Les influenceurs, nouveau bastion des marketeurs
Arsenal redoutable pour détruire, construire ou fleurir la réputation d’une marque, les réseaux sociaux ont remis en question les pratiques institutionnelles du marketing et de la communication. Donald Trump s’est même désengagé du communiqué commun signé à la fin du G7 à travers un tweet...envoyé depuis son avion ! A l’heure de ce que l’on appelle le marketing 3.0 et le “consom'acteur” tel qu’introduit par le gourou du marketing Philip Kotler, les enseignes n’ont d’autre choix que de suivre le mouvement et de conquérir le même terrain d’action. Le marketing d’influence se révèle comme la réplique phénix de ces dernières années. Blogueurs, snapchatteurs, youtubeurs, instagramers, ils ont révolutionné le monde du marketing. Ce sont désormais les stars des réseaux sociaux qui font fantasmer les chiffres d’affaires des plus grandes enseignes. Du high Tech et multimédia, au prêtà-porter et cosmétique, ils sont devenus les partenaires incontestés des marques, petites ou grandes. En Tunisie, le phénomène a jeté l’ancre depuis près de deux ans. Nous avons pénétré ce monde sous le prisme des entreprises pour vous dévoiler ses pratiques, ses atouts et ses perspectives. Focus.
Il est sans nul doute devenu le domaine d'attention des professionnels du marketing. Microsoft, Coca Cola, l’oréal, Samsung, Sanofi, elles l’ont toutes adopté et ce n’est pas sans raisons ! Selon le rapport “The State of Influencer Marketing 2018”, une étude effectuée par Linqia, 86% des marqueteurs ont eu recours au marketing d’influence en 2017 et 92% d’entre eux le trouvent efficace. 39% ont déclaré qu’ils augmenteraient leurs dépenses pour l’année à venir et 44% prévoient d’utiliser le marketing d’influence pour améliorer les performances de leurs autres canaux numériques. Voici une mise en bouche de ce que représente le marketing d’influence de nos jours. Quels sont les outils d’une campagne de marketing d’influence ? Quels impacts sur l’organisation et la fonction marketing ? Quels sont les défis ? Autant de questions qui nous ont interpellées, et auxquelles nous tenterons d’apporter quelques éclairages, notamment à travers l’avis de Marc Schaefer, l’un des plus grands experts en marketing au monde et auteur de cinq best-sellers, qui a été interviewé par le Manager. Un aperçu des pratiques locales sera donné, à travers deux entretiens menés avec Mariem Drira, Responsable Marketing de Hamadi Abid (HA) et Ismael Ben Salha, Directeur Général des laboratoires SVR et Filorga Tunisie.
Le pouvoir de l’influence…tout un business !
Le pouvoir des influenceurs explique le béguin des marqueteurs ! Certains sont suivis pour leurs opinions, d’autres pour leur style de vie, mais tous ont en commun d’avoir su fédérer autour d’eux une communauté de personnes qui les écoutent et qui les regardent. Mais d’où vient ce pouvoir ? La réponse à cette question a certainement des fondements sociologiques, psychologiques et peut-être même anthropologiques. Nous nous limiterons ici au contenu créant cette audience. Un recensement des déclarations de revenus des influenceurs faite par Reech, l’une des plus grandes plateformes françaises de marketing d’influence, a dévoilé des chiffres astronomiques ! Des influenceurs comme Norman ou Enjoy Phoenix amassent entre 100 000 et 300 000 euros à l’année ! De quoi briser le folklore et attirer des suiveurs ! Mais si les rémunérations sont aussi conséquentes, les enseignes y trouvent aussi leur compte. Une étude américaine, élaborée par emarketer, en 2015, étudiant un panel de marques, a révélé que le retour sur investissement du marketing d'influence est multiplié par 10 ! Sur 1$ investi, 10$ sont récupérés, une augmentation de +40% par rapport à 2014. Pour les millenials, les chiffres sont beaucoup plus éloquents, c’est là que se trouve la plus grande audience. Des formations en marketing d’influence, telle que la Birchbox School, sont également dispensées. En parallèle, les recherches montrent que le nombre de plateformes et d’agences liées au Marketing d’influence a, lui, doublé aux cours des deux der- nières années. De nombreuses agences de communication traditionnelles ont aussi créé un service « influencer marketing ». A Hamadi Abid, Mariem Drira nous informe que la coordination de HA avec les blogueurs aide à gagner en visibilité et en notoriété, mais surtout à accroître les ventes dans un laps de temps très court. « A chaque fois qu’on fait appel à des bloggeurs, on booste les ventes à très court terme. Dès la livraison des articles en magasin, on fait appel à un influenceur pour lancer une campagne sur Facebook ou Instagram. On remarque dès lors et très rapidement une augmentation du chiffre d’affaires par rapport au produit publié », a-t-elle témoigné. A SVR Tunisie, le marketing d’influence s’avère une aubaine pour informer et aviser les consommateurs : « L’utilité du marketing d’influence dans notre secteur, c’est aussi de faire passer des informations qui ne sont pas connues du grand public. En prenant l’exemple des taches formées par la lumière, il faut savoir que même la lumière bleue de l’écran les favorise. Nos influenceuses ont donc un rôle d’éducatrices », témoigne Ismael Ben Salha.
Marc Schaefer explique cette explosion: « Tout d'abord, l'opportunité de faire de la publicité a décliné à mesure que des formats d'abonnement plus populaires et sans publicité comme Netflix ont explosé. Et même si les internautes voient vos annonces, ils risquent de ne pas leur faire confiance. La confiance envers les entreprises et les marques a diminué pendant les dix dernières années. À qui les gens font-ils confiance? A leurs amis, aux sites de critiques et aux influenceurs respectés. Cela représente un changement cataclysmique dans la façon dont nous devons penser la commercialisation. Cela passe aux mains des gens, et non plus des agences de publicité », déclare-til. Pour l’expert, c’est pour cette raison que la profession est en croissance, à la fois dans le nombre et la sophistication des emplois, ainsi que dans les montants dépensés pour le marketing d'influence. Trois statistiques sont révélatrices : « Les recherches ont démontré à maintes reprises que les consommateurs génèrent entre 600 et 700% plus d'engagement envers le contenu d’influenceurs qu’envers celui des entreprises. Deuxièmement, 15% de toutes les conversations contiennent des références à un produit ou à une marque et, en troisième lieu, 70% des adultes affirment que leurs décisions d'achat sont influencées par le contenu qu'ils partagent avec leurs amis. Ces chiffres sont trop éloquents pour être ignorés ! », nous a déclaré Marc Schaefer.
Le contenu crée l’engagement, l’engagement crée l’achat A travers le contenu qu’ils publient (vidéos, textes, photos, “vlogs”), ces influenceurs font suivre leur vie au quotidien, leurs coups durs et leurs coups de coeur, jusqu’au plus petit détail de leur vie privée. On penserait facilement à quelques similitudes au monde bouillonnant de l’actualité people et de la starification. En laissant l’internaute s’immiscer dans leur monde, l’influenceur crée une relation de confiance. Lorsque les influenceurs ont un taux d'engagement élevé, cela signifie que leurs abonnés sont attentifs et agissent sur leur contenu. Les résultats ont montré que la qualité du contenu publié par les influenceurs était effectivement considérée comme équivalente, voire supérieure à celle d’une annonce publicitaire traditionnelle. Ainsi, pour générer des résultats concrets (croissance de l'audience, conversions ou ventes, etc.), le public doit interagir avec le contenu de l'influenceur concernant votre marque. Lorsque Leesa.com a lancé une campagne de marketing d’influence via Youtube, ils se sont concentrés sur le taux d'engagement dans leur recherche et leur sélection d'influenceurs. Ils ont même fait appel à un spécialiste pour les aider à évaluer la pertinence de chaque public potentiel. Les résultats ont été substantiels, conduisant directement à plus de 400 ventes de matelas et plus de 100 000 clics sur leur site Web. Selon l'enquête de Linquia, 81% des marqueteurs considèrent l'engagement comme leur meilleur indicateur de réussite, car il est le plus susceptible de se convertir en achat. L’engagement se matérialise aujourd’hui par un like, un commentaire, un partage, un retweet. On nous l’aurait annoncé il y a quelques années, on n’y aurait sans doute pas prêté oreille attentive. Le contenu créatif du 21ème siècle ne nécessite plus nécessairement des studios coûteux, une équipe de production, de casting et d'édition. 30 000 “vues”, 500 “commentaires”, 20 000 “partages”, ce sont les chiffres que l’on peut percevoir sur une publication d’influenceur de bonne “portée”, pour rester fidèle au jargon. Une stratégie réussie va donc de pair avec la capacité des marques à s'associer à des créateurs qui développent un contenu perçu comme authentique et accessible à leur public. John Munsell, le CEO de Bizzuka, le dit: « Si le contenu est roi, la conversation est reine. ». En Tunisie, les enseignes l’ont très vite compris. Selon Meriem Drira, la visibilité et l’engagement sont très importants dans la stratégie de Hamadi Abid car l’objectif à très court terme est de rajeunir la marque, d’améliorer son image et sa visibilité. « Mais d’un autre côté, j’ai des KPI que je dois communiquer au commercial, donc l’engagement est fondamental. Car au final, toute enseigne cherche à augmenter ses ventes », témoigne Meriem Drira. Du côté de SVR Tunisie, c’est du cas par cas et donc de la sélection : « Dans notre secteur, nous avons besoin d’une ou deux influenceuses avec beaucoup de visibilité et donc une grande communauté. Car c’est de l’investissement en temps et en matériel. Mais l’engagement reste le premier facteur que nous considérons. Nous sommes attentifs au nombre de reachs, de partage, de likes, ça nous donne des indications sur l’engagement de la communauté. Il faut avoir une relation avec celles qui ont de l’engagement car aujourd’hui c’est le consommateur qui fait la loi », déclare Ismael Ben Salha. « Il y a des influenceuses qui ont une communauté moins importante mais qui ont une qualité de contenu exceptionnelle et qui réussissent à fédérer autour d’elles une communauté fidèle. Et en termes d’image et de ventes, c’est essentiel, car la communauté lui fait confiance et les conversions sont dès lors importantes », a-t-il ajouté. Des budgets et des stratégies…une pratique bien campée Le développement d'une pratique de marketing d'influence est une décision stratégique importante pour les organisations qui pourraient affecter à la fois la structure, les processus et la collaboration entre les équipes. Le marketing d'influence est d’ailleurs considéré comme un élément clé de la trousse d'outils du marketing. Selon la Duke School of Business, la part des dépenses de marketing d’influence dans les budgets marketing s’élevaient à 9% en 2014, 13% en 2015, et devraient atteindre 21% en 2019. Selon Guillaume Doki Thonon, Fondateur de Reech, ce sont les dépenses qui ont connu le plus grand taux de croissance ces dernières années. Il y a des marques qui n’ont pas attendu : l’oréal y consacrait déjà 20% en 2016 ! Nicolas Chabot, vice-président Europe Traackr a dévoilé au Hub Forum de Paris en 2017 la recette de Nissan UK. L’enseigne figure parmi les modèles de best practices. Elle a totalement intégré le marketing d’influence dans sa stratégie de marque et l’a structuré autour des étapes du parcours client baptisé : see, think, do, care. Les activités d’influenceurs sont intégrées dans les plans marketing et communication, à l’intérieur d’un même département, permettant ainsi de travailler en équipe, de créer des collaborations, mais plus important encore, d’accéder à de nouveaux budgets. En trois ans, Nissan a ainsi multiplié son budget de relations influenceurs par 50
! Les KPI sont alignés aux objectifs de la marque et intégrés dans la feuille de route. En Tunisie, bien que se trouvant à un stade moins avancé, les pratiques tendent vers la professionnalisation du métier. Le marketing d’influence s’inscrit pleinement dans les stratégies de digitalisation des enseignes. SVR Tunisie en a même fait une vision sur le long terme, Hamadi Abid y travaille actuellement. « Nous avons une stratégie à 360 degrés. Et le marketing d’influence fait partie intégrante de cette stratégie », témoigne Ismael Ben Salha. L’enseigne figure parmi les premières marques à s’être lancées dans le marketing d’influence en Tunisie il y près de deux ans. Son Directeur Général nous informe que le budget consacré au marketing d’influence s'accroît d’année en année. « Il faut prendre en considération la concurrence et donc être très stratégique car aujourd’hui, le gâteau ne grossit pas, et plusieurs se le partagent. On n’opère pas d’action one shot, car ce n’est pas viable ! Il faut voir à long terme et y consacrer le budget. Actuellement, en ce qui concerne le marketing d’influence, nous sommes à près de 5% du budget marketing, mais je ne serai pas surpris si d’ici 5 ans, ça passe à 15% », fait-il remarquer. Du côté de HA, bien que leur stratégie se décline encore en actions ponctuelles, leurs projets n’en sont pas moins grands : « Nous travaillons essentiellement avec des bloggeuses dans les campagnes publicitaires, les événements, et les publications sur les réseaux sociaux. Mais dans le cadre de notre stratégie digitale, nous projetons de développer le marketing d’influence à moyen et à long terme. HA cherche à moyen terme à avoir des partenariats de long terme avec les influenceurs surtout que la vision est de rajeunir la marque, donc nos cibles sont les suiveurs des influenceurs », témoigne Meriem Drira. Côté budget, la part consacrée au marketing d’influence est amenée à augmenter d’ici fin 2018, début 2019. « Actuellement, nous sommes entre 15 et 20% du budget marketing total. Et nous sommes en train de négocier pour augmenter le budget afin de garder une visibilité et une présence sur toute l’année, surtout si on demande l’exclusivité ! », déclare la responsable marketing.
Quid de la fameuse question de la mesure du ROI Avec l'augmentation des ressources investies, des KPI et des rapports cohérents deviennent fondamentaux. Un cadre de mesure clair fournit une base solide pour faire évoluer les investissements. La technologie devient alors un facteur de succès essentiel. Les marques veulent de plus en plus contrôler les relations des influenceurs, sinon la campagne entière. Ainsi de nombreuses plateformes de gestion des relations d'influence sont en train d'émerger. Conscient des nouveaux enjeux en la matière, Ismael Ben Salha déclare : « Nous avons besoin d'être accompagnés par du conseil et un appui technique. Donc nous déléguons le volet opérationnel, qui se réfère à la conformité des contenus créés, la mesure et le suivi de la performance des campagnes de marketing d’influence. Par ailleurs, l’agence nous aide également à sélectionner les influenceuses, nous oriente vers celles qui partagent nos valeurs, ensuite elles suivent leurs expériences, en s’assurant que le produit leur corresponde bien. Mais, L’ADN de la marque, sa personnalité et sa stratégie ne se délèguent pas. C’est la marque qui est garante de ces aspects ». Questionné sur la question de la mesure du retour sur investissement des campagnes de marketing d’influence, Marc Schaefer déclare : « La mesure a toujours été difficile en marketing et le marketing d'influence n'est pas différent. Cependant, des données telles que la sensibilisation et les ventes sont possibles à mesurer. Il y a énormément d'efforts dans les techniques de mesure et je m’attends à des progrès rapides dans les 12 à 18 prochains mois ». Pour Ismael Ben Salha, avec une stratégie à 360 degrés, il est difficile de mesurer les résultats sur des actions isolées. « Avec des actions portées sur la marque, nous allons chercher à promouvoir les valeurs. Pour une stratégie produit, nous sommes plus sur l’expérience et les bénéfices produits. Mais le feedback des consommateurs est un premier facteur révélateur. Plus précisément, pour la gamme solaire, qui est un produit de grande consommation, l’impact d’une campagne d’influence est directement perceptible mais sur des segments plus techniques, les résultats prennent plus de temps », témoigne-t-il. Quant à Hamadi Abid, les KPI se basent sur les interactions dans les publications des influenceurs. « Ils nous font un reporting complet du nombre de « like », de « partages », de « commentaires », etc. Et le lendemain de la publication, nous faisons le suivi sur deux trois jours en termes de ventes du produit », explique Meriem Drira. Vers une remise en cause des canaux classiques ? De nombreux spécialistes du marketing considèrent les investissements marketing séparément, créant essentiellement une division entre les canaux. En fin de compte, les recherches ont dévoilé les différents impacts des canaux marketing et comment ils fonctionnent mieux en simultané. Selon les experts, le marketing d'influence et la télévision se révèlent parfaitement complémentaires. Lorsque les consommateurs voient une publicité télévisée, ils perçoivent, voire mémorisent le logo de la marque, le produit et le slogan. Le but étant de s’ancrer dans les esprits de potentiels consommateurs. Mais ce n'est qu’une étape du processus d'achat. A ce niveau, Hamadi Abid nous dévoile un modèle pour le moins qu’on puisse dire ingénieux. A sa dernière campagne marketing, l’enseigne a intégré la présence des influenceurs en amont des spots publicitaires. « Nous avons lancé une campagne teasing : les blogueurs diffusent des photos prises le jour du tournage du spot avant deux ou trois heures, ce qui a créé beaucoup d’interactions », nous explique Meriem Drira. L’idée était de faire appel au marketing d’influence avec une campagne teasing pour assurer la visibilité du spot publicitaire. Les deux stratégies de marketing se complètent. « Nous avons eu des retombées le jour même et qui continuent encore aujourd’hui », témoigne-t-elle Nous clôturerons sur une citation non des moins inspirantes d’anaïs Moutot, correspondante à San Francisco du Journal les Echos, et citée par Guillaume Doki Thonon, lors d’un Tedx : « Les influenceurs ont réussi à capter une denrée rare du 21ème siècle : l’attention ».