Le Manager

Henda Rekik, directrice générale de Faurecia Tunisie Un parcours du combattant

HENDA REKIK, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE FAURECIA TUNISIE

- MOHAMED GONTARA

L’entreprise que gère aujourd’hui la femme qui a obtenu un des Trophées de la Femme Manager de l'année 2018 (section Manager Secteur Privé) a pu renverser la vapeur dans une usine qui risquait à son arrivée, en 2015, d’être fermée.

L’écriteau, placé à l’entrée de l’usine, énonce qu’ « A travers cette porte passent les meilleurs employés du monde ». Tout un programme pour la directrice générale des lieux, Henda Rekik. Son bureau n’est pas du reste d’un luxe bien particulie­r. Comme elle porte, à l’instar de tous les employés, une blouse blanche avec l’inscriptio­n de son nom et celui de l’entreprise : Faurecia. Le pas alerte, le regard vif et le verbe juste, elle a réussi en trois ans (2015-2018) ce qui ne peut que tenir d’une success story. Une expérience qu’elle décrit dans une sorte de triptyque : d’abord, risque de fermeture de l’usine à, ensuite, un projet de changement à, enfin, l’extension et le développem­ent (« Mina taskire, ila attaghyre, ila attakbire »). Une tranche de vie de cette femme courage qui lui a permis d’être distinguée par l’obtention d’un des Trophées de la Femme Manager de l'année 2018, cérémonie organisée par la Confédérat­ion des Entreprise­s Citoyennes de Tunisie (CONECT) et dont notre magazine est partenaire. Un trophée qui vient couronner un travail de longue haleine réalisé par cette ingénieure de l’ecole Nationale des Ingénieurs de Sfax (ENIS) spécialisé­e en électricit­é. Henda Rekik débarque en 2015 dans des conditions on ne peut plus difficiles. L’entreprise est en pleine tension. Les relations de travail sont exécrables entre la direction, assurée par un dirigeant expatrié, et le personnel. « Des deux côtés, on est arrivé même aux provocatio­ns », soutient la DG de Faurecia. L’usine, qui est un site d’une grande marque française de l’automobile, risquait d’être carrément fermée. En raison, entre autres, des grèves qui ont marqué les années 2013 et 2014. Et les plans étaient adoptés en vue de fabriquer les produits de l’usine en Roumanie ou encore au Maroc où Faurecia a des sites : Faurecia dispose en tout de 300 sites. « Ce qui n’était pas bon pour le pays »,

tranche Henda Rekik. Faurecia Tunisie est du reste située dans la zone industriel­le de Ben Arous qui est connue pour abriter une intense activité syndicale. Henda Rekik n’est pas femme à laisser les choses en l’état. Elle décide de prendre, pour ainsi dire, le taureau par les cornes. Avec un souci : laisser l’entreprise en Tunisie et sauver les emplois. En vue de développer durablemen­t plus tard l’activité. Mais chaque chose en son temps. Elle comprend, à ce propos, très vite que l’entreprise souffre d’un grand déficit de communicat­ion. Elle se met donc tout de suite au travail avec les employés et les syndicats pour prêcher la bonne parole. Outre la multiplica­tion des réunions, elle se rend fréquemmen­t dans les ateliers. Comme elle invite toutes celles (le personnel est composé à 70% d e femmes ) et ceux qui veulent la voir à venir dans son bureau. Un bureau qu’elle garde constammen­t ouvert. Une sorte d’invitation au dialogue. Avec un message essentiel : il faut coûte que coûte sauver le soldat Faurecia. Il faut assurer la permanence de l’entreprise et des emplois. Comme elle fait jouer quelque part – et d’une manière discrète - la fibre nationale. Les employés n’ont-ils pas le devoir de faire quelque chose pour le pays qui les a vus naître et où ils ont des familles à faire vivre et prospérer ? Et Henda Rekik ne perd pas le nord. Elle profite dans les rencontres qu’elle organise de communique­r sur les valeurs de Faurecia. Son bureau est, à ce titre, fait de nombreuses affiches qui rappellent ce qu’est Faurecia et ce qu’elle ambitionne d’accomplir. Et en quoi elle croit. Sans oublier, comme elle continue de le faire aujourd’hui, de partager un repas ou un petit-déjeuner avec tout ou partie des employés. Et ça marche. Le personnel et le syndicat sont d’accord pour aller de l’avant. Le travail reprend normalemen­t et avec lui la confiance. Mais, les problèmes vont de nouveau apparaître. Avec des licencieme­nts nécessaire­s à la suite d’une baisse d’activité (quelque 250 personnes). Des débrayages et des grèves sont lancés en 2016. Que faire ? Henda Rekik n’est pas femme encore une fois à subir les faits. Elle réunit les employés pour leur expliquer qu’elle n’a pas d’autres moyens pour assurer la permanence de l’activité que de dégraisser le mammouth. Mais encore et surtout que les employés ont bien déçu. Ne s’est-elle pas démenée, par ailleurs, p our r edonner vie au projet ? Parallèlem­ent, elle se doit de convaincre –encore une fois- la direction du Groupe Faurecia que rien n’est perdu. Et que donc, il faut lui donner une seconde chance. Pour ce faire, elle communique. Elle organise également des visites à des sites tunisiens qui sont arrivés à sortir de grandes crises. Elle y met toutes ses forces et son énergie. Et encore une fois ça marche. Grâce notamment à l’équipe au bureau syndical de l’usine. Qui fait montre d’une réelle complicité. Direction et syndicat mettent la main dans la main pour le bien de l’entreprise. « Depuis l’arrivée de l’équipe en 2016 tout va bien. Respect mutuel et intérêt de l’entrepris sont le socle sur lequel nous avons bâti nos relations », déclare Henda Rekik. Les résultats ne manquent pas de lui donner raison : l’entreprise qui employait 780 personnes à son arrivée, en 2015, compte aujourd’hui 1100. Dont une soixantain­e de cadres. Autre satisfacti­on pour Henda Rekik : l’entreprise, qui a amélioré ses indicateur­s en matière de production et de productivi­té, a réussi à remplacer les produits qui lui ont été retirés au moment de sa crise. De quoi évidemment permettre à l’usine de gagner la confiance de la direction du Groupe Faurecia. Ce dernier compte 100 000 employés et est installé dans 34 pays. Comme il est un leader mondial du secteur automobile : mécanismes, sièges et intérieur. Mais comment sommes-nous arrivés là ? Le vécu décrit plus haut donne un aperçu sur les raisons de cette mutation. Auquel Henda Rekik ajoute quelques facteurs. D’abord, que « le Tunisien est capable de miracles si on sait lui parler, si on lui fait confiance, s’il croit en ce qu’il fait, s’il est motivé, s’il trouve de bonnes conditions de travail… en somme, le succès n’a pas de nationalit­é ». Ensuite, le travail, la persévéran­ce et la patience donnent toujours des résultats probants. Des qualités qui sont également des valeurs pour une femme qui a roulé sa bosse un peu partout : à Valeo Tunisie, à Autoliv Tunisie, dans le groupe Kilani, dans le Groupe MMP... Touchant à divers secteurs d’activité et travaillan­t dans différents gouvernora­ts du pays. Enfin et, sans doute, raisons plus personnell­es, Henda Rekik croit dur comme fer qu’elle n’aurait pas pu réussir sans un certain « équilibre familial ». « Ma famille a toujours été d’un grand apport », insiste-telle. En mettant en exergue le rôle joué par ses parents, mais aussi par son mari et ses deux fils. Son père ne faisait pas de différence, assure-telle, entre elle et ses trois frères. Ses parents et son mari l'ont toujours poussé à aller de l’avant. Capital pour une femme qui ne jure que par l’ « intelligen­ce émotionnel­le ». Et qu’à ce titre croit à cette « capacité de reconnaîtr­e, comprendre et maîtriser ses propres émotions et à composer avec les émotions des autres personnes ». Mais qui privilégie au-delà de tout la performanc­e. « L’empathie ne doit pas nous faire oublier l’essentiel : il faut que le travail marche », fait-t-elle remarquer.

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Tarek Cherif et Henda Rekik

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