Le Maghreb vu par les banques
XVIÈME SOMMET BANCAIRE MAGHRÉBIN
Les liens culturels, historiques et géographiques qui unissent les pays du Maghreb n’ont pas réussi à faire germer l’union maghrébine à laquelle croyait plus d’un. Et si les banques réussissaient là où ont échoué les autres ? Lueurs d’optimisme.
Malgré une faible contribution à l’émission des gaz à effet de serre, les pays du Maghreb subissent pourtant de plein fouet les effets des changements climatiques. Agriculture et tourisme dans la région font donc face à de nouveaux défis. Et il n’y a pas que le climat : la montée du protectionnisme, la guerre commerciale opposant les USA au reste du monde … les challenges auxquels sont soumis les pays du Maghreb se ressemblent. Et pourtant, la coopération entre les 5 économies maghrébines n’est toujours pas à l’ordre du jour. Projet de longue date, l’union maghrébine tarde à se transformer en une force économique porteuse de valeur aux peuples de la région. Loin de là : le Maghreb enregistre l’un des plus faibles taux d’échanges interrégionaux dans le monde avec à peine 5% du volume total du commerce dans ses pays membres, selon une étude de la Banque mondiale. “Ce taux s’élève à plus de 17% pour le commerce intra-africain”, a déploré Marouane Abassi, gouverneur de la Banque centrale, à l’occasion du 16ème Sommet bancaire maghrébin, tenu les 7 et 8 novembre derniers à Tunis. Pis encore, les financial flows entre les pays ma- ghrébins avoisinent quant à eux le zéro. “Il semble que seul le commerce parallèle a réussi à concrétiser l’union maghrébine”, a ironisé le gouverneur. E t même la faible intégration qui a pu se développer ces dernières années entre la Tunisie et le Maroc n’est que le fruit de la coopération de deux pays avec l'union européenne, a noté le gouverneur. Ainsi, pour coordonner leurs efforts de lutte antiterroriste et contre le blanchiment d’argent, les banques centrales des pays maghrébins ne communiquent pas directement, mais passent par les bases de données du GAFI, de L'UE et de L'OCDE,
explique Abassi. “Cette coopération indirecte n’a pas lieu d’exister et doit laisser la place à une collaboration directe”. De même, dénoncer le statu quo ne saurait suffire pour le changer. Dans ce cadre, Abassi a annoncé qu’une réunion se tiendra prochainement entre les gouverneurs des 5 banques centrales pour réactiver la coopération entre elles. Ce sommet focalisera sur quatre principaux axes : la lutte contre le blanchiment d’argent, l’inclusion financière, la finance islamique et la fintech. Pourtant, les opportunités de développement sont considérables. Déjà en 2006, la Banque mondiale estimait le coût du non-maghreb à plus de 1% de croissance pour chacun des pays de la région. De leur côté, le développement qu’a connu la région durant les dernières années ne fait que booster ces opportunités : “Les efforts de restructuration de la Libye vont créer des marchés estimés à plus de 150 milliards de dollars”, a indiqué Jamal Abdelmalek, PDG de Bank of Commerce & Development libyen. “Les entreprises maghrébines, fortes d’une grande expertise, devraient être prioritaires pour contribuer à ces efforts”, a-t-il indiqué. D’un autre côté, une union économique maghrébine donnerait aux pays de la région les moyens nécessaires pour se prémunir contre les effets néfastes de la guerre commerciale que mènent les puissances mondiales et de la montée vertigineuse du protectionnisme.
Connecter le Maghreb grâce au high-tech
Défi majeur pour les institutions financières, le high-tech et particulièrement la fintech accélérent la cadence de l’intégration maghrébine. “Les nouvelles technologies représentent un entry point qui pourrait nous permettre de dépasser les obstacles qui empêchaient jusqu’alors tout avancement”, a indiqué Christian de Boissieu, membre de l’autorité des marchés financiers en France. De fait, les plateformes de fintech, de par leur nature, sont des solutions idéales permettant de contourner les limitations imposées par les frontières politiques, explique l’économiste expert. Petit bémol: le cadre réglementaire des pays nord-africains n’est pas adapté au développement de solutions innovantes. Sur ce volet, le Maghreb accuse un retard considérable même par rapport aux pays de l’afrique subsaharienne. À titre d’exemple, le mobile payment, très développé de l’autre côté du Sahara, a pu booster considérablement l’inclusion financière dans ces pays. D’après Thierry Millet, CEO d’orange Tunisie, cette solution de paiement a permis de faire passer le taux de bancarisation en Côte-d’ivoire de 20 à 50%, et d’atteindre les 60% au Kenya. Le numéro un de l’opérateur Telecom a indiqué espérer voir en Tunisie un cadre réglementaire qui permette aux opérateurs d’innover et de fournir des services qui ne sont pas disponibles chez les acteurs classiques. Sur ce volet, des avancées considérables ont été enregistrées au Maroc où Orange a pu avoir l’autorisation pour le lancement de son établissement de paiement, a annoncé Millet.
Consolider les efforts maghrébins
Le secteur bancaire est marqué actuellement par une vague de consolidations alimentée par une pression réglementaire et concurrentielle sur les marges unitaires et qui pousse les banques à compenser par le volume, a indiqué Christian de Boissieu. Pour l’expert, ces consolidations, à l’instar de l’acquisition d'attijariwafa de la Banque du Sud ou celle de la BTK par la BCP, représente une opportunité pour relancer l’intégration maghrébine. Cependant, l’économiste a noté que les institutions financières sont plutôt intéressées par des intégrations “nord-sud” visant leur expansion vers le marché subsaharien: “Chacune des banques marocaines a mis la main sur un réseau de banques en Afrique subsaharienne”, a-t-il rappelé. Et d’ajouter: “Je regrette que les banques tunisiennes soient en retard dans cette stratégie nordsud”. Et de conclure: “Vu l’énorme potentiel de développement en Afrique subsaharienne, les banques nord-africaines semblent concentrer une grande partie de leur effort sur ce marché, mais il faut faire un rééquilibrage maghrébin”.