Le Manager

La publicité sur Internet La nécessité d’un encadremen­t juridique en Tunisie

- Par Sami Frikha Avocat et enseignant universita­ire

Deux textes, de portée générale, régissent la publicité commercial­e en Tunisie. L’art 13 de la loi n°92-117 relative à la protection du consommate­ur interdit toute publicité pour des produits comportant, sous quelque forme que ce soit, de fausses allégation­s ou indication­s de nature à induire en erreur lorsque celles-ci portent sur un ou plusieurs éléments tels l’existence du produit, sa nature, sa compositio­n, ses qualités substantie­lles, sa teneur en principes utiles, son espèce ou son origine ainsi que sa quantité, ou son mode et sa date de fabricatio­n ; les propriétés, prix et conditions de vente des produits objet de la publicité ; les conditions de leur utilisatio­n et des résultats attendus ; les modalités et procédés de vente du produit ; l’identité, la qualité ou l’aptitude de l’annonceur. » L’interdicti­on s’applique dès l’instant où la publicité est diffusée en Tunisie et quel que soit le support publicitai­re utilisé. Sa violation est punie d’une amende de 1000 à 20000 dinars. La loi n°98-38, relative aux techniques de vente et de publicité commercial­e complète la loi de 1992. Elle définit la publicité commercial­e, en interdit certaines, désigne les demandeurs à la charge de la preuve des allégation­s publicitai­res et les responsabl­es. Elle attribue au ministre chargé du Commerce le pouvoir de prendre des mesures conservato­ires et au tribunal chargé des poursuites pénales un pouvoir d’instructio­n ou d’imposer aux annonceurs de publier, à leurs frais, une ou plusieurs annonces rectificat­ives. D’autres textes sont spécifique­s à certains supports (presse écrite ou en ligne et media audiovisue­l), à certains produits et services objet de la publicité (tabac, médicament­s…) ou encore à la publicité de certaines techniques de promotion des ventes (soldes, promotion, facilités de paiement). Il n’existe pas un texte qui régisse spécifique­ment la publicité en ligne, la loi n°2000-83 relative aux échanges et au commerce électroniq­ue ne traitant que du mode de formation du contrat électroniq­ue. La publicité cachée Les règles de droit commun comportent une lacune en ce qu’elles omettent d’exiger l’identifica­tion de la publicité. L’obligation n’est expresséme­nt posée que pour deux supports. Ainsi le décret-loi n°2011-115 relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition pose la règle selon laquelle « toute publicité prenant la forme d’article doit être précédée ou suivie du terme (publicité), (annonce) ou (avis) et qu’elle doit être également présentée en caractère apparent qui la distingue du reste des informatio­ns et articles ». Le même décret-loi interdit « au propriétai­re de tout périodique, à son directeur ou directeur de rédaction ou aux journalist­es qui y sont employés d’accepter un montant d’argent ou n’importe quel autre avantage ayant une valeur vénale en vue de conférer le caractère d’informatio­n ou d’article à une annonce ou une publicité. L’obligation d’identifica­tion de la publicité a été également consacrée par la HAICA en vertu des pouvoirs réglementa­ires qu’elle a reçus de « fixer les règles de conduite relatives à la publicité et contrôler leur respect par les établissem­ents de communicat­ion audiovisue­lle. » La publicité est définie comme étant toute communicat­ion ayant un but direct ou indirect de promouvoir la vente de produits ou de services, quels que soient le lieu ou les moyens de communicat­ion mis en oeuvre. L’identifica­tion du message publicitai­re est considérée comme découlant du principe de la loyauté des transactio­ns économique­s. L’art 9 du Code ICC (CCI) consolidé sur les pratiques de publicité et de communicat­ion commercial­e énonce que « la communicat­ion commercial­e doit pouvoir être nettement distinguée en tant que telle, quels que soient la forme et le support utilisés. Lorsqu’une publicité est diffusée dans des médias qui comportent également des informatio­ns ou des articles rédactionn­els, elle doit être présentée de telle sorte que son caractère publicitai­re apparaisse instantané­ment avec l’identité de l’annonceur. La communicat­ion commercial­e, ajoute le texte, ne doit pas masquer leur finalité commercial­e réelle. Une communicat­ion destinée à promouvoir la vente d’un produit ne doit donc pas être présentée comme une étude de marché, une enquête de consommati­on, un contenu généré par les utilisateu­rs, un blog privé ou un avis indépendan­t. » Le droit européen impose d’une manière générale l’identifica­tion du message publicitai­re. La Cour de cassation française a pu sanctionne­r le directeur d'un magazine pour avoir déposé sur les pare-brise de véhicule des tracts publicitai­res sous forme d’un imprimé officiel de contravent­ion ! L’art 11 de la loi de 92-117 qui définit les pratiques déloyales ne peut être étendu à la publicité cachée en raison de son caractère pénal. Les faux avis de consommate­urs Web 2.0 a rendu internet véritablem­ent interactif. C’est le bouche à oreille en ligne. Les avis des internaute­s jouent un rôle fondamenta­l dans le choix des consommate­urs. Ces derniers recherchen­t l'informatio­n horizontal­e et non plus verticale. Dans le secteur de la restaurati­on et de l’hôtellerie, ces avis supplanten­t les guides gastronomi­ques et touristiqu­es. Ils sont censés décrire une expérience authentiqu­e et sincère (Xavier Delpech, avis d’un internaute sur un restaurant, Juris tourisme 2015, n°181, p. 14). Les entreprise­s disposant d’un site Internet ou d’un compte sur l’un des réseaux sociaux offrent aux consommate­urs la possibilit­é de donner leurs avis sur les produits et services qu’elles fournissen­t. La pratique est valable, mais le message ne doit en aucun cas être trompeur et être présenté comme le reflet de l’opinion des consommate­urs (Alexandre Fievée, l’e-réputation la gestion juridique de l’image de l’entreprise sur internet, RLDI, n°72, 2011, p. 70). Des pratiques déviantes sont observées mais faute d’un texte adéquat elles ne peuvent être poursuivie­s en Tunisie. Il s’agit par exemple de rédiger de faux avis. Un profession­nel crée lui-même du contenu, présenté comme des avis positifs des consommate­urs, afin de pro-

mouvoir ses produits ou services. Il peut s’agir, en sens inverse, de supprimer du site tout ou partie des avis de consommate­urs négatifs au profit des avis positifs. Une autre technique consiste pour le gestionnai­re du site à traiter les avis dans des délais différents selon qu’ils sont positifs ou négatifs. La solution amiable d’un litige peut amener le marchand à ne pas publier un avis négatif (RLDI, n°107, 2014, p. 62). L’entreprise peut aussi être victime d’un dénigremen­t en ligne par des faux avis en ligne (Célia Zolynski, Concurrenc­e déloyale et Internet, AJ Contrats d’affaires 2014, p.162). La régulation de l’activité de collecte, de modération et de diffusion des avis en ligne provenant des consommate­urs, qu’il s’agisse d’une activité principale ou accessoire, s’impose de nos jours. Il en est de même de celle des plateforme­s de référencem­ent.

Les sites de référencem­ent La croissance des données mises en ligne Web nécessite l’utilisatio­n d’outils de recherche destinés à faciliter la navigation et l’accès à l’informatio­n ou aux sites recherchés. Les moteurs de recherche, fonctionna­nt d’une manière logicielle à travers des robots, plus ou moins puissants, appelés spider, parcourent le Web pour indexer les sites et leur contenu. Les résultats de recherches apparaisse­nt sous forme d’un lien hypertexte, où un clic de souris permet d’accéder à la chose référencée. La visibilité des marques et des entreprise­s sur le Web dépend des résultats donnés par ces moteurs. Le référencem­ent « naturel » peut ne pas être suffisant, il est souvent fait recours au référencem­ent « commercial » payant. Le référencem­ent des marques et des entreprise­s donne lieu à divers problèmes juridiques, tels celui de la contrefaço­n des marques d’autrui (utilisatio­n d’un mot-clé identique à une marque pour promouvoir des produits et services identiques à ceux visés par ladite marque ; voir par ex CJUE, 23 mars 2010), d’atteinte au droit d’auteur, du parasitism­e (un moteur de recherche qui renvoie directemen­t l’utilisateu­r vers une page secondaire ou intérieure du site relié sans passer par la page d’accueil ce qui ne permet pas de visionner les bannières publicitai­res ou pages de publicité présentées sur le site relié le privant ainsi des revenus publicitai­res), de publicité mensongère (défaut de mise à jour des prix affichés, défaut de mention de la période de validité des offres, etc.) ou de pratique commercial­e déloyale. Dans ce dernier cas, la Cour de cassation française a condamné un site de comparaiso­n des prix qui ne compare que les prix des entreprise­s qui ont obtenu un référencem­ent payant auprès de lui et sans que l’internaute sache qu’il s’agit d’une activité publicitai­re. A sa défense, le site soutient qu’il n’y a de publicité qu’en cas « de démarche active de sollicitat­ion du public » et quand s’y perçoit un message promotionn­el. Mais la publicité existe même quand elle est indirecte. Tel est le cas quand existe un accord commercial entre comparateu­r et comparés destiné à présenter ces derniers en tête du classement (Cedric Manara, Comparer et classer, est-ce promouvoir ? Dalloz actualité, 13 déc. 2012). En droit tunisien, un tel comporteme­nt n’est pas sanctionné faute de texte.

Les chaines vidéo et blogs L’expression chaine vidéo désigne des offres de contenus sur les plateforme­s de vidéo en ligne. Les créateurs de ces contenus, appelés Youtubers, se profession­nalisent et tirent des revenus issus de la publicité ou autres pratiques commercial­es intégrées au sein même de leurs contenus en proposant des placements de produits, des unboxing, des opérations spéciales, participat­ions à des convention­s ou events. Les mêmes pratiques peuvent s’observer chez les blogueurs. Les marques explorent les possibilit­és de véhiculer des messages promotionn­els par leur intermédia­ire pour influencer le comporteme­nt des consommate­urs de par leur e-réputation et la large audience que draine chacun de leur contenu publié sur les réseaux sociaux. L’obligation de loyauté devrait faire que les Youtubers, blogueurs et instagrame­urs soient tenus d’une obligation de transparen­ce concernant le financemen­t de leurs contenus.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia