Nicolas Chabot, Senior vice-president EMEA à Traackr: "Les marques doivent réinventer leur façon de faire du marketing"
NICOLAS CHABOT, SENIOR VICE-PRESIDENT EMEA À TRAACKR
Les experts sont unanimes: ne vous attendez pas à ce que cette tendance s'arrête bientôt. Le marketing d'influence va continuer à être une force motrice pour les marques. La question est: que pouvez-vous faire pour en tirer le meilleur parti cette année ? Pour démêler cette question et toutes celles qu’elle dissimule, nous sommes allés à la rencontre de Nicolas Chabot, Senior vice-président EMEA, chez Traackr, basée à San Francisco. Société de technologie spécialisée dans la gestion des relations influenceurs (IRM), aidant les clients à optimiser, gérer et mesurer ce type de relations. Traackr travaille avec les grandes enseignes telles que Microsoft, Coca Cola, L’oréal, Samsung, Nissan UK.
Peut-on considérer que le marketing d’influence est une nouvelle stratégie marketing à part entière voire un nouveau métier ?
Bien sûr. L'influence a toujours fait partie des métiers de la communication. Pourtant avec les réseaux sociaux et l'émergence des "influenceurs" du web, c'est bien un nouveau métier qui est en train de naître. Loin d'être des "relations media 2.0" comme voudraient le faire croire certains, les relations influenceurs redéfinissent le lien entre les marques et les audiences. Dans le rapport "Influence 2.0 - Le Futur de l'influence" publié par Traackr, Brian Solis de Altimeter explique "appliquer les vieilles recettes du marketing et de la communication aux nou- veaux modes de communication est voué à l'échec". Les marques doivent réinventer leur façon de faire du marketing et les influenceurs sont un des aspects fondamentaux de ce changement de paradigme.
Quels sont les impacts du marketing d’influence sur l’organisation des entreprises et le développement de la technologie ?
En passant de l'expérimentation à des stratégies long terme, les marques réalisent que le marketing d'influence a un impact transversal sur l'organisation, car il touche à toutes les étapes du parcours client. Dans ce cadre, de nouvelles questions émergent, par exemple : "comment identifier mes influenceurs quand ils contactent mon service clients?", "comment interagir et stimuler mes employés influenceurs?", "quelle est l'expérience de mes influenceurs dans mon réseau de magasins?". On comprend ici comment la technologie doit jouer un rôle clé pour faciliter la collaboration interne et améliorer l'expérience des influenceurs à travers l'ensemble des points de contact qu'ils peuvent avoir avec notre marque et nos collaborateurs.
Est-ce que le marketing d’influence est bénéfique dans n’importe quelle entreprise ou n’importe quel secteur d’activité ?
Le marketing d'influence sera pertinent dans tous les secteurs pour lesquels les réseaux sociaux peuvent influencer nos audiences; c'est à dire presque tous, du B2C aux métiers B2B les plus "niche". Il sera cependant d'autant plus puissant et incontournable lorsque des conversations importantes existent autour de ma catégorie de produit. Il est ainsi plus évident pour une marque de beauté que pour une marque d'hygiène féminine de développer des activités importantes de marketing d'influence. Pourtant, la cible peut être la même : aux marques de développer alors des stratégies d'engagement et de contenus créatifs et pertinents pour toucher leurs audiences sur ceux qui les intéressent.
Quels exemples vous viennent à l’esprit lorsque l’on vous parle de marke-
ting d’influence ?
Une preuve intéressante de l'ampleur du phénomène est aussi le développement de nouvelles marques qui valent plusieurs milliards de dollars aujourd'hui et qui se sont construites uniquement sur l'influence comme Nyx, ou Anastasia Beverly Hills.
Développer une action de marketing d’influence en interne ou faire appel à une agence externe, qu’est-ce-qui rend préférable l’une ou l’autre des stratégies ?
Dans le cadre du développement de relations à long terme avec les influenceurs, il est clair que disposer d'équipes internes dédiées est nécessaire. On ne peut pas sous-traiter une relation. Cependant les agences gardent un rôle à jouer dans l'accompagnement stratégique, la proposition de concepts créatifs d'engagement ou même dans le support logistique lié aux activations. L'important est de bien définir leur rôle. Mais d’une manière générale, les trois éléments clés pour réussir le marketing d’influence sont : l’alignement stratégique, la mise en place d’un plan d’exécution intégré dans l’organisation et, sur le long terme, la prise de décisions nourrie par la data.
Marché d’influence ou IRM : comment choisir ?
Si vous travaillez avec un marché d’influence, vous recherchez la portée (reach). La pertinence (relevance) est alors seconde puisque vous souhaitez acheter de la visibilité. Avec L’IRM, vous cherchez à créer de l’engagement et favorisez donc la pertinence à la portée. Les places de marché qui permettent d'automatiser les relations entre marques et influenceurs sont pertinentes pour les marques qui ont une vision tactique, transactionnelle de la discipline. Parfois elles peuvent être une première étape d'expérimentation. Mais pour celles qui souhaitent développer une vraie stratégie de long terme, elles ne suffisent pas à capturer le potentiel du marketing d'influence. Les plateformes D'IRM comme Traackr permettent d'avoir accès à l'ensemble des influenceurs du web (au lieu d'un réseau fermé et limité d'influenceurs qui participent à la place de marché) et d'avoir une vision globale de leur performance quelle que soit la tactique d'activation utilisée. Les plus avancées incluent aussi des outils de gestion et de collaboration interne qui seront des clés pour les organisations plus complexes.
Quelles sont vos prévisions pour le marketing d’influence ?
Le marketing d'influence est en train de connaître un changement systémique. Des marques pionnières comme Nissan UK, ont intégré le marketing d’influence sur l'ensemble de leur parcours client, et au coeur de leur stratégie de marketing et de communication. D'autres sont passées de l'expérimentation à la transformation de leurs workflows, process et expertises de multiples divisions, au prisme du social. Les organisations doivent, en effet, entièrement repenser la façon dont elles structurent, gèrent et contrôlent tous les aspects de leurs activités influenceurs. L'accroissement général des budgets, le déploiement des programmes à l’échelle mondiale, l'intérêt stratégique grandissant et l'augmentation des contraintes juridiques sont en train de conduire les entreprises à recruter des "Chief Influence Officer". Leur rôle ? Assurer une expérience influenceur unifiée sur tous les points de contact, constituer des ensembles de données historiques pour suivre l'impact des programmes d'influence grâce à des modèles d'attribution, et mettre en place des process pour l’ensemble des équipes, des partenaires et des zones géographiques. En ce qui concerne la mesure du ROI, évaluer l’impact social sur des métriques commerciales (ventes, notoriété de la marque) demeure encore difficile. Le suivi de lien peut mesurer l'impact direct du contenu des influenceurs sur le trafic ou les ventes. Mais il reste limité et partiel. En effet, il nécessite un accord explicite avec l'influenceur et n’est pas applicable à tout type de contenus. Et il ne prend en compte que le dernier clic, comme dans l'affiliation. Certaines entreprises reposent encore sur L'EMV (Earned Media Value). Cet indicateur, qui se base sur l'ancien "Advertising Value Equivalent", hérité du monde des relations publiques, fait l'impasse sur les performances commerciales. Les marques innovantes travaillent donc sur la mise en place de nouveaux modèles d'attribution qui lieront le contenu des influenceurs au parcours client. L'influence a donc probablement quelques années de retard sur le "paid" en termes de modèles d'attribution et de mesure, mais elle commence à le rattraper.
Quid de la question juridique ?
Certaines plateformes, à l’instar d’instagram, ont mis en place des fonctionnalités intégrées facilitant la divulgation des collaborations rémunérées. La Federal Trade Commission a sanctionné des collaborations rémunérées non signalées aux États-unis. Mais le sujet reste un problème essentiel à l’échelle mondiale et une menace potentielle pour toute marque qui ne se soumet pas à la réglementation. Concernant le respect de la vie privée, les entreprises devront désormais mettre en place des plateformes de gestion des relations influenceurs conformes, qui leur permettront de stocker et de gérer les données des influenceurs de manière sécurisée. Depuis deux ans, de grandes entreprises ont élaboré des directives mondiales couvrant tous les aspects d’un programme d'influence, de la sélection des influenceurs à la nature de la collaboration envisagée. La mise en place de canaux de communication interne clairs, la formation de l’ensemble des équipes toutes marques et zones géographiques confondues, et l’établissement de règles claires pour les agences partenaires induites ne sont pas une mince affaire ! Une liste des directives les plus courantes comprend : la non- publication de contenu violent, abusif ou à caractère sexuel, pas d'engagement politique ou autre (par exemple activisme contre les tests sur les animaux) qui pourrait compromettre la marque, une prise de parole alignée avec les valeurs de la marque. Ceci est particulièrement vrai pour le luxe où les influenceurs sont parfois validés au cas par cas afin de s’assurer qu'ils peuvent représenter la marque, un alignement entre l'audience de l'influenceur et le groupe cible défini par l’équipe marketing, un alignement du prix et de la nature de la collaboration rémunérée avec les standards fixés par l’équipe d’achats, une validation post-campagne pour vérifier que le contenu publié dans le cadre de la collaboration répond bien aux normes de qualité convenues (si contractualisées). La technologie a un rôle essentiel à jouer pour accompagner les organisations internationales dans une telle évolution. Et l'on comprend pourquoi la fonction de CIO a de beaux jours devant elle...