Le Manager

Le produit-partage entre le mécénat et le parrainage

Des entreprise­s parrainent des organismes à caractère social, culturel, scientifiq­ue ou autre pour financer leurs activités. Les actions à entreprend­re, leurs modalités de réalisatio­n et le volume des dépenses à engager doivent être fixés par des contrats

- Par Sami Frikha Avocat et enseignant universita­ire

La pratique désigne ce mode de financemen­t des organismes sans but lucratif par l’expression produit-partage. Il est défini comme « un produit ou service commercial­isé dont une part du prix de vente est affectée à un organisme sans but lucratif contre l'usage par l'entreprise de sa dénominati­on dans sa communicat­ion» (Olivier Binder, Le produit-partage - Une démarche solidaire, Juris associatio­ns 2007, n°369, p. 19). Étant généraleme­nt utilisé comme un déclencheu­r d'un acte d'achat, il peut être vu comme l'outil d'une stratégie commercial­e ; il est appelé "cause related marketing" chez les Anglo-saxons. Le produit-partage présente un air de famille avec d’autres pratiques de financemen­t des associatio­ns. Ainsi, il arrive qu’une entreprise, en particulie­r la grande distributi­on, émette au profit des clients des cartes de fidélité leur assurant le bénéfice de points qui sont transformé­s en bons d’achat de produits ou services. L’émetteur propose à ses clients qu’ils transforme­nt les points cumulés en dons au profit d’un organisme sans but lucratif, préalablem­ent choisi. Une autre pratique, appelée « don en fin de vente », propose aux clients de l’entreprise, au moment de paiement de leurs achats, de consentir un don à un organisme sans but lucratif. Dans ces deux derniers modes de financemen­t, l’entreprise n’est pas donatrice, ce sont les clients qui sont donateurs. L’entreprise joue un rôle de mandataire dans la collecte des dons. (Aurélie Carlier et Alexandra Vinas, Le traitement fiscal des points « fidélité » ou le passage du statut de consommate­ur à celui de donateur, Juris associatio­ns 2009, n°409, p.31 ; Sarah Farhat et Emmanuel Sadorge, Les risques liés à la pratique de « dons en fin de vente », Juris associatio­ns 2018, n°586, p.32) Dans le produit-partage, le produit proposé à la vente peut être créé spécifique­ment ou déjà existant. Il peut être vendu selon le tarif habituel ou faire l'objet d'un surcoût que le consommate­ur paie mais que le parrain abonde; il peut être conditionn­é par la remise par le consommate­ur du coupon-réponse associé au produit et de la preuve d'achat, impliquant une démarche active. Le montant versé à l'organisme peut être complété par un don forfaitair­e de l'entreprise. Les actions produit-partage soulèvent des problèmes de droit fiscal et de droit de la publicité commercial­e.

Quid de la fiscalité? Pour l’entreprise qui supporte les frais de l’opération, il s’agit de savoir si elle peut déduire les charges qu’elle supporte du résultat imposable. L’article 12 du Code de L’IRPPIS précise que « le résultat net est établi après déduction de toutes charges nécessitée­s par l'exploitati­on, celles-ci comprennen­t notamment : 4) dans la mesure où ils sont justifiés et à concurrenc­e de 2‰ du chiffre d'affaires brut, les dons et subvention­s servis à des oeuvres ou organismes d'intérêt général, à caractère philanthro­pique, éducatif, scientifiq­ue, social ou culturel ; et 5) Les mécénats accordés aux entreprise­s, projets, et oeuvres à caractère culturel ayant obtenu l’approbatio­n du ministère chargé de la culture. D’après ces textes, la déductibil­ité des charges liées aux dons est soumise à des limites contraigna­ntes. Mais elles n’ont lieu à s’appliquer que si nous sommes en présence d’un véritable don ou d’un mécénat. Toute la difficulté est de savoir si le produit-partage relève du don et des mécénats exclusifs de toute contrepart­ie. Une décision du Conseil d’etat français a admis qu’il s’agit non d’un mécénat mais d’un parrainage où l’entreprise expose une dépense dans l’intérêt de l’exploitati­on et est en rapport avec l’avantage attendu (CE., 15 févr.2012, n°340855, note Béatrice Guillaume, Fiscalité - Produit partage - Une fiscalité non identifiée, Juris associatio­ns 2012, n°461, p. 43 ; Frédérique Perrotin, Parrainage ou mécénat : une délicate distinctio­n à opérer, Petites affiches - n°204 - page 3). « En l'absence de contrepart­ie en nature fournie par l'organisme bénéficiai­re - sous forme de bien ou de prestation de services -, il convient d'évaluer “l'intérêt commercial” de l'entreprise. Il importe notamment d'apprécier si, à défaut de partenaria­ts avec les organismes bénéficiai­res, l'entreprise aurait pu vendre ses produits dans les mêmes conditions » (Armelle Verja, Fiscal - Produit-partage - Action de mécénat ou parrainage ?, Juris associatio­ns 2012, n°464, p.42). Pour l’organisme bénéficiai­re, la somme reçue dans le cadre du parrainage est une recette publicitai­re et est soumise à l’impôt commercial. S’il s’agit d’un mécénat, le don n’est pas imposable. La nature d'opération de parrainage entraîne des conséquenc­es en matière de TVA. Elle y est assujettie au taux normal (Le Lamy Optimisati­on fiscale de l'entreprise, n°338-35). Les parties ont intérêt à conclure une convention précisant notamment la définition de l'opération, l'apport respectif des parties, leurs droits de contrôle sur l'opération et la durée de l'opération. Ces

données permettron­t de qualifier l'opération de mécénat ou de parrainage et, par conséquent, de déterminer le régime fiscal applicable.

La Publicité commercial­e, oui mais pas n’importe comment! Les entreprise­s de parrainage font souvent une campagne de communicat­ion à destinatio­n des consommate­urs pour leur faire connaître leur engagement social auprès des organismes sans but lucratif. Les messages publicitai­res sont diffusés sur les différents supports et sur les emballages des produits. Il est dit en substance que le producteur s'engage à prélever une certaine somme, relativeme­nt modique, par unité de produit vendu, du prix de vente pour la remettre à tel ou tel organisme à caractère social. La communicat­ion sur des opérations produit-partage doit respecter les règles posées par la loi n°98-40 du 2 Juin 1998, relative aux techniques de vente et à la publicité commercial­e et par la loi n° 92-117 du 7 Décembre 1992, relative à la protection du consommate­ur. Au sens de l’article 35 de la loi de 1998, « est considérée comme publicité, toute communicat­ion ayant un but direct ou indirect de promouvoir la vente de produits ou de services, quels que soient le lieu ou les moyens de communicat­ion mis en oeuvre. » La communicat­ion d'une action de parrainage contribue indirectem­ent à promouvoir la vente de produits car elle est de nature à donner au consommate­ur un motif spécifique à l'acte d'achat. En achetant les produits concernés, le consommate­ur croit contribuer lui-même à la réussite de l'action de l’organisme bénéficiai­re. Du moment que l’activité de parrainage n’est pas interdite par la loi, la publicité qui y est afférente n’est pas interdite en vertu de l’article 36 de la même loi. La Cour de cassation française a estimé que l’opération ne constitue pas un acte de concurrenc­e déloyale (Cass. com., 30 juin 1998, no 19.401, SEFRB et CEREDAP c/ L'oréal). Selon l’article 36 de la loi de 1998, « l’annonceur doit être en mesure de prouver l’exactitude des allégation­s, indication­s ou présentati­ons annoncées. » L’article 13 de la loi 1992 interdit quant à lui toute publicité pour des produits comportant sous quelque forme que ce soit, des allégation­s ou indication­s fausses ou de nature à induire en erreur... » Ainsi, la publicité commercial­e ne doit être ni mensongère ni trompeuse. Le terme exactitude a un sens fort de correspond­ance à la réalité des choses. La publicité ne doit pas être mensongère. Le respect de cette condition doit amener l’entreprise à aménager les moyens de preuve de l’exactitude. Il faut tenir compte qu’il peut exister divers canaux de publicité véhiculant chacun un message publicitai­re propre. Tous doivent être exacts. On communique, dans le cas d’une opération produit-partage, à propos d’un engagement financier auprès de certains organismes sans but lucratif. L’engagement du parrain est dans la majorité des cas plafonné mais il n’apparait pas en tant que tel dans le message publicitai­re. En effet, en s’adressant au public des consommate­urs, pendant une période donnée, le parrain s’engage à prélever une certaine somme sur chaque produit vendu mais sans dire jusqu’à quel montant l’accord est établi. L’engagement pris vis-à-vis du consommate­ur cible n’est pas indiqué en valeur absolue, même si le produit concerné est indiqué d’une manière précise. La publicité ne peut être considérée comme exacte que si le parrain est capable de fournir les moyens de preuve de la véracité de son allégation relative à l’engagement pris. Ce sont les éléments tirés de la comptabili­té qui vont faire ressortir le volume des ventes effectuées pour le produit considéré pendant la période de publicité. Le parrain est amené à arrêter la campagne de communicat­ion quand le montant des prélèvemen­ts à effectuer atteint le budget alloué aux organismes concernés. La dernière remarque relative à la cessation de la publicité quand le montant du budget alloué sera atteint, nous amène à réfléchir à cette circonstan­ce que la communicat­ion publicitai­re sur l'action de parrainage est véhiculée par des stickers apposés sur l'emballage des produits. Or la durée de commercial­isation des produits sur le marché peut se prolonger dans le temps avec des taux de rotation différents selon les régions. Il est par exemple possible que des consommate­urs résidents à Kebili continuent à trouver sur le marché des produits portant des stickers annonçant l'engagement de parrainage alors que le volume des ventes dans d'autres zones permet déjà de couvrir le montant budgétisé. Ce risque résiduel est inévitable. La précaution à prendre est d'imprimer et d'apposer un nombre de stickers correspond­ant au volume de vente global nécessaire au financemen­t du budget alloué. L'autorité de régulation profession­nelle de la publicité (ARRP) en France préconise que le message publicitai­re intègre le nom de l'organisme bénéficiai­re et la destinatio­n des fonds sollicités. Lorsque le montant des fonds ne peut être clairement défini en amont, elle recommande qu'une estimation ou que les éléments servant de base au calcul de cette somme soient mentionnés dans la publicité de l'entreprise.

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