La transformation digitale sous la loupe
Aujourd’hui, la transition digitale a le vent en poupe. La modernisation de l’appareil productif fait fureur et les entreprises doivent s’y adapter. C’est dans l’analyse des mutations à venir et la projection des business models des entreprises que la Confédération nationale des entreprises citoyennes (CONECT) a choisi le thème de son deuxième congrès national “Construisons ensemble un pont vers l’avenir”. Congrès à l’issue duquel l’ancien président Tarek Cherif a été réélu.
D’entrée de jeu, Tawfik Jelassi a souligné la transformation sociétale suscitée par le digital. Et d’insister : «La nouvelle génération d’entrepreneurs est née dans l’ère du digital, ils réfléchissent et agissent digital. C’est un outil qui a réussi à intégrer leur ADN ».
Le fer de lance des géants
« Il est à croire que la proposition de valeur a été transformée par le digital », a déclaré Tawfik Jelassi. Indéniablement aujourd’hui, la compétitivité est intimement liée aux données. Il explique que toutes les entreprises disposent de données, et peuvent en tirer profit, notamment pour être proactives et anticiper les problèmes que peuvent rencontrer leurs clients : « Des partenariats se concrétisent, une innovation de procédés et de proposition de valeur », a-t-il illustré ses propos en mentionnant qu’une entreprise suisse de fabrication de matelas a fait augmenter son chiffre d’affaires de 50% grâce à cette stratégie. L’exemple d’amazon est aussi frappant. Ce géant du commerce électronique vient d’être nominé aux Oscars au Festival international du film de Venise. Grâce à la data, Amazon est producteur de films. C’est ainsi que le déferlement des données ouvre la porte à de nouvelles opportunités. “Your margin is my opportunity”, insiste Jeff Bezos fondateur d’amazon
dont les concurrents sont aujourd’hui sur neuf secteurs. L’entreprise General Electric, qui avait bien saisi les opportunités de cette transformation, a créé une plateforme digitale permettant d’anticiper les problèmes techniques de ses clients et d’y remédier à temps, renforçant ainsi sa compétitivité. Cette data qui a principalement pour origine l’interaction avec les clients a changé la facette de l’innovation. Si auparavant, celle-ci émanait de l’entreprise vers le marché, elle se dessine aujourd’hui sous forme de crowdsourcing, plus participatif et à l’écoute des clients. Ce n’est pas un hasard si la majorité des applications du leader Apple ont été conçues par les clients. De même, l’entreprise Nestlé a intégré la digitalisation dans son processus de veille stratégique. Les digital accelerations qui ont pour mission l’écoute et la veille sur des réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter et autres se situent au-dessus du bureau du PDG de Nestlé Monde. Plus qu’un symbole. Comme à son accoutumée, Taoufik Jelassi n’a de cesse de sensibiliser quant à la différence entre la numérisation et la transformation digitale. Cette dernière est carrément une transformation du business qui ne peut se dissocier d’un changement organisationnel et d’un certain état d’esprit. La transformation digitale impacte plusieurs dimensions de l’entreprise qui renouvellent la proposition de valeur, toujours selon Taoufik jelassi. Il soumet à ceux de l’audience qui veulent s’engager dans cette expérience plusieurs questions à se poser. Nous en citons: quelle est ma proposition de valeur à travers la digitalisation? Quels canaux de vente vais-je utiliser? A ce titre, il précise que la transformation digitale pourrait agir sur le coût du produit ou du service, ou bien sur l'expérience et la qualité du produit, le rendant différencié et unique. En outre, elle permet de connecter les clients. Cette mise en relation, appelée “digital platform network effect”, permet une relation entre des clients qui peuvent s’enrichir en partageant leurs expériences. Plus encore, Tawfik Jelassi a insisté sur la capacité du digital à assurer un engagement continu avec les clients, assurant une écoute permanente du marché à même de créer un écosystème business pour un modèle gagnant. Tout de même, pour digitaliser, il faut que les ressources humaines requièrent un minimum de connaissances. Le chief digital officer (CDO), un métier apparu avec la transition digitale, devrait se voir confier un rôle majeur dans la transformation, selon ses dires. Pour finir, les cellules IT de l’entreprise, initialement perçues comme étant un outil d’implémentation, consistent, selon Taoufik Jelassi, en réalité, en un levier de création de valeur. En ajoutant : “Il faut élever le rôle de L’IT à une dimension stratégique et pas seulement à la dimension technique, et cela marque une culture d’entreprise appropriée”. A cet égard, l’ancien ministre préconise qu’il faut se demander si l’entité est prête à relever ce défi. En continuant : “Il faut au préalable créer un état d’esprit digital dans l’entreprise”.
Un tue- emplois ?
Et ce n’est pas Jalloul Ayed qui va le contredire! L’ancien ministre des Finances signe et persiste « La technologie a franchi notre porte et est porteuse de mutations dans l’ensemble des secteurs économiques ». Il a souligné l’impact de la disruption digitale sur certaines branches d’activités en Tunisie. Sous l’effet de la robotisation, les industries manufacturières, qui représentent 20% du PIB subiront de plein fouet cette transformation. Et d’insister: « L’expérience des pays industrialisés a montré que la transformation digitale a fait augmenter la productivité au détriment de la contribution des travailleurs dans la production ». A ce titre, il précise que le secteur du textile, un des piliers de l’industrie tunisienne, employant 170 mille personnes, est en danger. S’il a déjà été sinistré avec la fermeture de 400 entreprises, la robotique et l’introduction de l’intelligence artificielle, pourraient lui porter le coup fatal. « Une machine qui a été produite aux Etats-unis, la Sewbot, est c apable de produire 800 mille articles par jour. L’imminente destruction d’emplois est là », a-t-il martelé. Le même sort peut être réservé à l’agriculture avec l’entrée en application des champs connectés et l’utilisation des drones. Il n’en reste pas moins que le secteur qui sera le plus touché selon Ayed est celui des assurances. L’évolution du métier est claire: de la couverture de risque à la gestion de risques et la gestion des clients, elles seraient amenées à adopter la blockchain comme les grands groupes d’assurances en Europe. Le secteur touristique n’est pas en reste. Il verra la personnalisation du service, l’optimisation de tarification grâce à l’intelligence artificielle, la réservation, la e-réputation ainsi que la veille stratégique.
Se préparer aux changements
Les mutations sont profondes, Jalloul Ayed l’a bien fait comprendre. Et d’ajouter « C’est un nouveau paradigme de développement qu’il faut concevoir, le modèle de développement adopté est canonique et beaucoup de pays émergents l’ont compris, ce qui fait qu’ils sont en train d’élaborer de nouveaux modèles adaptables à ce phénomène ». La Chine avait bien compris cela depuis une dizaine d’années. Après avoir abandonné le modèle de faible coût de main-d’oeuvre, elle se met aujourd’hui un point d’honneur d’exporter des biens à forte valeur ajoutée et de développer la nouvelle Route de la soie. En ajoutant que : « Il y a quelques semaines, elle a révélé un avion de combat furtif conçu grâce à la technologie ». « L’on doit savoir que la transformation technologique constitue une aventure dans un terrain inconnu » a-t-il déclaré. Jelassi et Ayed sont unanimes concernant l’idée que la disruption digitale transformera les métiers dans le futur. « 55% des étudiants feront un métier qui n’existe pas aujourd’hui » a déclaré Taoufik Jelassi. Selon lui, la Tunisie est invitée à préparer les étudiants aux challenges de la transformation digitale. En guise de conclusion, Jalloul Ayed insiste que la politique nationale doit suivre cette transformation et renforcer l’accès à la digitalisation. « Sans cela, nos PME seront dans l’incapacité d’optimiser leurs performances. Un effort collaboratif s’impose entre le public et le privé », a-t-il conclu.