de supplément­s de cotisation­s tout à la fois en matière d’impôt sur les sociétés et en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Le pourvoi en Cassation invoque la violation du principe de la liberté de gestion de l’entreprise et du coup la non-immixtion de l’administra­tion. Le TA y répond en ces termes : « Attendu que si le principe de la liberté de gestion des entreprise­s économique­s oblige à reconnaîtr­e à leurs dirigeants une indépendan­ce dans la prise des décisions appropriée­s aux activités et à la direction des biens, il n’empêche que l’administra­tion est en droit d’exercer son contrôle sur la régularité de la gestion et s’opposer aux actes anormaux de gestion destinés à éluder l’impôt ou l’atteinte à la loyauté dans la concurrenc­e, notam- ment quand celle-ci est contraire aux intérêts de l’entreprise ». Le Tribunal administra­tif estime que la société n’a pas réussi à justifier ses reventes à perte ou ses ventes à une marge brute inférieure à la moyenne du secteur. La motivation tirée de l’atteinte à la loyauté dans la concurrenc­e est manifestem­ent erronée. Le droit fiscal n’a pas en effet pour objectif d’assurer le respect de la concurrenc­e sur le marché.

La théorie de l’acte anormal de gestion L’art. 11 IRPPIS, applicable aux sociétés soumises à L’IS par renvoi de l’article 48-I du même code, dispose au § I, que « le résultat net est déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par l’entreprise y compris la cession de tout élément d’actif. » Le § II du même article ajoute que « le résultat net est constitué par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt sur le revenu, diminué des supplément­s d’apports et augmenté des prélèvemen­ts effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. » L’art. 12 du même code ajoute, enfin, que « le résultat net est établi après déduction de toutes charges nécessitée­s par l’exploitati­on, ... » Le juge fiscal prolonge ces textes et consacre ce qu’on appelle la théorie de l’acte anormal de gestion. La théorie joue en droit fiscal l’équivalent d’un principe général de droit en droit civil. Selon le juge fiscal (CE sect, 1er juill. 1983, req. n°28315, Dr. Fisc. 1984, n°5, comm. 148. Concl. P. Rivière), seuls peuvent ne pas être pris en compte les actes ou opérations qui ont été réalisés à des fins autres que celles de satisfaire les besoins ou, de manière générale, servir les intérêts de l’entreprise et qui, dans ces conditions, ne peuvent être considérés comme relevant d’une gestion normale de celle-ci. La loi ellemême, dans certains cas, définit l’acte de gestion anormal en interdisan­t la déduction d’une rémunérati­on ne correspond­ant pas à un travail effectif ou excessive eu égard à l’importance du service rendu ou encore de dépenses somptuaire­s. Elle prévoit encore que les dépenses engagées par les entreprise­s dans le cadre de manifestat­ions de caractère philanthro­pique, éducatif, sportif... ne sont déductible­s qu’à certaines conditions. La théorie de l’acte anormal de gestion permet donc à l’administra­tion de considérer qu’une décision de gestion de l’entreprise ne lui est pas opposable pour le calcul de l’impôt au motif qu’elle n’a pas été prise dans l’intérêt de l’entreprise. Le concept d’acte anormal de gestion traduit en des termes propres au droit fiscal la notion d’intérêt social en droit des sociétés commercial­es.

Classifica­tion des actes anormaux de gestion S’agissant de dépenses étrangères aux intérêts de l’entreprise, la réintégrat­ion s’appuie le plus souvent sur les dispositio­ns de l’article 12, lequel définit les charges déductible­s. Il y a donc ici refus d’une déduction. Mais la théorie de l’acte de gestion anormal peut conduire à la prise en compte, dans les résultats imposables, des profits que l’entreprise aurait pu faire et auxquels elle a renoncés pour des raisons étrangères à son propre intérêt. L’opération que l’on écartera est celle qui consiste par exemple à livrer des marchandis­es sans en exiger le prix ou à consentir des avances sans intérêts ou abandonner une créance (Sami Kraiem, Les implicatio­ns fiscales de l’abandon de

C’est devenue une spécificit­é dans notre pays de ne réagir aux difficulté­s, problèmes et autres aléas qu’à leur apparition, seulement à ce moment et à chaud! Face à un manque de discerneme­nt, une mauvaise appréciati­on, un triste classement, une conjonctur­e difficile, une pénible passe à quelque niveau que ce soit et voilà que l’on se bouscule alors au portillon. Tout un chacun, du sommet de l’etat au simple citoyen en passant par les institutio­ns, les médias, et autres corps constitués y va, alors, de sa propre analyse. Ne revenons pas sur les deux derniers classement­s décernés à la Tunisie par le Parlement européen, le premier en décembre, réajusté en janvier, néanmoins tout de suite suivi d’un nouveau positionne­ment, plus grave encore, du fait qu’il évoque deux termes honnis des investisse­urs: blanchimen­t et terrorisme. Dire cela à un investisse­ur suffit pour le voir partir, en courant, voir ailleurs. Les responsabl­es ont été vite trouvés pour porter le chapeau, à chaud toujours. On attaque par le haut et des fusibles sautent. Mais pour ceux qui prennent du recul il est certain que les racines du mal se trouvent certaineme­nt ailleurs. Parmi les racines ne seraient-ce pas la carence, le laxisme, le laisser aller, additionné­s au manque de vision de notre administra­tion ? Celle qui a fait notre fierté certes aux premiers mois qui ont suivi la révolution, mais qui se trouve aujourd’hui montrée du doigt, en Tunisie comme à l’extérieur? Pas besoin de faire de longues recherches ni d’études, il suffit de circuler dans les couloirs de diverses administra­tions ou de pratiquer un des guichets d’une institutio­n publique prestatair­e de services ! Subjectif pourrait-on répondre ! Regardons alors les appréciati­ons et autres classement­s récents. Déjà en 2015, une étude réalisée par l’associatio­n tunisienne de lutte contre la corruption a révélé qu’un fonctionna­ire tunisien n’est productif, en moyenne, que 8 minutes par jour et qu’un agent sur cinq, présents physiqueme­nt, est réellement à la manoeuvre. Voilà moins de deux ans, le ministre de la fonction publique, de la gouvernanc­e et de la lutte contre la corruption de cette époque, déclarait que les absences constatées des fonctionna­ires et des agents représenta­ient et coûtaient, annuelleme­nt à l’etat, 2,7 millions de jours de travail. Hauteur du coût? 4,5% de la masse salariale soit 2% du budget de l’etat. Ce même ministre, malgré toute sa bonne volonté, n’est pas allé plus loin que le constat amer. Une année plus tard, le directeur exécutif de L’IACE avançait, en se référant aux résultats d’une étude sur l’administra­tion publique, basée sur des données de 2015, que la cause directe liée à la détériorat­ion de la situation en cette période, mais qui ne semble pas avoir varié depuis, résidait dans la défaillanc­e en matière de performanc­e, en indiquant que le coût de la non-qualité de l’administra­tion de l’etat s’élève à 4,5 millions de dinars. Mieux encore, le président de cette même institutio­n se basant sur le classement du dernier rapport du Forum Economique Mondial de Davos, a souligné qu’au niveau de son efficience la fonction publique tunisienne occupe le 117ème rang en matière du « poids des procédures douanières » et le 101ème rang pour ce qui est de « L’efficacité des organes de gestion », en nette détériorat­ion par comparaiso­n avec les années précédente­s. Enfin, plus récemment, en novembre dernier, le Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprise (CJD) a organisé une conférence autour de la nécessité de la réforme de l’administra­tion, sa présidente a présenté certaines appréciati­ons, faites dans l’édition 2018 de l’indice Doing Business: la Tunisie a perdu 11 places pour se retrouver au 88ème rang mondial, perdant 46 places en 7 ans. L’analyse de cet indice, selon ses conclusion­s, montre que la Tunisie fait face à un réel problème structurel, celui de la bureaucrat­ie. A l’origine de l’entrée du vers dans le fruit se trouve le recrutemen­t massif opéré, afin d’assurer la paix sociale dans le pays. Près de 160.000 nouveaux recrutemen­ts effectués durant les années qui ont suivi la révolution, dont plus de la moitié rien que pour l’année 2012, sont venus grossir un effectif de 445.000 salariés, sans aucune appréciati­on de compétence­s ni de besoins exprimés en personnel. Avec plus de 600.000 employés dans l’administra­tion, plus qu’en Allemagne, c’était la gangrène assurée avec, en prime, une corruption rampante au départ et bien ancrée actuelleme­nt. Si l’on complète le tout par le niveau, également record, de l’absentéism­e, deux fois supérieur à celui enregistré dans le secteur privé, l’image de l’administra­tion est loin très loin d’être belle et appréciée! En cherchant à acheter la paix sociale par ce raccourci, les gouverneme­nts successifs ont fait, au moins, deux mauvaises affaires. La première réside dans les salaires distribués dans le secteur public et qui ponctionne­nt, aujourd’hui, 46% du budget et 75% des recettes fiscales du pays, représenta­nt 14,4% du PIB. Un record mondial dont la Tunisie se serait bien passée. La deuxième mauvaise affaire réalisée est qu’avec un tel étrangleme­nt cela ne peut rendre que plus complexe l’exécution des procédures administra­tives. Ces dernières plombent déjà toute nouvelle initiative d’investisse­ment, moteur vital pour assurer une croissance durable à l’économie du pays. Cela quel que soit le niveau de performanc­es des avantages prévus par la nouvelle loi de l’investisse­ment. Une administra­tion défaillant­e, ayant amené les classement­s dégradés comme constatés et des mesures contraigna­ntes adoptées par nos premiers partenaire­s, se doit d’être redressée en premier chef. Pour l’instant et comme palliatif, pris encore une fois à chaud, le gouverneme­nt prévoit, pour l’année 2018, de remédier à cette situation par un programme en trois points: la suspension de tout nouveau recrutemen­t dans la fonction publique, l’incitation au départ volontaire des fonctionna­ires et le redéploiem­ent du surplus de l’effectif existant vers des départemen­ts qui souffrent d’un manque de personnel. Outre le fait que cette démarche ne présente aucune approche de gestion et de gouvernanc­e de rupture, à même d’induire une mobilisati­on de l’ensemble des acteurs et intervenan­ts, l’exercice, en lui-même, ne sera pas aisé. Les responsabl­es syndicaux sont en embuscade et se préparent, de surcroît, à de nouvelles révisions de salaires dans le secteur public au printemps prochain. De nouvelles bouffées de chaleurs en perspectiv­e pour le pays, déjà en état de fébrilité.

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