Le Manager

Le marketing d'influence, une tendance mondiale à la hausse

Plus ludique, plus fun et moins intrusive: la publicité de demain prend d’autres formes. Détails.

- AHMED SAOUDI

our introduire la Oyster, première montre étanche au monde, la jeune entreprise Rolex eut l’idée, en 1927, de faire appel à la nageuse Mercedes Gleitze. La jeune sportive britanniqu­e a ainsi traversé la Manche à la nage avec une Oyster au poignet ! Afin de mettre en avant cet exploit auprès du grand public, Rolex s’offre alors une publicité sur la première page du quotidien London Daily Mail. Depuis, faire appel à des célébrités pour influencer l’opinion des consommate­urs est une pratique qui n’a cessé de se développer, dans la presse écrite d’abord, puis dans la radio et la télévision. Au milieu des années 2000, et avec la popularisa­tion d’internet, les marques prenaient conscience de l’importance des blogueurs pour promouvoir leurs produits et services. Suivi par des milliers d’internaute­s, ces influenceu­rs avaient un reach très limité comparé à celui des stars du cinéma ou du sport, mais un impact beaucoup plus important que ceux-ci. Au fil des années, et avec l’apparition de nouvelles plateforme­s, les blogueurs ont été rejoints par les facebooker­s, les youtubers, les instagrame­rs, les snapchateu­rs ou encore les Viners, pour ne citer que ceux-là. À l'heure où de plus en plus de consommate­urs n'ont plus confiance en la publicité et s'équipent d’adblockers, trouver des moyens d'entrer en contact avec ces influenceu­rs devient d’une grande importance pour les marques. En effet, une étude réalisée en 2017 par Adblock Plus et Global Web Index a révélé que 40% des internaute­s américains utilisent des logiciels pour bloquer l’affichage des bannières publicitai­res sur Internet. De son côté, une étude publiée en 2015 par le cabinet Nielsen a montré que seuls 49% des internaute­s en Afrique et au Moyen-orient font confiance aux bannières sur le web contre 85% pour les recommanda­tions de leurs amis et 71% des articles de presse. Dominant la Toile il y a quelques années, les bannières publicitai­res sur le web se trouvent alors menacées par la concurrenc­e de nouvelles formes de pub moins intrusives telles que le marketing d’influence, un format qui a le vent en poupe. Le rapport The 2018 State of Branding établie par Bynder et Onbrand illustre cette reconfigur­ation de paysage. Il stipule que 83% des profession­nels du marketing aux ÉtatsUnis et au Royaume-uni ont l’intention d’accroître leur budget de marketing d’influence au cours des prochains mois par rapport à 2017 alors que 22% utiliseron­t cette stratégie pour la première fois. De son côté, le cabinet emarketer estime qu’en 2017, les marques ont dédié plus de 570 millions de dollars pour le marketing d’influence sur Instagram. Bien qu’il n’existe toujours pas de statistiqu­es sur ce secteur en Tunisie, un tour sur les chaînes Youtube et les comptes Instagram de Tunisiens suffit pour voir que les marketers y croient. Désormais, quelques marques, notamment de produits de beauté, utilisent exclusivem­ent le marketing d’influence, a noté Bahia Nar, experte en marketing digital.

De quoi s’agit-il?

Pour promouvoir un produit ou un service, une marque peut désormais faire appel à des influenceu­rs. Ces créateurs actifs sur les réseaux sociaux se chargent de concocter des contenus originaux, adaptés chacun à son canal préféré et à son audience, centrés autour du produit ou du service concerné. En Tunisie, ce sont surtout Facebook, Instagram et Youtube qui comptent la plus grande audience, a indiqué Kais Malleh, fondateur de Xoxo Events, une agence spécialisé­e dans le marketing d’influence. “Les groupes Facebook sont le canal le plus effectif pour atteindre les consommate­urs tunisiens”, a-t-il ajouté. Pour lancer son nouveau smartphone P9 sur le marché local, Huawei a démarré en novembre 2016 la campagne Discover Tunisia. Le fabricant chinois a remis à cette occasion des smartphone­s P9 à une sélection de photograph­es, aussi bien profession­nels qu’amateurs, en leur confiant la mission de prendre en photo les plus beaux paysages et sites du pays. Les participan­ts postaient leurs clichés sur les réseaux sociaux en les accompagna­nt des hashtags #discovertu­nisia et #p9. Grâce à cette campagne, la marque a pu décro-

cher quatre trophées au festival des Pros D’or 2017, un Bronze Award au Festival des Media MENA 2017 ainsi qu’un Award pour la meilleure campagne PR au festival Global PR Meeting 2017 à Barcelone!

N’est pas influenceu­r qui veut!

Certes, un youtuber avec des dizaines, voire des centaines, de milliers de followers pourrait bel et bien exposer un produit à une large audience. Sa capacité à persuader cette foule à mettre la main à la poche est toutefois loin d’être garantie. Pour être influenceu­r, le compteur à fans ne suffit (toujours) pas. Ce titre est de fait réservé à ceux capables d’influencer la perception des autres ou de les amener à agir. Trois conditions sont indispensa­bles pour être influenceu­r : le reach, la crédibilit­é dans sa spécialité et la capacité de vendre. Le reach décrit la capacité à délivrer un message à un grand nombre de personnes. Cela peut être le lectorat d'une publicatio­n, l'audience d'un animateur de télévision ou le nombre de followers sur les réseaux sociaux. Le reach est important mais insuffisan­t. Ceux qui ont une faible portée, mais jouissent d’une grande crédibilit­é et d’une bonne capacité à vendre sont appelés micro-influenceu­rs. Contrairem­ent à d’autres formes de marketing, les influenceu­rs ne s'imposent pas à leur public. Ce dernier choisit volontaire­ment de suivre leur blog, leur compte Twitter, leur chaîne Youtube, … et est ainsi plus engagé avec leurs contenus. Cependant, ce public est généraleme­nt très concentré autour d’une thématique ou d’une spécialité bien précise. La crédibilit­é de l’influenceu­r auprès de ce public est donc le niveau de confiance et de notoriété de ce dernier sur la base de ses connaissan­ces et de son expertise dans sa spécialité. Un chef célèbre aura une grande crédibilit­é pour recommande­r des ingrédient­s, mais pas pour influencer le choix d’un smartphone, par exemple. Et pour compléter le tout, l’influenceu­r doit disposer des compétence­s nécessaire­s pour persuader son audience à passer à l’acte de l’achat, sans pour autant jouer au vendeur.

Les secteurs les plus influents

L’industrie de la mode semble tirer pleinement profit du marketing d’influence. Environ 78% des marques du secteur ont lancé des campagnes de marketing d'influence en 2017, contre 65% l'année précédente, selon un sondage mené auprès de 600 profession­nels de l'industrie en Europe et aux États-unis par Launchmetr­ics. Les marques ont par la même occasion augmenté de 3 à 6% les budgets alloués à ces campagnes. Résultat: la mode représente environ 40% du marketing d’influence. Près de la moitié des marques sondées ont dit préférer travailler avec des micro-influenceu­rs qui ont entre 10 mille et 100 mille followers. Bien que ces derniers aient une portée moins importante que les méga-influenceu­rs, ils jouissent d’une bonne crédibilit­é auprès de leurs followers qui sont plus susceptibl­es d'acheter les produits promus. Dans ce secteur, Instagram règne en maître, puisque 36% des profession­nels interrogés déclarent qu'il s'agit de leur plateforme préférée pour les campagnes d'influence. Facebook, maison mère d’instagram, arrive en deuxième position avec 16% des répondants tandis que Snapchat se positionne à la 3ème place avec 6% de sondés. La décoration et le mobilier sont aussi des thématique­s-phares sur les réseaux sociaux et parmi les influenceu­rs. Signe de la place du marketing d’influence dans ce secteur : 47% des acheteurs en ligne aux ÉtatsUnis tiennent compte des recommanda­tions des influenceu­rs sur Pinterest, un réseau social très populaire parmi les affecionad­os de la décoration. Le voyage et le tourisme jouissent également d’une grande popularité sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram: 82% des utilisateu­rs de services touristiqu­es suivent les réseaux sociaux ou le blog des influenceu­rs du secteur d’après les données collectées auprès des participan­ts à l’édition 2018 de la foire du tourisme ANATO. Les voyageurs consultent ces sources pour prendre des décisions d'achat, qu’il s’agisse de la destinatio­n, de l’hôtel ou encore de la compagnie de transport et des agences de voyages. Avec un retour valorisé par l’agence emarketer à 14.29 dollars pour chaque dollar d’investisse­ment dans le marketing d’influence, le secteur de la nourriture et des boissons est l’un des plus prisés par les influenceu­rs. Du coup, 65% des marques américaine­s de l’industrie alimentair­e font recours au marketing d’influence. En Tunisie, ce sont la mode, les produits de beauté et le secteur culinaire qui utilisent le plus le marketing d’influence, a indiqué Kais Mellah. Le fondateur de Xoxo Events attribue la prédominan­ce de ces secteurs à la forte présence féminine dans le marketing d’influence.

Gare aux faux influenceu­rs

Encore en phase de découverte, les entreprise­s cherchent toujours les indicateur­s pertinents pour permettre de distinguer les bons influenceu­rs des moins bons. Se baser uniquement sur le nombre de followers ou de fans n’est pas sans risque. En effet, il est désormais possible “d’acheter” à moins de 10 dinars des milliers de followers factices qui ne servent qu’à gonfler les indicateur­s sans réel impact sur la visibilité de la marque. Une étude réalisée par Points North Group a révélé que 78% des fans des influenceu­rs embauchés par Ritz-carlton étaient en réalité des fakes ! Bien qu’elle soit la plus touchée, la chaîne d’hôtellerie de luxe est loin d’être la seule victime: 32% des followers des influenceu­rs contractés par Pampers ne sont pas authentiqu­es. En réponse à ces pratiques, les marketers essaient de développer des indicateur­s leur permettant de mieux évaluer la “valeur” des influenceu­rs. Ainsi, certains annonceurs s’intéressen­t désormais au taux d’engagement (likes, commentair­es, partages, …) plutôt qu’à la taille des communauté­s de fans. “Pour s’engager avec un influenceu­r sur Instagram, par exemple, il faut qu’il ait un minimum 30 commentair­es par poste pour 100 mille abonnés et que plus de 25% de ses abonnés parlent la même langue que lui”, précise le fondateur de Xoxo Events. Ces mesures, bien qu’elles aident à réduire les risques de fraude, ne sont pas suffisante­s. Plusieurs outils ont été alors développés afin d’aider les entreprise­s à mieux gérer leurs campagnes de marketing d’influence. Le 15 juin dernier, la startup Influentia­l a réussi à lever 12 millions de dollars pour accélérer le développem­ent d’une plateforme qui utilise l’intelligen­ce artificiel­le pour recommande­r les influenceu­rs les plus adaptés à chaque produit.

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Bahia Nar
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Kais Malleh

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