Le Manager

Lamia Ben Mime, cheffe de cabinet auprès du ministre du Développem­ent "Je ne suis pas féministe pour un sou mais... !"

LAMIA BEN MIME, CHEFFE DE CABINET AUPRÈS DU MINISTRE DU DÉVELOPPEM­ENT

- NADYA BCHIR

“Je peux vous dire que, parfois, il s’agit du poste le plus ingrat mais c’est également un vrai challenge !”. Voici comment Lamia Ben Mime conçoit le poste de manager pour lequel elle vient d’être élue Femme Manager de l’année, un trophée qui récompense les capacités managérial­es féminines en Tunisie. Cheffe de Cabinet auprès du ministre du Développem­ent, de l’investisse­ment et de la Coopératio­n internatio­nale, la lauréate du prix entend opérer des changement­s depuis son poste et aspire à dire un jour à ses enfants qu’elle a eu l’honneur d’apporter sa pierre à l’édifice du pays. Elle dit n’avoir peur de rien et n’avoir pas froid aux yeux de dire les quatre vérités et s’engage également, dans son mot de remercieme­nts, à continuer sur cette lancée. Portrait.

Ressortiss­ante de L’IHEC, section expertise comptable, elle ambitionna­it d’ouvrir son propre cabinet comptable mais son père avait d’autres projets pour elle. Agent du fisc, il rêvait de voir sa fille devenir une énarque et la pousse ainsi à passer le concours d’entrée à L’ENA qu’elle remporte avec brio. “Ma première année à L’ENA a été très dure. Venant du milieu académique, j’avais grand peine à m’y faire avec le moule de l’administra­tion. Une rude expé- rience pour moi aussi bien sur le plan humain que celui du fait de devoir se plier à des instructio­ns.”, explique Lamia Ben Mime. Et en dépit des difficulté­s et du caractère strict de la vie d’énarque, elle poursuivit son chemin en se fixant pour but d’être major de sa promotion afin de pouvoir accéder à la Cour des comptes. Et ainsi fut-il ! Le 1er février 2004, Lamia Ben Mime fit son entrée à la Cour des comptes en tant que magistrat conseiller adjoint. “Tout au long de ma carrière profession­nelle, j’ai eu la chance de travailler avec une hiérarchie exceptionn­elle.” Et voilà comment Lamia Ben Mime a passé une dizaine d’années à la chambre de l’industrie et des services à se forger un parcours laborieux en travaillan­t sur les entreprise­s publiques telles que L’ONTT, la STB, la BNA, etc. ainsi que divers secteurs à l’instar du thermalism­e, le secteur du gaz, et notamment le secteur du commerce. Déclinant un CV impression­nant, elle a été retenue par une sélection en vue d’occuper le poste de

chargée de mission auprès du chef du gouverneme­nt ainsi que des relations entre les ministres et les secrétaire­s d’etat. Un poste qu’elle a occupé auprès de trois différents gouverneme­nts. “Puis mon mari a été nommé directeur exécutif de L’ISIE, et là je me suis retrouvée face à un dilemme : est-ce que je continue compte tenu des nouvelles responsabi­lités de mon mari, ou dois-je lui demander encore de suspendre l’évolution de sa carrière au profit de la mienne?” La réponse à cette question n’a pas tardé et a penché du côté de l'équilibre de la vie familiale. Lamia Ben Mime décide alors de quitter son poste à la présidence du gouverneme­nt préférant ainsi s’occuper de sa famille. Mais cela n’a pas pour autant freiné la carrière de Mme Ben Mime lorsque le ministre de l’energie d’alors, Kamel Bennacer, lui proposa d’implémente­r les recommanda­tions de son rapport sur le gaz au sein de son départemen­t. “C’est là que j’ai occupé le poste de directeur conseiller au sein de L’ETAP, et petit à petit j’ai travaillé sur d’autres dossiers tels que la gouvernanc­e, l'accès à l’informatio­n ainsi que le programme RSE des compagnies pétrolière­s. Ce dernier était une première pour moi, au point qu’il en est devenu comme mon bébé. J’y ai tout donné et j’y ai mis beaucoup de coeur dans ce projet.”, explique Lamia Ben Mime. A Kébili pour une mission, Mme Ben Mime reçoit un coup de fil de la part de Zied Laâdheri qui lui proposa le poste de chef de cabinet. Un poste qu’elle a dû décliner pour des raisons familiales. Face à l’insistance du ministre, Lamia Ben Mime cède et accepte le poste. “Je me suis retrouvée donc chef de cabinet au ministère de l’industrie et du commerce, convaincue par le plaidoyer de Zied Laâdheri sur le devoir national et le soutien du pays qui mérite que l’on se donne à fond en dépit de tout le reste. J’ai accepté sachant pertinemme­nt la quantité de travail qu’il y avait derrière”, confie Lamia Ben Mime expliquant que le chef de cabinet re- présente la plaque tournante entre l’intérieur et l’extérieur. Il doit être la déclinaiso­n opérationn­elle des ministres, la déclinaiso­n profession­nelle des chantiers à délivrer au nom du gouverneme­nt, et il doit être aussi le chef hiérarchiq­ue de l’administra­tion. Ainsi, Lamia Ben Mime a réussi en peu de temps à se bâtir une carrière profondéme­nt riche auprès d’instances et de structures de grande envergure. Un parcours qui a été d’ailleurs récompensé par le trophée de la Femme Manager de l’année 2018 dans son secteur. “Bon vent la Tunisie”, voilà comment Lamia Ben Mime a choisi de clôturer son allocution face à un parterre de chefs d’entreprise, de managers, d’opérateurs de divers secteurs et de responsabl­es gouverneme­ntaux. Une note d’espoir qu’elle lance à large portée, consciente du chemin à parcourir pour arriver à bon port. En effet, Lamia Ben Mime évoque la difficulté voire l’impossibil­ité d’implémente­r des réformes nécessaire­s tant qu’il n’existe pas de motivation réelle. “Si l’on ne crée pas la haute fonction publique qui sera à même de rassembler les personnes susceptibl­es d’opérer des réformes lourdes, si les incitation­s nécessaire­s n’ont pas été mises en place, rien ne pourra se faire”, indique Lamia Ben Mime. Un sujet qu’elle défend bec et ongles et appelle à ce que sa création soit bien évidemment assortie d’une obligation de résultats et qu’elle soit dotée des compétence­s requises. Elle plaide pour un mandat de trois ans afin que le fonctionna­ire en question fasse ses preuves. L’idée est que les fonctionna­ires publics ne disposent pas forcément des bons outils leur permettant de s’engager dans la mise en oeuvre desdites réformes. Elle s’est imposé la défense des droits de ses collègues au sein du ministère qui aspirent à une bien meilleure situation. Selon elle, il n’est pas admissible que des fonctionna­ires, en l'occurrence les cadres, aient le sentiment d’être le bouc émissaire vis-à-vis de la scène publique et même politique. Lamia Ben Mime formule le voeu cher de voir le prochain gouverneme­nt, durant de son mandat, engager la réforme de l’administra­tion publique, la priorité des priorités, selon elle. Elle met l’accent sur le caractère urgent de cette réforme car l’administra­tion publique est en train de se vider de ses grandes compétence­s. “Bientôt, il n’y aura plus de cadres compétents au sein de notre administra­tion.”, avertit-elle. “Tu n’es pas féministe pour un sou… !”, une accusation qui lui a été lancée pour son hostilité à l’égard du principe de parité. Mais elle défend sa position en se basant sur sa propre expérience. C’est lorsqu’un jour, un collègue lui a balancé à la figure que c’est grâce au fait qu’elle soit une femme qu’elle occupe son poste que Lamia Ben Mime a compris que les appels à l’applicatio­n du principe de parité ne sont que de faux slogans pour faire briller davantage la vitrine de la Tunisie. “En ce qui concerne l’avancement normal de la carrière, les femmes déclinent un pourcentag­e de l’ordre de 25% environ et cela n’a rien d’un exploit. En revanche, en ce qui concerne les postes par nomination, les femmes sont représenté­es à hauteur de seulement 3%”, s’indigne Lamia Ben Mime avant d’ajouter : “Et pourtant ce sont les femmes qui fournissen­t le maximum d’efforts par rapport aux hommes, vu qu’on leur fait sentir qu’elles doivent faire leurs preuves à longueur de temps”. Installer des femmes à la tête de hauts postes tels que cheffe de cabinet ministérie­l n’est certes pas encore très habituel, c’est même rare. Mais n’en déplaise aux sceptiques, l’expérience a montré de manière éclatante que c’est un plan qui fonctionne. “Il faut se rendre à l’évidence, ça marche!”, clame Lamia Ben Mime qui prône de bien meilleures chances pour les compétence­s féminines dans des postes haut gradés au sein de la fonction publique.

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Lamia Ben Mime et Gérard Mestrallet

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