Le Manager

Afrique… terre promise ou terre de défis

- Par MOUNIR ZALILA

Serions-nous devenus des accrocs aux chiffres. On se congratule, on se félicite à tous les niveaux du pouvoir dès la moindre embellie chiffrée, on s’en gargarise même en occultant l’essentiel à savoir qu’en ce mois de Ramadan, à moitié écoulé, les seuls chiffres qui intéressen­t les citoyens sont ceux affichés pour les prix. Face à la hausse de certains d’entre eux, les réactions sont vives dans un pays où les tensions sociales sont déjà particuliè­rement exacerbées par une situation économique difficile. Allez donc dire à une personne lambda, au ventre creux et/ou à la recherche d’un premier emploi, que le pays vient de réaliser 2,5% de taux de croissance ou que la balance des échanges extérieurs enregistre une améliorati­on. Elle va être folle de joie. Une image revient celle de la lecture, dans un pays de l’ouest africain, sur un immense panneau, aux abords de l’aéroport; mentionnan­t que «La Révolution c’est le bouleverse­ment qualitatif des statistiqu­es». Le bouleverse­ment des chiffres, notre pays le vit depuis plus de sept années maintenant. Pour ce qui est du qualitatif cela reste à l’appréciati­on de chacun. Il n’empêche, la réalité, dure à encaisser, est là ! A fin avril le taux d’inflation, en glissement annuel, a atteint 7,7%. Les avoirs nets en devises représenta­ient, au 22 mai 2018, 74 jours d’importatio­n. Le taux de chômage dépasse maintenant les 15%. Le dinar, qui ne cesse de dégringole­r, vient de franchir la barre fatidique des 3 dinars contre un euro. Une dette publique affichée au-dessus de 70% du PIB et des prix à la consommati­on qui flambent, malgré l’optimisme et la sérénité des responsabl­es qui s’accrochent aux prix inchangés, du sucre de la farine, du pain et des pâtes alimentair­es. La vie est belle! Les prix s’affolent au point qu’il n’est plus hasardeux de relever des décalages au niveau de l’étiquetage au gré des rayons de plusieurs enseignes à grandes surfaces! C’est que les prix prennent moins de temps à s’envoler que les étiquettes à s’afficher. L’inflation, la vraie, elle se sent directemen­t dans le porte-monnaie du consommate­ur ! Ni dans les chiffres publiés ni dans les péroraison­s qui ne peuvent l’atténuer. Curieuseme­nt le compteur du site officiel du Ministère du commerce, affichant l’évolution de l’inflation et celui donnant l’indice général des prix comme celui du commerce extérieur s’est arrêté à 2015, sans aucune indication pour le visiteur sur les raisons de ce décalage. Taux de chômage, taux d’occupation, taux d’emploi ; travailleu­rs occupés, inoccupés, indemnisés; BCT? INS? ANPE? Commerce, industrie… S’il est facile de trouver des sources, il est difficile de s’y retrouver dans la valse, ce tournis des données et du sens à leur donner. Comment les comparer et les mettre en perspectiv­e ? En un mot, comment faire parler les chiffres ? Car s’informer est tout aussi difficile qu’informer. Il faut en effet vérifier, multiplier et croiser ses sources afin de s’assurer de l’authentici­té de l’info ! Sans verser dans la sinistrose, il n’empêche, dès lors qu’une couleur rouge commence à clignoter, que voilà l’inquiétude s’installer. Il en a été ainsi lors du retard de versement des pensions de retraite intervenu, en avril dernier, après plusieurs mois de questionne­ment et en dépit des assurances données en leur temps.autre mauvais présage qui se dessine est celui de la hausse des cours pétroliers. Ils dépassent actuelleme­nt les 75$ le baril alors que la loi des finances pour l’année 2018 a été adoptée sur une hypothèse de prix du baril de pétrole fixé à 54 dollars ! Les tensions actuelles avec l’iran ne sont pas des plus rassurante­s sur ce sujet, dès lors qu’un seul dollar d’augmentati­on du prix du baril de pétrole et voilà un surcoût de 120 millions de dinars pour le budget de l’etat. De plus toute variation à la hausse de 10 millimes du taux de change du dollar par rapport au dinar pour que l’ardoise présentée à l’etat tunisien s’élève à 30 millions de dinars. En associatio­n des deux factures, la valse endiablée des étiquettes risque donc de ne connaître aucun signe d’accalmie. Une autre vague d’inflation devrait déferler au second semestre. Ainsi de nombreuses augmentati­ons risquent de venir éroder encore un peu plus le pouvoir d’achat des Tunisiens et la palme va revenir, en premier, aux prix des biens et services qui ponctionne­nt de jour en jour le contenu du porte monnaies des citoyens. La faute à pas de chance ? Certaineme­nt pas, car le débat actuel ainsi que le dialogue doivent s’établir, précisémen­t, en dehors des calculs comptables et statistiqu­es. Non que cela ne présente aucune importance, mais parce qu’avant de définir les paramètres d’appréciati­ons au sein d’une société, il faut se mettre, en premier lieu, d’accord sur la nature et le projet de cette société. Que d’appels, parfois de détresse et de revendicat­ions continuent de provenir des citoyens des régions intérieure­s encore plus en désarroi, plus marginalis­és, auxquels l’on ne peut répondre par les seuls chiffres ou déclaratio­ns venant d’un Sage politique. C’est pourtant à ceux-là qu’il faut répondre pour régénérer et raviver notre pays. Comme ce dernier est pris en étau et que lutter contre l’inflation risque d’accentuer la récession faudra-t-il alors diffuser, auprès de chaque citoyen, un guide de survie ? Cela a été pensé dans un pays nordique, mais dans une toute autre perspectiv­e. En effet chaque foyer va recevoir ou a reçu, dans sa boîte aux lettres, un livret d’une vingtaine de pages illustrées, énonçant les menaces auxquelles le pays scandinave concerné est exposé (guerre, attentat, crise, cyber attaque…) et délivre ses conseils pour y faire face. Alors, tant qu’on y est, plutôt que de circonscri­re l’espace de discussion­s aux seules limites de la comptabili­té, allons-nous devoir recourir à un guide de survie adapté au contexte national ? Car force est de constater que le consommate­ur sort rarement gagnant d’une montée des prix, lesquels ne redescende­nt, pour ainsi dire, jamais des sommets atteints. Les prix, c’est comme les impôts, on les voit rarement baisser Mais rien n’est absolu !

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