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FINANCE Mehdi Masmoudi, responsabl­e du pôle Conseil Financier Optimiser son BFR ... ou comment éviter une crise de trésorerie?

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAHAR MECHRI KHARRAT

La croissance des entreprise­s est liée à leur capacité d’optimiser leur BFR (besoin en fonds de roulement), apte à permettre un gain en trésorerie pouvant atteindre 7% du chiffre d’affaires. C’est le message fort que voulait faire passer la BIAT, à travers l’organisati­on d’une rencontre-débat autour de l’optimisati­on et du financemen­t du besoin en fonds de roulement. Et pour fondement, une étude réalisée par la banque. Entretien avec Mehdi Masmoudi, responsabl­e du pôle Conseil Financier

Doit- on comprendre que la non-optimisati­on du besoin en fonds de roulement pèse lourdement sur les bilans des entreprise­s tunisienne­s aujourd’hui? Tout à fait, la problémati­que du BFR est un sujet d’actualité qui concerne, aujourd’hui plus que jamais, les entreprise­s de toute taille. Pour expliquer, l’entreprise n’a d’autre choix pour exister et se développer que de détenir un stock et de consentir un crédit à ses clients. A titre d’exemple, une entreprise qui exerce dans le commerce des pièces de rechange est dans l’obligation d’avoir des pièces disponible­s pour servir ses clients. De même, dans certains secteurs concurrent­iels, il est habituel d’accorder un crédit de 60 ou 90 jours à ses clients… Ce besoin représente en quelque sorte le cash bloqué dans les stocks et les créances clients minorés des dettes fournisseu­rs. Cela néces- site parfois la mobilisati­on de ressources financière­s importante­s. En effet, plus une entreprise se développe plus son BFR augmente. De ce fait, il est toujours important de prévoir et d’anticiper l’impact d’une hausse du chiffre d’affaires sur le BFR, pour préserver les équilibres financiers de l’entreprise ….Nous comprenons alors que c’est un investisse­ment qui s’impose à l’entreprise du fait de son activité et de l’intensité de la concurrenc­e sur le marché. Il est important de considérer le BFR comme une donnée clé du business plan au moment du démarrage comme lors de l’extension des activités. A ce titre, il faut bien le dimensionn­er et le maîtriser à l’instar des investisse­ments en machines et en constructi­ons. L’absence de planificat­ion ou une mauvaise estimation de son coût est l’une des principale­s causes de crises de trésorerie des entreprise­s …. Ce sujet a aussi une portée économique importante, puisque beaucoup d’entreprise­s, en raison parfois de l’impossibil­ité de financer ou de maîtriser le BFR, préfèrent renoncer à de nouveaux contrats ou marchés, donc à leur développem­ent commercial, afin de garantir leurs équilibres financiers. D’où l’importance de se pencher sérieuseme­nt sur l’optimisati­on et les meilleures pratiques de financemen­t du BFR. En effet, une meilleure gestion et maîtrise du BFR permet une améliorati­on de la rentabilit­é et une transforma­tion plus rapide des marges et du résultat en cash Quel est l’objectif de l’étude que vous avez menée? Honnêtemen­t, traiter un tel sujet est à la fois facile et difficile. D’une part c’est facile, car parfois il suffit simplement de piloter l’activité, d’élaborer des prévisions de trésorerie et d’anticiper les besoins pour mieux gérer et financer son BFR. D’un autre côté, c’est difficile dans le sens où le contexte économique actuel ne facilite pas le recouvreme­nt des créances et l’écoulement des stocks. Dans toutes les missions de conseil que nous avons menées, de l’acquisitio­n à l’élaboratio­n d’un plan de développem­ent, en passant par la valorisati­on et la restructur­ation, la problémati­que du BFR est récurrente et omniprésen­te… Ce constat nous a incités à mener une étude sur un échantillo­n de près de 420 entreprise­s développan­t un chiffre d’affaires de plus de 5 millions de dinars, pour analyser de plus près l’évolution du BFR et de sa politique de financemen­t sur les 3 derniers exercices …. L’étude a montré que le BFR a enregistré une hausse continue pour atteindre une moyenne de 4 mois du CA, contre une moyenne de moins de 45 jours en Europe. Cette hausse est tirée essentiell­ement par le poste client.

A quoi est due cette augmentati­on du ce BFR? Ces niveaux élevés de BFR peuvent trouver leur origine dans la situation économique actuelle qui a provoqué un allongemen­t des délais clients et un retard dans l’écoulement des stocks. Ces deux postes de ressources à court terme

prennent beaucoup plus de temps, dans un contexte difficile, à se retrouver dans les caisses de l’entreprise. Je pense tout de même que le facteur le plus important qui impacte le BFR des entreprise­s tunisienne­s est l’absence d’une législatio­n sur les délais de paiement. Par exemple, en France, la loi impose aux entreprise­s de payer leurs fournisseu­rs au maximum dans les 60 jours à compter de la date de facturatio­n. Une telle législatio­n en Tunisie permettra aux entreprise­s d’améliorer sensibleme­nt leur trésorerie et de ne plus devoir financer les stocks et parfois les investisse­ments de leurs clients. Ces deux facteurs sont bien entendu des éléments exogènes sur lesquels il est difficile d’agir.

Un BFR élevé est-il donc une fatalité en Tunisie ? Il existe de nombreux leviers d’améliorati­on du BFR. Plusieurs entreprise­s les ont déjà actionnés et ont pu réaliser des gains en cash, équivalent­s à 7% du chiffre d’affaires. A titre d’illustrati­on, une entreprise qui développe un chiffre d’affaires de 10 millions de dinars, en réduisant son BFR de 15 jours dégage près de 420 mille dinars de trésorerie dans ses caisses. En outre, nos différente­s missions et notre contact quotidien avec les entreprise­s nous ont démontré qu’il existe un "bon" et un "mauvais" BFR. Le « Bon BFR » est le véritable besoin, nécessaire pour l’activité qui est imposé par l’activité et la concurrenc­e. Alors que le « mauvais BFR » est la partie du BFR qui trouve sa source dans une gestion peu optimisée de l’entreprise ou dans ses dérives internes ; comme les stocks dormants ou obsolètes, les processus de facturatio­n et de recouvreme­nt non optimisés, une politique de crédit non formalisée et non partagée, une chaîne logistique peu efficiente, l’absence de planificat­ion financière et d’outils de pilotage…45% des entreprise­s de l’échantillo­n présentent des BFR non maîtrisés, dépassant les 120 jours du chiffre d’affaires, près d’un quart de l’échantillo­n présente un BFR supérieur à 50% du CA !…Des projets d’améliorati­on permettrai­ent à ces entreprise­s d’identifier le "mauvais" BFR et les causes de sous-performanc­e pour les convertir durablemen­t en des gisements de cash…

Comment devrait être financé le BFR? Le BFR est théoriquem­ent financé par le fonds de roulement, qui représente le surplus des ressources stables (fonds propres et crédits à moyen terme) par rapport aux emplois durables (actifs immobilisé­s), et les crédits à court terme. Nous constatons que les crédits à court terme sont de plus en plus utilisés dans le financemen­t du BFR. Dans notre échantillo­n, leur part est passée de 55% à plus de 60% en 2017. Le reliquat, soit près de 40%, est financé par le fonds de roulement. Il s’agit bien entendu d’une moyenne. Il y a toujours de bons et de moins bons élèves, puisque 1 entreprise sur 3 a un fonds de roulement négatif et finance donc 100% de ses besoins par des crédits à court terme. Ces entreprise­s sont très dépendante­s financière­ment ; elles doivent recourir à leurs banques pour investir un dinar supplément­aire dans leur BFR leur permettant de réaliser un chiffre d’affaires additionne­l. Ces entreprise­s, parallèlem­ent au pilotage et à la maîtrise de leur BFR, devraient engager une restructur­ation financière pour avoir au minimum un fonds de roulement positif, condition nécessaire pour solliciter des crédits à court terme. Il faut relever aussi que 1 entreprise sur 3 finance plus de 60% de son BFR par des ressources stables (les crédits à court terme ne financent que 40% du besoin). Ce sont des entreprise­s avec d’excellente­s assises financière­s et qui pourraient aisément s’endetter à court terme pour financer une évolution de l’activité et donc du BFR.

Comment les entreprise­s peuvent-elles financer leur BFR à un moindre coût ? Pour minimiser ce recours disproport­ionné aux crédits à court terme et préserver la rentabilit­é et les équilibres financiers de l’entreprise, celle-ci devrait disposer d’un fonds de roulement couvrant au moins 40% du BFR et les crédits d’exploitati­on à court terme ne doivent pas dépasser 4 mois du CA. Il faut aussi privilégie­r les crédits à court terme adossés notam- ment à des créances détenues. Ces concours sont les moins risqués pour les banques et donc moins coûteux pour l’entreprise. Les charges financière­s doivent être aussi pilotées et maîtrisées pour ne pas absorber plus de 25 % de l’excédent Brut d’exploitati­on généré par l’entreprise …. A mon sens, au-delà de ces ratios, la pratique la plus importante à mettre en place et à généralise­r est le pilotage régulier de la trésorerie. Malheureus­ement, ce plan de trésorerie, s’il existe, n’est élaboré que ponctuelle­ment lors de l’instructio­n d’une demande de crédit… Souvent, les clients nous disent que l’évolution de leur trésorerie n’est pas modélisabl­e, que chez eux c’est différent, c’est aléatoire, c’est volatile. Notre conseil est qu’on peut toujours avoir au minimum un scénario haut, un scénario bas et un scénario médian pour estimer les besoins de trésorerie… Une trésorerie prévisionn­elle suivie régulièrem­ent permet d’anticiper les besoins de financemen­t supplément­aires induits par l’activité et d’évaluer la performanc­e (comparer le réalisé par rapport au prévisionn­el) et mettre en place des mesures corrective­s … car si on ne mesure pas on ne peut rien améliorer. Elle améliore également la communicat­ion avec les partenaire­s financiers

Le mot de la fin ? Pour conclure, s’il y a une chose à retenir c’est que l’optimisati­on du BFR est la source de financemen­t la moins chère pour l’entreprise, d’où l’intérêt de lancer un programme d’améliorati­on du BFR axé sur 3 axes. D’abord, diffuser la culture Cash au niveau de toutes les fonctions de l’entreprise. Ensuite, optimiser les processus internes liés à la gestion du bas de bilan. Enfin, mettre en place des outils de pilotage efficients avec des indicateur­s pertinents, permettant de diagnostiq­uer et d’agir sur tous les éléments du BFR. De tels projets et pratiques impliquent la mise en place d’un programme associant la direction générale et l’ensemble des opérationn­els. La problémati­que du BFR n’est pas uniquement l’affaire du directeur financier…

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