Politique monétaire,contrôle des changes et fiscalité
Faut-il opter pour une réforme ou engager une refonte totale ?
Les Journées de l’entreprise, un rendez-vous annuel pour débattre des sujet à forts enjeux. La 33ème édition de cet évènement qui s’est déroulée les 7 et 8 décembre 2018, a porté sur le thème: “L’entreprise et les réformes de rupture”. La réglementation des changes & la politique monétaire ainsi que la réforme fiscale , ont été au centre des discussions regroupant des chefs d’entreprise, des représentants de think tanks, des experts et des personnalités du monde des affaires et de la politique.
Amer constat rappelé par Marouane El Abassi, gouverneur de la BCT lors de son allocution : “Aujourd’hui, les taux d’épargne et d’investissement ne cessent de baisser, l e déficit commercial est persistant et le déficit courant se creuse de plus en plus”. Le gouverneur de la BCT a indiqué que si les réserves de change s’épuisent, les pressions inflationnistes de leur côté s’amplifient, à travers la dépréciation du dinar vis-à-vis des principales devises, à savoir le dollar et l’euro.” Face une situation assez critique, la solution réside dans la mise en place de réformes qui ont tardé, toujours d’après le gouverneur. Et d’insister “la mise en oeuvre des transformations de rupture doit s’effectuer dans les plus brefs délais”.
Stabilité des prix : crédo de la BCT
“Avec un taux d’inflation qui a franchi le cap des 7% pour se situer à 7,4% fin novembre 2018, la situation est devenue préoccupante”, a t-il souligné, en indiquant que face à des taux inflationnistes qui passent à de nouveaux paliers plus inquiétants (au-delà de 7%) , la BCT a opté pour le resserrement de sa politique monétaire à travers la hausse du taux d’intérêt directeur. Par ailleurs, il a affirmé que si la hausse du taux directeur affecte négativement l’investissement sur le court terme, le coût de l’inaction pourrait être encore plus néfaste pour l’entreprise. “Ayant souvent une origine non monétaire à savoir les augmentations des différentes taxes imposées par la LF 2018, l’effet du change mais aussi de la dérégulation du marché font que les mesures prises par la BCT restent sans effet déterminant sur l’évolution inflationniste, dira-t-il, avant d’ajouter que les anticipations rationnelles des opérateurs économiques qui intègrent souvent l’augmentation du taux directeur, lors de leurs interventions sur le marché monétaire, ne font qu’aggraver la situation.
Afin de renforcer l’efficacité de la politique monétaire face à ces déséquilibres conjoncturels, la BCT, principale garante de la stabilité des prix, s’est vu attribuer, depuis 2016, une nouvelle mission: le maintien de la stabilité financière. “Conformément à l’article 7 de la loi n°2016–35, la stabilité des prix reste le principal objectif de la BCT, qui contribue également au maintien de la stabilité financière”, a-t-il précisé en soulignant que ce nouveau mandat à la tête de la BCT permettra de soutenir la réalisation de la politique économique de l’etat en termes de développement et d’emploi. Néanmoins, le gouverneur de la BCT n’a précisé ni les mécanismes déployés pour le maintien de la stabilité financière, ni les instruments mis en oeuvre pour la réalisation de cet objectif. Aussi, rappelons-nous que la crise financière associée aux subprimes est survenue malgré une inflation stable et maîtrisée et une croissance ralentie mais soutenue, proche du potentiel.
La réglementation des changes au coeur des préoccupations de la BCT
Afin de répondre aux défis majeurs auxquels font face les opérateurs économiques, un comité consultatif sur la réglementation des changes a été mis en place par la BCT, et dont les réflexions et les propositions sont menées en collaboration avec toutes les parties prenantes. La mise en place de procédures de traitement rapide (Fast track) permettant l’élimination des rigidités opérationnelles, figure parmi les principales mesures annoncées par ce comité. Par ailleurs, le gouverneur de la BCT a également cité un ensemble de mesures d’assouplissement en cours qui visent à répondre aux préoccupations des opérateurs, à savoir: • La digitalisation de la fiche d’investissement constituant la condition essentielle pour le bénéfice de la garantie de transfert par l’investisseur étranger; La clarification par une circulaire dédiée des conditions de réalisation de l’investissement et de transfert du produit de sa cession et de sa liquidation; L’institution en faveur des startups d’un compte spécial crédité et débité en devises sans restrictions dans le cadre de leurs activités; Le relèvement de 10 à 100 md du plafond transférable par carte technologique internationale; Le relèvement de 30 à 90 jours du délai de règlement des exportations payables au comptant; Le règlement d’avance avec plafond des importations de biens liés à la production.
Réforme fiscale et gestion des finances publiques: focus sur une situation contradictoire
La pression fiscale en Tunisie est considérée parmi les plus élevées au monde. Cette situation a conduit à la détérioration de la compétitivité des entreprises tunisiennes au profit du marché parallèle, à l’évasion fiscale et à la prolifération de l’économie souterraine. C’est dans cette optique que le deuxième panel intitulé « Fiscalité : ressources et pression », a essayé de mettre l’accent sur les principaux défis auxquels est confrontée la réforme fiscale.
Le moment est-il propice pour engager des réformes en temps de crise?
Fayçal Derbel, ministre conseiller auprès du chef du gouvernement chargé de la réforme fiscale, a indiqué que les discussions menées durant les 6 dernières années autour de l’efficacité de la politique fiscale reflètent une forte divergence. « Certains disent que les résultats sont mitigés, d’autres pensent qu’ils sont satisfaisants, tandis qu’une partie voit que la politique fiscale mise en place est un fiasco total », a-t-il ajouté.. Certains ne trouvent pas dans les moments de crise une opportunités de réforme. Dans ce contexte, il a rappelé que lors d’un entretien avec le journal La Presse en septembre 2017, Madame Habiba Louati, directrice générale des études et de la législation fiscale, qui a mené les réformes de 2013 jusqu'à fin 2014 a textuellement affirmé : “La situation de la Tunisie postrévolution n’est pas favorable à la réussite des réformes, d’ailleurs l’exemple type de l’échec des réformes entreprises est celui de la réforme fiscale”. Il a rappelé qu’en 2012, la Tunisie a opté pour la mise en place des réformes fiscales en pleine période de crise caractérisée par des taux trop élevés, une pression fiscale en perpétuelle augmentation et un régime forfaitaire représentant la principale source de fraude fiscale. Derbel a indiqué que les réformes devraient être un processus continu. E t d’ajouter que “C’est une évolution dans le temps partant d’un diagnostic d’une situation bien déterminée, afin d’apporter des rectifications au fur et à mesure de l’avancement”.
Retour sur les principaux enjeux face à la mise en place des réformes fiscales
En dressant le bilan des réformes fiscales mises en place, le ministre a indiqué que les recommanda-
tions, qui ont été présentées lors des assises de la fiscalité qui ont eu lieu en novembre 2014, ont vu le jour grâce à l’engagement de 6 équipes formées de grands spécialistes, qui ont tenu près de 200 réunions sur une période de 2 ans. Il a ajouté que contrairement à L’ITS et au CPE, des taxes instaurées en 1989, et qui représentaient des réformes de rupture, les recommandations n’ont pas opté pour un nouveau code ou un nouveau système comptable. « Nous avons plutôt décidé d’introduire progressivement des mesures de réforme à savoir la baisse du taux de L’IS, la généralisation de la TVA et la levée du secret bancaire » a -t-il indiqué. Derbel a confirmé qu’en l’absence d’une méthodologie claire basée sur des raisonnements macroéconomiques, l’approche adoptée basée essentiellement sur une perspective fiscale s’est avérée inappropriée. Et d’ajouter qu’une telle réforme doit prendre en considération la dimension anticipative de l’attitude des contribuables quant aux mesures introduites.la situation des finances publiques pousse les autorités à augmenter les recettes fiscales, ce qui est en contradiction avec les réformes qui préconisent conceptuellement la baisse des taux d’imposition. Il a ajouté que la consolidation des fonds propres en augmentant les taux d’imposition mais aussi en instituant des contributions conjoncturelles, constitue l’unique solution face à un déficit budgétaire de 7% et un endettement qui ne fait que flamber. Cette situation difficile et contradictoire a mené à un déchainement fiscal qui a conduit à l’élaboration, en seulement 7 ans, de 14 lois de finances et lois de finances complémentaires, 680 articles dont 568 traitant de la fiscalité, plus que 1000 mesures, 68 décrets d’application dont 10 ne sont pas encore publiés, 5 mesures de contribution exceptionnelle et 8 amnisties totales et partielles.
Il faut abandonner les petites mesurettes vouées à l’échec
De son côté, Monsieur Ali Kooli, directeur général, ABC Bank, a mis l’accent sur les principaux leviers à actionner pour une amélioration de la situation économique actuelle. Il affirme que le dinar tunisien s’est fortement déprécié depuis sa création en 1958. Et s’il en est ainsi, déplore-t-il , c’est parce que cette baisse est soutenue par un marché parallèle de devises renforcé par la fuite des capitaux vers l’étranger . Par conséquent, il estime que face à cette situation difficile , le système de contrôle de change adopté par les autorités monétaires s’avère totalement inefficace. De ce fait, il vaut mieux préparer au préalable les conditions pour une convertibilité totale du dinar. Et il enchaîne que le chemin vers cette libre convertibilité permettra aux Tunisiens d’accéder à des comptes en devises, aux non-résidents de loger leurs placements financiers à des taux intéressants et aux entreprises étrangères d’investir en Tunisie , mais surtout aux entreprises tunisiennes de fluidifier leurs opérations à l’international. Dans ce contexte, Ali kooli salue les entreprises tunisiennes qui continuent à investir malgré les multiples défis auxquels elles font face. En dépit de toutes ces contraintes, ces entreprises sont devenues des références nationales dans leur domaine d’expertise. Kooli estime que la transition vers un régime de change flexible permettra de stimuler l’investissement et la profitabilité des ces entreprises mais aussi le développement de leurs activités afin de devenir des références en Afrique et à l'échelle internationale. Le contrôle de change présente un véritable handicap quant au développement à l’international des entreprises tunisiennes. a-t-il indiqué, en signalant qu’ aujourd’hui, cet handicap doit être corrigé ! S’agissant de la fiscalité en Tunisie, Kooli plaide pour une justice fiscale. Il dit qu’il faut déployer les moyens appropriés permettant de faire payer ceux qui sont hors du système, notamment les professions libérales, et de réduire les charges fiscales pour les employés. Il considère que le principal enjeu consiste en la révision du régime fiscal, notamment à travers la réduction de l’imposition et l’élargissement de la base d’imposition. Face à des t extes fiscaux d’une grande complexité, l’administration fiscale se pose à la fois en tant qu’arbitre et interprète. Il juge inadmissible cette double casquette de l’administration. De ce fait, il est nécessaire de rendre le processus plus fluide en harmonisant les taux et les textes réglementaires et en renforçant davantage le civisme fiscal . Et en guise de conclusion “Charger fiscalement et fortement les bons payeurs de taxes , n’est pas forcément la bonne solution, il faut plutôt trouver des moyens pour réduire les dépenses publiques”.