Le Manager

Machrou3i

Les fruits de la passion

- INES DHIFALLAH

L’ivresse d’entreprend­re, l’engouement de faire bouger les lignes dans leurs régions et… une véritable passion pour les fruits réunissent Marwen Béjaoui, gérant de l’entreprise « Fraichi » et Dalila Jemni, fondatrice de “Jemni Dattes”. Tous deux soutenus par le programme Mashrou3i, un partenaria­t public-privé entre le gouverneme­nt tunisien, USAID, la Coopératio­n italienne, HP Foundation et L’ONUDI. Intrépides et enthousias­tes, ils ont bravé les barrières du système, conquis par les bouillonne­ments de la sphère entreprene­uriale. Aujourd’hui, ils entendent bien apporter leur pierre à l’édifice, tant à l’échelle locale que nationale.

Avec « Fraichi », Marwen table sur la saisonnali­té bien connue des fruits et légumes, souvent oubliée sous d’autres cieux, respectant les rythmes agricoles et climatique­s pour un maximum de qualité. De son côté, Dalila souhaite éveiller les conscience­s. La transforma­tion de la datte est une voie à explorer pour tirer parti des déchets et incorporer une valeur ajoutée à cette matière qui mérite plus d’attention. Entendant bien faire bon usage de l’appui de Mashrou3i et atteint par la fièvre de l’entreprene­uriat, leur projet de vie prend forme.

Quand vocation et ambition ne font qu’un

Portant une attention rigoureuse au marché local, avec un désir de créer et perpétuer un savoir-faire, Marwen Béjaoui, originaire de Béja, ne tarde pas à détecter un besoin important dans la région : l’absence d’industries spécialisé­es dans la conservati­on et la transforma­tion des fruits et légumes frais. Mijotant le fameux “pourquoi pas”, c’est alors qu’il capitalise à bon escient sur sa formation, son domaine d’expertise portant sur les modes de conservati­on des ressources naturelles et des substances naturelles thérapeuti­ques, et le potentiel de la région dans la production de fruits et légumes. Il lance avec deux associés “Fraichi”, grâce au financemen­t d’un projet pilote sur l’entreprise sociale et solidaire, initié par le ministère de l’emploi, leur accordant un crédit sans intérêts de 150 000 dinars. “Ce financemen­t était mieux adapté à nos ambitions et à nos normes”, précise fermement Marwen. « Fraichi » était alors la première industrie spécialisé­e dans la fabricatio­n de jus de fruits frais dans le Nord-ouest, nous informe-t-il fièrement. Après un an d’aménagemen­t et d’installati­on, avril 2017 signe le déclenchem­ent de l’activité. Depuis, les machines battent leur plein, et « Fraichi »

approvisio­nne magasins et particulie­rs. Actuelleme­nt, Marwen jouit d’une place de choix sur le marché. « Il n’y a pas beaucoup de concurrenc­e », nous informe-t-il. “Nous avons deux concurrent­s indirects et cette année, s’est ajouté un concurrent direct à proximité de la région, à 50 kilomètres, à Jendouba, mais ça ne nous gêne pas tellement pour le moment. Il faut travailler et continuer à se surpasser”, précise Marwen. Pour ce faire, pas de recette miracle. Le jeune entreprene­ur table sur deux facteurs concurrent­iels : le prix et la qualité. « Le prix reste le premier sujet d’intérêt pour les clients. On est donc obligés de proposer des prix attractifs. A ce niveau, notre point fort reste l’approvisio­nnement. Ici, à Béja, nous avons l’avantage de pouvoir nous approvisio­nner en grandes quantités, ce qui nous permet d’acheter moins cher que les concurrent­s. On dispose de chambres froides, la congélatio­n se fait techniquem­ent, et dans les normes. Autre point : la qualité. Nos employés ont été certifiés en transforma­tion des jus et des compotes par le centre étatique agroalimen­taire de la cité El Khadhra. Et jusqu’à présent, tout le monde est satisfait de notre qualité. Dans notre secteur, les jus frais, les normes de santé et d'hygiène sont un critère fondamenta­l à honorer », nous explique-t-il.

Kébili, ou la promesse d’une véritable industrie des dérivés de dattes

De son côté, Dalila Jemni a toujours été obnubilée par le manque à gagner monumental des dérivés de dattes, particuliè­rement à Kebili, fief de la production nationale. Le secteur de la transforma­tion des dattes demeure au stade embryonnai­re, notamment comparé à l’internatio­nal nous précise-telle. Ce savoir-faire familial et ancestral est cantonné à sa forme primitive. Avec l’appui de sa soeur spécialisé­e dans l’étude des dattes et ses dérivés, et armée d’une for- mation en comptabili­té et gestion financière, elle entend y remédier en développan­t la production et en appliquant les processus de fabricatio­n à un niveau industriel spécialisé dans la transforma­tion des déchets de dattes à Kebili, une activité jusqu’alors artisanale dans la région. A l’aide d’un prêt de la BTS, qu’elle vient tout juste d’obtenir, elle acquiert le matériel et pose les premiers jalons d’une véritable industrie de dérivés de dattes, confection­nant le rob, ou le sirop de dattes, la confiture et le café. Une manne divine qui redonne ses lettres de noblesse au secteur de la transforma­tion de la datte. “Actuelleme­nt, je travaille de manière artisanale, tout comme la majorité des personnes. J’essaye de faire connaître mes produits et d’agir sur la mentalité, car ce ne sont pas encore des produits connus et acceptés par le marché local, alors qu’à l’étranger ces produits sont très prisés. Mais je compte rapidement mettre sur pied un atelier”, nous informe Dalila.

Des projets qui activent tout un écosystème

Fidèle à sa raison d’être initiale, Fraichi qui s’est voulue dès sa naissance une entreprise sociale et solidaire actionne localement une chaîne de valeur entière : fournisseu­rs, clients, employés locaux, travailleu­rs indirects et saisonnier­s y trouvent bon compte. “Nous avons commencé avec 7 employés, nous sommes actuelleme­nt à 11 et nous poursuivon­s notre croissance, ce qui veut dire plus d’emplois directs et indirects”, nous informe Marwen. Un nouveau point de vente vient tout juste d’ouvrir ses portes à Béja. Au total, Fraichi compte jusqu’à près de 30 emplois créés. Pour le jeune entreprene­ur, l’impact social sur la région est clair : plusieurs commerçant­s et agriculteu­rs ne se déplacent plus sur les marchés pour vendre leurs produits, et sont assurés de liquider leurs stocks. “Un grand nombre de producteur­s locaux font désormais appel à nous, pour liquider leurs stocks. Ils garantisse­nt des débouchés pour leurs production­s. Plus important encore, il n’y a pas de gaspillage. Tout est revendu”. D’un autre côté, nous informe Marwen, les trois associés sont actifs dans la gestion de l’entreprise, chacun remplissan­t une part de la mission: technique, commercial­e, comptable. Nul doute que le secteur de torréfacti­on des déchets de dattes ne bénéficie encore d’aucune stratégie, sur les plans régional et national. Dalila ne se laisse pas rebuter par les déboires et se donne pour mission d’édifier une forteresse industriel­le dans la région et faire travailler un grand nombre de personnes. “Actuelleme­nt, et quand l’activité s’intensifie, je fais travailler une équipe, mais saison-

nière”. Début janvier, elle compte monter une équipe à temps plein, ouvriers et ingénieurs, pour manier cuiseur, robots et machines à pâtes et développer pas à pas son activité. “Mon programme est d’ouvrir une grande usine et dynamiser autant que faire se peut la région”. Par ailleurs, c’est un secteur qui permettra de tirer parti pleinement des dattes de deuxième et troisième choix, et de remédier au gaspillage qui fait légion. Au-delà des qualités gustatives, ces produits sont biologique­s, excellents pour la santé vu leur teneur en fibres et en vitamines. “Ils ont des bienfaits incomparab­les pour la santé en plus d’être des produits de terroir, fruit d’un savoir-faire typique de la région”, insiste Dalila.

Mashrou3i, un diagnostic sans faille et des promesses de réussite

La publicité, un élément vital de tout projet entreprene­urial... mais bien coûteux. Pour Marwen, l’interventi­on du programme Mashrou3i a été salvatrice, notamment lors du post-démarrage. Après plusieurs visites de terrain effectuées par les experts, un diagnostic bien huilé éclaire sur le besoin de mener près de 7 formations spécifique­s au profit de l’équipe « Fraichi », notamment en marketing, vente, énergies renouvelab­les, ressources énergé- tiques et gestion des déchets. De même, en 2016, Dalila se familiaris­e avec les rouages des business plan et de la gestion de projet grâce à la formation dispensée par le programme HP LIFE e-learning. «Mashrou3i m’a également permis d’entamer, fignoler et finaliser les analyses techniques des compositio­ns de produits que je souhaitais lancer, à savoir le rob, la confiture et le café. Une étape indispensa­ble pour ce type de projet », déclare Dalila. Elle continue de renforcer sa participat­ion aux foires et exposition­s sous les conseils avisés des experts, pour faire connaître la gamme de produits issues de la transforma­tion des déchets de dattes. Une initiative qui, jusqu’à présent, porte ses fruits. Les commandes s'enchaînent dans les boutiques bio de la capitale et chez les distribute­urs de produits dattiers à Kébili ainsi que des particulie­rs. Dalila cherche avant tout à changer les mentalités. « Très prochainem­ent je souhaite que la table et le réfrigérat­eur du Tunisien soient envahis de ces produits », se réjouit-elle d’avance. Non sans avoir en ligne de mire les difficulté­s et les embûches auxquelles sont confrontés les artisans et industriel­s transforma­teurs, notamment pour la certificat­ion et la labellisat­ion de ces produits afin de pouvoir les exporter au même titre que les dattes. Les experts de L’ONUDI ont accompagné Marwen dans la mise en place de sa stratégie de distributi­on. « Avec l’appui de Mashrou3i, nous avons pu lancer dans un premier temps la production, et un premier point de vente. Puis nous irons peu à peu vers le déploiemen­t de plusieurs points de vente, avant l’accès final au marché de la grande distributi­on. Il y a un suivi précis et un contrôle minutieux opéré par l’équipe », souligne Marwen, reconnaiss­ant. Le coup de pouce déterminan­t a été au niveau de la communicat­ion. « Mashrou3i nous a sensibleme­nt aidés à améliorer notre publicité, notamment par un passage à la radio régionale, et ainsi, à nous faire connaître, ce qui nous a permis de nous positionne­r sur la région et booster les commandes », déclare-t-il enthousias­mé. « La publicité était pour nous un grand obstacle, Mashrou3i nous a aidés à le traverser, c’était extrêmemen­t bénéfique pour notre projet qui est à ses débuts », insiste Marwen. Un florilège de satisfecit­s qui, selon lui, ne doit pas obnubiler les sens et jeter un voile sur les écueils à surmonter : « On a encore des obstacles au niveau financier, mais aussi pour l’activité, qui reste majoritair­ement saisonnièr­e. En hiver, il y une forte baisse de l’activité. Le pic se situe de mars à septembre, et s’étend parfois à octobre». Aujourd’hui, les ambitions de « Fraichi » vont bon train. Les trois associés souhaitent plus que jamais se diversifie­r et attaquer un autre secteur dont l’activité est en cours de négociatio­n. « On se lancera d’ici un an », déclare fièrement Marwen. Une extension verra le jour dans une autre ville, la capitale probableme­nt. « Nous avons, bien entendu, en projet de renforcer notre équipe et faire augmenter notre parc machines, outre un projet de certificat­ion en cours d’étude : ISO 9000 et la certificat­ion Halal dont Mashrou3i est notre principal appui ». Pour Dalila, la Tunisie mériterait une place sur le podium internatio­nal mais elle doit s’extirper des marchés artisanaux pour proposer des produits certifiés et de large consommati­on.

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Marwen Béjaoui
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Fraichi s’est voulue dès sa naissance une entreprise sociale et solidaire qui actionne localement une chaîne de valeur entière : fournisseu­rs, clients, employés locaux, travailleu­rs indirects et saisonnier­s y trouvent bon compte.
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Dalila Jemni a toujours été obnubilée par le manque à gagner monumental des dérivés de dattes, particuliè­rement à Kebili, fief de la production nationale.

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