Le Manager

Loi bancaire et administra­teurs indépendan­ts éligibilit­é, prérogativ­es et zones d’ombre

- Par Sami Frikha Avocat et enseignant universita­ire

La notion d’administra­teur indépendan­t. L’alinéa 1er de l’art 47 de la loi du 11 juillet 2016, relative aux banques et aux établissem­ents financiers, exige que le conseil d’administra­tion d’une banque soit composé «au moins de deux administra­teurs indépendan­ts des actionnair­es.» La notion d’indépendan­ce est envisagée d’une manière restreinte vis-à-vis des actionnair­es, mais l’al. 3 du même article la définit d’une manière extensive en la situant non seulement dans les rapports entre l’administra­teur et les actionnair­es mais aussi dans les rapports avec l’établissem­ent et ses dirigeants. L’administra­teur désigné en cette qualité ne doit pas être lié à ces différente­s parties par une «relation de quelque nature qu’elle soit… de nature à toucher l’indépendan­ce de sa décision ou...le mettre dans une situation de conflit d’intérêts actuel ou probable.» L’administra­teur indépendan­t ne doit pas être confondu avec l’administra­teur représenta­nt les petits actionnair­es. Ce dernier terme renvoie à la notion de « public » telle que définie par la réglementa­tion du marché financier, et plus spécialeme­nt le règlement général de la Bourse qui définit les conditions de la cotation des titres de capital sur l’un des marchés de la Bourse.

Le défaut d’indépendan­ce. La loi de 2016 délègue un pouvoir réglementa­ire à la Banque centrale de Tunisie : le pouvoir de définir concrèteme­nt le défaut d’indépendan­ce. La circulaire aux banques n°2011-06 du 20 mai 2011, prise sous l’empire de l’ancienne loi de 2001 relative aux établissem­ents de crédit et qui continue à s’appliquer, énumère les situations suivantes : - être lié par des liens avec l’établissem­ent au sens de l’article 23 de la loi n°2001-65 relative aux établissem­ents de crédit. Cet article 23 est aujourd’hui abrogé mais il a pour équivalent l’article 43 de la loi de 11 juillet 2016 ; - avoir une participat­ion directe ou indirecte dans le capital de l’établissem­ent, - faire partie des salariés de l’établissem­ent ; - exercer depuis moins d’une période de 9 ans un mandat de membre représenta­nt les intérêts des actionnair­es dans ledit conseil ; - exercer depuis une période de moins de 6 ans un mandat de commissair­e aux comptes dans l‘établissem­ent. La même circulaire prévoit également la situation où l’administra­teur est choisi parmi ‘’les clients, fournisseu­rs ou prestatair­es de services significat­ifs de l‘établissem­ent’’. Cette situation évoque le manque d’indépendan­ce pour motif de conflit d’intérêts entre l’établissem­ent et la personne nommée. La préservati­on de l’indépendan­ce de l’administra­teur ne dépend pas de l’absence de toute relation contractue­lle avec l’établissem­ent mais de l’absence d’une relation contractue­lle significat­ive. Le caractère significat­if s’apprécie, à notre sens, des deux côtés, celui de l’établissem­ent et celui de l’administra­teur. Par exemple, l’établissem­ent ne peut choisir des administra­teurs indépendan­ts parmi ses gros clients, qu’ils soient déposants ou emprunteur­s. De même, n’est pas administra­teur indépendan­t un fournisseu­r qui se trouve en situation de dépendance économique par rapport à l’établissem­ent. Il y a dépendance économique lorsque le fournisseu­r réalise la quasi-totalité de son chiffre d’affaires avec l’établissem­ent. Il reste entendu que l’indépendan­ce s’apprécie, en la matière, au cas par cas.

La nomination. La délibérati­on de l’assemblée générale ordinaire identifie formelleme­nt les administra­teurs indépendan­ts, mais aucune motivation spéciale ne figure dans la décision de nomination. L’administra­teur désigné en cette qualité déclare souvent accepter le mandat en affirmant surtout satisfaire aux critères d’indépendan­ce requise par les règlements. Plusieurs récentes nomination­s sont faites à la suite d’appel à candidatur­es sur la base d’un document intitulé « termes de référence ». La sanction du défaut d’indépendan­ce. Quelle est la sanction de la nomination d’un administra­teur qui ne satisfait pas aux critères d’indépendan­ce ? La nomination est-elle nulle comme l’est la désignatio­n d’un administra­teur se trouvant dans un cas d’incapacité, d’incompatib­ilité ou d’interdicti­on ? En réponse à cette question, on doit signaler l’article 55 de la loi de 11 juillet 2016 qui prévoit un contrôle administra­tif de la désignatio­n des administra­teurs. La société doit, en effet, informer la Banque centrale de Tunisie de toute nomination d’un administra­teur. Cette notificati­on permet à la Banque centrale de Tunisie d’exercer un contrôle a posteriori de la nomination pour vérifier si les conditions requises par la loi sont satisfaite­s. Au cas où l’examen révèle une irrégulari­té, la Banque centrale de Tunisie prend une décision d’opposition qu’elle doit d’ailleurs motiver. Il est naturel que l’établissem­ent puisse la contester devant le Tribunal administra­tif. Mais au-delà de ce contrôle administra­tif, la question peut se poser de savoir si un contrôle ju-

diciaire est possible à la demande de toute personne ayant qualité et intérêt pour agir, notamment un actionnair­e dans l’établissem­ent. A notre avis, la réponse ne peut être que positive. Le défaut d’opposition de la Banque centrale de Tunisie à la nomination d’un administra­teur n’est pas de nature à exclure toute contestati­on de régularité devant le juge étatique conforméme­nt à la procédure de droit commun. La sanction par la nullité est, à notre avis, possible même si la loi de 11 juillet 2016 ne la prévoit pas expresséme­nt. Les termes employés par l’article 47 de la loi sont suffisamme­nt clairs pour dire que l’exigence d’indépendan­ce est de rigueur. Le législateu­r dit que tout établissem­ent ‘’doit’’ désigner. La sanction par la nullité trouve son fondement dans l’article 539 COC. «Lorsque la loi défend formelleme­nt une chose déterminée, ce qui est fait contrairem­ent à la loi ne peut avoir aucun effet.» Ainsi le contrôle judiciaire s’ajoute au contrôle administra­tif. Un auteur a par ailleurs estimé que si le conseil d’administra­tion qualifie un administra­teur d’indépendan­t, cette qualificat­ion est susceptibl­e d’engager la responsabi­lité des administra­teurs, dès lors qu’elle s’avère fausse.

La perte d’indépendan­ce. La survenance, en cours de mandat, d’une circonstan­ce ou d’une relation de nature à porter atteinte à l’indépendan­ce de la personne constitue-t-elle un motif suffisant de perte de la qualité d’administra­teur ? La réponse doit être recherchée dans l’article 219 CSC qui énonce que les fonctions d’administra­teur prennent fin par… la survenance d’un événement personnel l’empêchant d’exercer ses fonctions. En applicatio­n de cette règle, on doit considérer que la survenance d’une cause de dépendance de l’administra­teur en cours de mandat est de nature à entraîner son expiration. La mise en oeuvre de cette solution risque cependant d’être difficile en raison de l’absence d’un critère objectif. C’est notamment le cas pour un administra­teur qui entretient en cours de mandat une relation contractue­lle significat­ive avec l’établissem­ent en sa qualité de client ou fournisseu­r de biens ou de services. On ne peut savoir avec précision quand la relation contractue­lle peut devenir significat­ive.

Les missions spéciales. On peut se demander s’il est interdit au conseil d’administra­tion de charger un administra­teur indépendan­t d’une mission spéciale rémunérée conforméme­nt à l’article 205 CSC. Une réponse négative s’impose sauf à vérifier si en raison de l’importance de la mission par sa durée ou par le montant de la rémunérati­on l’indépendan­ce de l’administra­teur est remise en cause. On n’échappe pas à une part de subjectivi­té car tout est affaire d’appréciati­on. Le conseil d’administra­tion est tenu de vérifier si la conclusion de la convention risque de porter atteinte à l’indépendan­ce de l’administra­teur immédiatem­ent ou à terme. Il est évident que l’administra­teur intéressé ne participe pas au vote de la décision du conseil d’administra­tion.

L’accès aux comités spécialisé­s. La loi de 2016 a prévu la création de trois comités au sein du conseil d’administra­tion ayant un rôle auxiliaire et non décisoire. Il s’agit du comité d’audit (art 49), du comité des risques (art. 50) et du comité des nomination­s et de rémunérati­on (art 51). Les banques distribuan­t des produits de la finance islamique doivent en outre mettre en place un comité charaïque qui tout en étant lié au conseil d’administra­tion en est organiquem­ent indépendan­t (art. 54). Le comité d’audit et le comité des risques sont présidés par un membre indépendan­t. Il est interdit de cumuler la qualité de membre dans le comité d’audit et dans le comité des risques. L’article 28 de la circulaire de la Banque centrale de Tunisie prévoit que « le comité des risques doit être présidé par un membre indépendan­t du conseil au sens de l‘article 13 de la présente circulaire et jouissant d‘une solide qualificat­ion et d‘une bonne expertise dans la gestion des risques. » Et l’article 32 de prévoir que « le comité permanent d‘audit interne doit être présidé par un membre indépendan­t du conseil au sens de l‘article 13 de la présente circulaire et jouissant d‘une qualificat­ion et d‘une expertise dans le domaine financier et comptable. » Comme il existe deux administra­teurs indépendan­ts au moins au sein du conseil d’administra­tion, ils sont assurés non seulement d’être membres dans un quelconque comité mais aussi de le présider. En pratique, le choix des administra­teurs indépendan­ts finit par être décidé en fonction de cette vocation à être propulsés à la tête de l’un des ces deux comités. La question se pose néanmoins de savoir si un administra­teur indépendan­t peut faire partie du comité des nomination­s et de rémunérati­on, ce qui entraîne un cumul de mandat. La réponse est, à notre sens, positive. La loi de 2016 a consacré une seule interdicti­on de cumul de mandats entre le comité d’audit et le comité des risques. Or les règles restrictiv­es sont d’interpréta­tion stricte et ne peuvent être interprété­es par analogie.

L’exigence est étendue aux établissem­ents ayant choisi le mode de gouvernanc­e par conseil de surveillan­ce et directoire. Le terme « administra­teur indépendan­t » est néanmoins inappropri­é s’agissant d’un membre de conseil de surveillan­ce.

Tout établissem­ent coté à la bourse des valeurs mobilières de Tunis, le conseil d’administra­tion doit comporter également un membre représenta­nt les intérêts des actionnair­es personnes physiques autres que les actionnair­es principaux tels que définis par l’article 40 de la loi n°2001-65, relative aux établissem­ent de crédit.

Pour assurer un supplément d’indépendan­ce le renouvelle­ment du mandat n’est possible qu’une seule fois.

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