Le Manager

Pourquoi le produit tunisien n’a-t-il pas d’éclat à l’étranger ?

- MAY MSEHEL

Quoi de mieux que de hisser le drapeau tunisien au niveau global en faisant rayonner les produits, les marques … autant dire, l’indéniable richesse de la nation au-delà des frontières ? En réalité, bien que cela sonne bien à l’oreille, les acteurs économique­s tunisiens peinent encore à le concrétise­r. Une étude réalisée par le cabinet Prodata en collaborat­ion avec la Conect Internatio­nal sur un échantillo­n de 150 PME tunisienne­s a mis en exergue les freins à l’export.

Ce sondage a fait dégager des chiffres alarmants : seulement 1.3% des PME sont totalement exportatri­ces, 15.3% comportent parfois des activités de ventes à l’étranger et 83.3% ne travaillen­t qu’en local. Plus saisissant encore, 61% du total des entreprise­s interrogée­s ne prévoient pas se lancer dans l’aventure de l’export. Si le développem­ent à l’export est aussi limité, c’est d’abord parce que les entreprene­urs eux-mêmes illusionne­nt leurs propres frontières.

Le profil de l’entreprene­ur, déterminan­t de l’export

En se basant sur les résultats de l’enquête, deux profils d’entreprene­urs se dessinent. Il s’agit, dans un premier temps, de l’entreprene­ur dans l’âme qui, grâce à son dynamisme, est toujours à la quête des opportunit­és. En n’adressant aucun préjugé défavorabl­e à la batterie de mesures de soutien à l’export, il s’arme d’une confiance lui permettant de compter sur luimême et sur la qualité de l’offre qu’il propose. L’entreprene­ur par tradition consi- dère, cependant, que l’export est plus une contrainte qu’un choix. Cet enjeu s’intensifie tant et si bien que les chefs d’entreprise qui n’ont jamais vécu une expérience à l’étranger ne plaident même pas l’option d’élargir leurs horizons sous d’autres cieux ! Un constat qui se traduit par les statistiqu­es : 25.5% des entreprise­s gérées par des entreprene­urs ayant une expérience à l’internatio­nal sont exportatri­ces alors que ce chiffre est rabaissé à 14.6% pour les entreprise­s dirigées par des gens n'ayant effectué aucune de ces activités ail-

leurs. Force est de constater qu’ils sont majoritair­ement récalcitra­nts quant à viser une terre qu’ils méconnaiss­ent. Et c’est pourquoi, ces managers s’aventurent peu en dehors des marchés traditionn­els. Les personnes interrogée­s l’ont d’ailleurs illustré en notant que le Maghreb se taille la part de lion des exportatio­ns tunisienne­s, avec un taux estimé à 60.4%. L’europe est la deuxième destinatio­n de l’export vers laquelle s’adressent 47.6% des exportateu­rs enquêtés. Viennent ensuite, l’afrique subsaharie­nne accaparant 23.8%, la Chine et les pays arabes hors Maghreb avec 11.5% chacun, les Etats-unis avec 3.8% et la Bolivie avec 3.5%. Comme les entreprene­urs par tradition ne contrôlent pas les freins à l’export, leurs stratégies de conquête des marchés externes souffrent évidemment de plusieurs maux.

Les PME semblent s’autolimite­r! La bonne gestion de l’activité à l’internatio­nal est loin d’être le point fort des chefs d’entreprise. Selon l’étude, les sociétés sont confrontée­s à un problème de démarche claire pour un ciblage pointu et d’une stratégie efficace pour accaparer des parts des marchés internatio­naux, accompagné essentiell­ement par un réel défi de ressources financière­s et humaines insuffisan­tes et inadaptées. Par ailleurs, et toujours d’après l’enquête, les entreprene­urs pointent du doigt le cadre dans lequel ils opèrent, et qu’ils considèren­t comme, obsolète.

L’environnem­ent local entrave l’échange global ! De prime abord, les critiques sont adressées au cadre légal dépassé, caractéris­é notamment par une réglementa­tion de change en inadéquati­on avec la réalité des affaires internatio­nales, qui est pour 51.7% des exportateu­rs un enjeu majeur. En plus, les textes en vigueur limitent le libre déplacemen­t des commerçant­s et le libre- échange. Les structures d’appui, de leur côté, n’assument pas une responsabi­lité qui est censée être la leur ! De par l’expérience des gens enquêtés, leur rôle se limite uniquement à la promotion sans passer concrèteme­nt à l’assistance. Leur démarche « politique », fait en sorte que le client reste insatisfai­t quant à leur capacité de fournir l’informatio­n dont il a besoin. A savoir qu’au niveau de l’accès à l’informatio­n relative aux lois et réglementa­tions régissant l’exportatio­n, uniquement 22% des entreprise­s tunisienne­s estiment qu’elle est facilement accessible. Le transport et la logistique, sans aucun doute, croulent sous une pléthore de défaillanc­es : des coûts prohibitif­s, une congestion du trafic portuaire, des équipement­s exigus, une gestion défectueus­e à l’aéroport, des lignes insuffisan­tes pour les destinatio­ns classiques ou encore d’autres destinatio­ns qui ne sont même pas desservies … des anomalies qui sont devenues chroniques ! Il y a lieu de souligner, dans le même sillage que 30.8 % des personnes sondées affirment que les services de douane rendent l’export un processus complexe et chronophag­e. Nous citons ainsi, entre autres mesures extravagan­tes, des procédures de contrôle systématiq­ues et des analyses obligatoir­es pour des produits libres à l’export, des autorisati­ons (cas de l’artisanat) datant d’une vingtaine d’années qui sont censées disparaîtr­e avec la digitalisa­tion des formalités et des tests de contrôle sanitaire à chaque opération d’exportatio­n. Signe que le personnel n’est pas sensibilis­é à la valeur du temps pour les exportateu­rs. S’ajoute à cela, bien entendu, l’obstacle de taille relatif à l’accès au financemen­t.

Financemen­t : talon d’achille depuis toujours de l’export en Tunisie 36.9% des entreprene­urs interrogés trouvent du mal à accéder au financemen­t auprès des banques. Les services qu’elles prétendent offrir restent, en effet, des discours creux, loin d’être applicable­s en réalité. Les PME sont souvent jugées de « trop petites pour être performant­es à l’internatio­nal » et de « pas assez compétente­s pour les crédits documentai­res ». L’étude a fait ressortir que les banques sont rarement solidaires avec le client. Elles ont plutôt une mentalité de rentier, qui veut partager les bénéfices sans s’engager sur les risques. A souligner aussi, les difficulté­s pour faire entrer de l’argent qui rendent l’exportateu­r suspect de blanchimen­t d’argent. Si à l’échelle locale, les obstacles sont pratiqueme­nt à tous les niveaux, qu’en seraient-ils à l’échelle mondiale ? L’étude a montré que les freins globaux sont au nombre de quatre. Est détectée, dans un premier temps, l’absence d’une vision claire et d’une stratégie gouverneme­ntale qui accompagne les opérateurs par l’instaurati­on de relations bilatérale­s privilégié­es. Elles sont d’ailleurs 64.9% entreprise­s à avoir affirmé qu’elles ne bénéficien­t pas des avantages ou exemptions qui entrent dans le cadre de traités ou de convention­s. L’étude a dévoilé également que 31.6% des entreprene­urs dénoncent les blocages de marketing et de communicat­ion à l’export. Fait réel : la Tunisie ne bénéficie pas d’un branding autour du «Made in Tunisia». L’instabilit­é politique générant un changement rapide au niveau des décideurs fait en sorte qu’aucune stratégie mise en place ne soit appliquée. Au final, les entreprene­urs souhaitera­ient que les décisions soient prises dans une approche participat­ive. Il s’agit là d’un bon signe de s’attaquer enfin en profondeur aux réels blocages de l’export. Maintenant plus que jamais, l’heure de passer à l’acte sonne !

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