ESS, un secteur en pleine évolution en quête de vision
Dans le cadre du cycle de ses Rencontres, l’atuge a tenu, le 17 novembre 2018, une conférence autour de la thématique de l’économie sociale et solidaire. L’événement a vu la participation de plusieurs acteurs de la scène ESS nationale. Compte rendu.
Le concept d'économie sociale et solidaire (ESS) désigne les entreprises dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d'utilité sociale. Elles peuvent être organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations, ou fondations, Ces entreprises adoptent des modes de gestion démocratiques et participatifs. Elles encadrent strictement l'utilisation des bénéfices qu'elles réalisent : le profit individuel est limité et les revenus sont, en grande partie, réinvestis. Le secteur, bien qu’il dispose de véritables atouts, ne contribue qu’à hauteur de 0.25% à la création de l’emploi et de 1% dans le PIB, comme l’a rappelé une représentante du ministère de l’emploi et de la formation professionnelle. L’absence d’un cadre législatif est l’un des obstacles qui font que ce secteur tarde à se développer. Ceci n’a tout de même pas empêché plusieurs acteurs locaux de se lancer dans l’entrepreneuriat social et solidaire, guidés par leur conviction de l’importance du potentiel qu’offre ce secteur. Bien au contraire! D’après Yosri Hlal, de l’incubateur Lab'ess, de plus en plus de jeunes entrepreneurs optent pour l’entrepreneuriat social et solidaire. “Alors que l’an dernier nous avons reçu 50 candidatures pour incubation à LAB’ESS, cette année, nous en avons déjà reçu plus de 115!”, a-t-il indiqué. L’évolution touche aussi la nature des projets déposés : “L’ESS ne se limite plus aux coopératives et aux mutuelles”, a-t-il ajouté. Prenons le cas de Cha9a9a.tn, une plateforme de collecte de dons en-ligne qui offre une alternative participative pour le financement d’initiatives quelle que soit leur nature. Ou encore Shanti, une association qui a pour mission de promouvoir la co-conception de solutions innovantes et créatives aux problématiques sociales, économiques, culturelles et environnementales de la Tunisie d’aujourd’hui. Pour ce faire, l’association accompagne les acteurs dans l’implémentation et le développement de leur stratégie d’innovation sociale. Le financement des projets ESS est un challenge aussi bien pour les porteurs de projets que pour les bailleurs de fonds, notamment lorsqu’il s’agit d’identifier les projets ESS. “Nous avons toujours voulu soutenir l’économie sociale et solidaire mais nous avons eu du mal à mesurer l’impact social de nos actions et ce, à cause du flou par rapport à la définition de cet impact”, a indiqué Leila Charfi, country manager à Impact Partners. “Nous avons donc décidé de nous focaliser sur la problématique du chômage et sur des entreprises qui ont le potentiel de créer un grand nombre d'emplois”. En effet, le fonds vise à créer des entreprises capables de créer, en moyenne, 2 postes d’emploi pour chaque 10 mille dinars investis (contre 0.22 emplois pour les entreprises “conventionnelles”). Pour ce faire, le fonds focalise désormais ses activités sur les entreprises capables de créer des micro-franchises au profit des micro-entrepreneurs. “Nous avons pu lever 2 millions de dinars pour financer 15 entreprises”, s’est félicité Charfi. L’impératif de l’action sociale ne se limite pas aux entreprises évoluant dans le cadre de L’ESS. Les firmes plus “classiques” peuvent-elles aussi contribuer à ces efforts, notamment dans le cadre de la Responsabilité Sociétale de l’entreprise ? “Nous sommes conscients qu’il s’agit bien de deux approches totalement différentes, mais ceci n’interdit en rien leur rapprochement pour assurer un plus grand impact”, a indiqué Douja Gharbi, ancienne première vice-présidente de la Conect. C’est d’ailleurs le cas du partenariat qu’a noué Tunisie Telecom avec le projet Fatma qui a permis d’améliorer les conditions de transport pour des centaines d’élèves dans les régions les plus défavorisées. Ce partenariat, explique Sonia Logani, directrice de la communication à Tunisie Telecom, a permis de réduire considérablement la déscolarisation dans les zones touchées. L’évolution rapide de l’économie sociale et solidaire et l’engouement qu’elle connaît auprès des entrepreneurs rend plus que jamais indispensable la mise en place d’un cadre législatif approprié. Un projet de loi a été soumis dans ce sens à la présidence du gouvernement … où il est “bloqué depuis plus de 3 ans”, a déploré Lotfi Ben Aissa, auteur du projet de loi. L’expert financier et représentant de la Plateforme tunisienne de l’économie sociale et solidaire a indiqué que le texte soumis est le fruit d’une approche participative initiée par les partenaires sociaux (UGTT, UTICA, UTAP, UNFT), les réseaux de L’ESS et les associations citoyennes. Et d’ajouter que ce projet de loi a réussi à ce que tous les acteurs conviennent d’une même définition de L'ESS et de reconnaître celle-ci comme une voie de développement durable et inclusive. Cette loi permettrait également de structurer l'écosystème par la création d’un conseil national de L’ESS qui représente un cadre consultatif entre le gouvernement et l'écosystème. Ben Aissa a cependant déploré la suppression de tout un chapitre dédié à ce conseil en le remplaçant par un seul article. “Nous avons voulu laissé la liberté aux acteurs de L’ESS de s’organiser de la manière qui s’adapte au mieux à leurs besoins”, a répondu une représentant du ministère de l’emploi.