Loi de finances 2019 Plutôt miel ou aiguillon ?
2019 signera-t-elle la fin des sacrifices imposés aux opérateurs économiques ? Pas plus tard que septembre dernier, lors de l’annonce des grandes orientations de la loi de finances 2019, Youssef Chahed a affirmé sa volonté de relancer la croissance économique et de préserver les grands équilibres. Un projet de loi que Solidar a passé sous la loupe, lors d’une conférence organisée début novembre. Une évaluation de la précédente loi de finances et un ensemble de propositions ont été présentées. Apprenons du passé, telle est la devise !
Au programme de la nouvelle loi de finances, le développement régional, un souffle d’air pour le pouvoir d’achat et focus sur l’investissement. Avec un budget de 40,662 milliards de dinars, le gouvernement ambitionne de réduire le déficit budgétaire à 3,9 % en 2019, et à 3 % en 2020, ramener la dette en dessous de la barre de 70 % du PIB, et vise une croissance de 3,1%. Les mesures prévoient notamment la fin du calvaire des impositions pour les personnes morales et physiques, l’encouragement à la création d’entreprise avec une exonération d’impôt qui passe à 4 ans, la révision du taux d’imposition sur les sociétés, la mise en place d’une ligne de financement pour les PME, un système fiscal préférentiel pour encourager le commerce électronique, la mise en place de la Banque des régions, l’augmentation des fonds alloués au fonds de l’emploi de 150 millions de dinars, l’allocation de 50 millions de dinars en fonds propres pour encourager l’entrepreneuriat des jeunes et la révision du prix de la voiture populaire qui passera en dessous du seuil de 20.000 dinars.
Les objectifs de 2019 sont-ils encore une fois trop ambitieux ? L’évaluation de la loi de finances 2018 et un regard sur les objectifs du plan quinquennal lèvent le voile sur le grand écart entre les prévisions et les réalisations. A noter que l’objectif de croissance fixé pour l’année 2018 était de 3%, contre seulement 2,6% réalisé. A titre d’exemple, le rapport de Solidar révèle que les prévisions de croissance pour les industries manufacturières dans le plan quinquennal sont de 6,6% pour l’année 2018, la loi de finances 2018 prévoyait quant à elle un taux de 2,4%, le bilan ne dégage qu’une croissance de 0,6% ! L’exemple du secteur des mines est encore plus frappant ! Alors que la LF2018 prévoyait une croissance de 13,1%, le secteur des mines en sort déficitaire avec une croissance de -9,7%. Lobna Jeribi, présidente de Solidar est sans équivoque sur
la question. Ces écarts sont en grande partie dus au manque de coordination entre les ministères, et notamment entre le ministère des Finances et le ministère du Développement, de l’investissement et de la Coopération internationale. Pour la présidente, il est primordial de développer une même vision, converger les politiques économiques. “On appelle à un plan d’action en ligne avec les intérêts économiques, en l’occurrence, a travers une cartographie des acteurs et l’élaboration d’études d'impacts et de faisabilité des différentes mesures intégrées dans les projets de loi” insiste-t-elle. Lobna Jeribi a également évoqué l’importance de bien étudier une convergence entre les entreprises onshore et offshore, qui devra agir telle une manivelle vers le haut et non l’inverse. Salma Zouari, experte auprès de Solidar, affirme que certaines prévisions sont difficiles à réaliser. Le plan quinquennal a fixé un taux de croissance de 4,5%, alors qu’on prévoit une croissance de 3,1% pour 2019. De même, le budget économique de 2018 a prévu une augmentation de l’investissement privé de 15% et des IDE de 33%. Ces chiffres sont loin d’être atteints. Les mesures fiscales prévues ne visent que certains secteurs et ne sont pas suffisantes pour atteindre les objectifs fixés par le budget de 2019. Pour Solidar, il importe de généraliser ces mesures à toutes les activités industrielles. Selon Salma Zouari, le modèle de croissance pour 2019 restera inférieur au niveau prévu en raison de faibles niveaux d'investissement. Après 2011, la consommation publique et privée a atteint des niveaux très élevés. “Il est nécessaire de promouvoir les valeurs du travail et d’initier une culture de la production plutôt qu'une culture de la consommation” insiste l’experte. De son côté, Mongi Rahoui, président de la commission des finances au sein de L’ARP, n’y va pas de main morte ! Il est d’avis que le PLF 2019 adopte les mêmes orientations que les précédentes lois de finances. Elle est basée sur l’appauvrissement de la classe moyenne, l’augmentation des prix notamment de l’eau, des hydrocarbures et du gaz, la mobilisation des ressources financières, notamment fiscales, et ce, au détriment de l’activité économique. “La base du développement économique est la confiance des opérateurs. Ce projet ne contribue aucunement à la lutte contre la corruption et à l’évasion fiscale et n’est pas orienté vers l’export ou l’investissement. Il y a nécessité d’élaborer et de mettre en oeuvre de vraies politiques et non des politiques politiciennes ! Les fonds perdus octroyés aux régions devraient être déployés dans le cadre de projets construits, avec des objectifs et une évaluation des résultats. Par exemple, les plus-values sur cession d’actifs doivent être intégrées dans les réserves, puis servir d’investissement et non de spéculation !”. Évaluer et donner du temps au temps ! Lobna Jeribi insiste sur la nécessité d’évaluer les mesures des précédentes lois et d’étudier les impacts de chaque projet de loi afin d’évaluer les risques et d’élaborer des prévisions sur une base solide. La baisse des frais de douane pour les équipements et panneaux solaires de 30% à 15% et la baisse de la TVA de 19% à 7% est une initiative louable, et s’inscrit comme un pas de plus dans la transition énergétique. La nécessité première est d’oeuvrer à l’amélioration de la productivité des entreprises en passant par la mise en place d’un socle social au profit des employés, notamment en matière de transport, dont la charge sera déductible de L’IRPP, et d’accélérer la mise en oeuvre de réformes pour l’amélioration de l’environnement des affaires. Les avantages fiscaux, notamment la baisse de L’IS à 13,5% devraient inclure l’ensemble des secteurs prioritaires. Raja Boulabiar, directrice générale de la prévision au ministère du Développement, de l’investissement et de la Coopération Internationale, apporte un bémol à l’analyse de Solidar. La responsable est d’avis que les stratégies mettent du temps à porter leurs fruits. Pour la responsable, “Lors de l’élaboration du plan quinquennal, nul n’était en mesure de prévoir les variables exogènes, telles que les turbulences sociales et politiques survenues ces dernières années et qui ont impacté la réalisation des prévisions. il faut nuancer et aller dans l’analyse sectorielle.”
ABDELWAHAB BEN AYED PRÉSIDENT DE PGH