L'énigme de l'e-commerce tunisien Un décollage qui tarde à venir !
KHALIL TALBI, PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE SYNDICALE NATIONALE DU COMMERCE ÉLECTRONIQUE
Cogite Coworking Space abrite la première édition des Tunisian Ecommerce Days. une séries de 4 afterworks dédiés au commerce électronique. À travers ces rencontres, les organisateurs souhaitent mettre sous les feux des projecteurs les problématiques du secteur et pouvoir développer les solutions adéquates en collaboration avec toutes les parties prenantes. À cette occasion, le Manager s’est entretenu avec Khalil Talbi, président de la Chambre syndicale nationale du commerce électronique et de la vente à distance (Sevad) et co-organisateur de l’événement. Comment évaluez-vous l'évolution du secteur de l'e- commerce ?
Le secteur est en train d'évoluer à un rythme accéléré avec une croissance annuelle à deux chiffres. Il a atteint un potentiel relativement intéressant. Au SEVAD, nos estimations montrent que le marché du e-commerce génère un chiffre d’affaires total d’environ 200 millions de dinars. Néanmoins, le vrai potentiel à périmètre constant du secteur est loin d'être atteint et serait de 2 à 3 milliards de dinars, soit 2 à 3% du PIB à l'image des économies matures. Cependant, certains freins s'opposent aujourd'hui à la réalisation de ce potentiel, à savoir la faible inclusion financière, l'insuffisance de l'offre en-ligne et le manque de confiance généralisé. À cela s’ajoute un cyber marché parallèle qui capte une partie considérable du commerce digital et dont la taille est comparable à celle du secteur formel, selon nos estimations.
Face à ces challenges, quelles actions avez-vous initié ?
Le Sevad a lancé cette année le Baromètre biannuel de l’e-commerce, que nous élaborons en collaboration avec le ministère du commerce, L’INC et l’agence Mdweb. Le but étant de suivre l’évolution du secteur et de mieux cerner les facteurs qui peuvent freiner son développement. Nous avons également mis en place un label de confiance en partenariat avec l’institut National de Consommation et l’organisation de Défense des Consommateurs. À travers ce label, nous accompagnons les opérateurs de l'e-commerce à se conformer, non seulement à la législation locale, mais aussi aux standards internationaux en la matière. Ce projet permettra principalement à bâtir une relation de confiance entre les consommateurs et les sites marchands locaux. Cette estampille de bonne conduite joue également un rôle majeur dans la lutte contre le marché parallèle du commerce électronique.
Que pensez-vous du cadre réglementaire actuel ? Des améliorations à proposer ?
Bien que le cadre réglementaire actuel a permis l’émergence d'un écosystème d’e-commerce, il constitue aujourd’hui un frein à l'émergence de champions locaux et régionaux. Les premiers output des Tunisian E-commerce Days mettent en évidence ce point en particulier. Ce cadre privilégie indirectement les opérateurs du e-commerce internationaux au détriment des opérateurs locaux notamment en ce qui concerne les contraintes légales imposées en matière de réglementation de change. L’amélioration du cadre légal est d’ailleurs l’une des thématiques principales des Tunisian E-commerce Days à travers desquelles nous souhaitons pouvoir mettre en évidence les points bloquant sur l'ensemble de la chaîne de valeur.
Les grands noms du brick-andmortar pourraient-ils jouer un rôle dans la popularisation du commerce électronique ?
Il est clair que les enseignes historiques de la distribution peuvent jouer un rôle de catalyseur pour l'ensemble de l'écosystème. Si l'expérience du principal pure-player du secteur, à savoir Founa Shop, a été un franc succès, imaginez ce que peuvent faire ces enseignes déjà établies et qui bénéficient d'un important capital confiance auprès des consommateurs tunisiens. D’ailleurs, partout dans le monde, on constate l’évolution du secteur vers l’omnicanal [une stratégie de marketing qui propose un univers unique de consommation regroupant l’ensemble des canaux de distribution, ndlr]. À ce titre, je peux citer l’exemple du géant américain du retail qui a multiplié ces dernières années les initiatives digitales, ou encore Amazon qui fait son entrée dans le monde du brick-and-mortar à plus d’un niveau.