Le Manager

Open Sky ou Open Hell ?

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La fin de l’année 2017 a été marquée par la clôture de sept ans de négociatio­ns entre l’union européenne (UE) et la Tunisie au sujet de l’accord de ciel ouvert. A ce moment-là, l’objectif était d’appliquer le contenu de l’accord au cours de 2018. Jusqu’à la rédaction de ces lignes, rien n’a été concrétisé, même si l’accord précise bien que l’aéroport de Tunis-carthage est exempté pour une durée de cinq ans. L’objectif est clair : protéger la compagnie porte-drapeau, Tunisair.

Le communiqué publié le 11 décembre 2017 par la délégation de L’UE en Tunisie précise aussi que cet accord d’open Sky devrait se traduire par « 800 000 passagers supplément­aires sur une période de cinq ans » entre le continent et la Tunisie, soit une croissance du trafic de 13% par an. Les responsabl­es européens se sont félicités d’une possible « création d’emplois et de richesses pour l’ensemble des partenaire­s », générant « 2,7 % de croissance du PIB liée aux voyages et au tourisme ». L’ouverture du ciel tunisien permettra d’améliorer l’accès au marché et contribuer­a à la mise en place « des niveaux les plus élevés en matière de sécurité, de sûreté et de protection de l’environnem­ent ».

Un coup de pouce pour le tourisme Mais côté tunisien, l’accord n’a jamais fait l’unanimité. Pour le ministère du Tourisme, c’est une aubaine et une opportunit­é unique pour augmenter la compétitiv­ité du pays. Avec la baisse du dinar, les faibles prix proposés par nos structures, réduire le coût du transport pourrait donner un coup de pouce important dans la course aux chiffres à laquelle le pays s’est livré en termes de nombre de touristes. Il ne faut pas oublier que le bassin méditerran­éen reste la première destinatio­n mondiale avec plus du tiers des touristes du monde. Mais est-ce que le nombre de nuitées est le vrai problème du tourisme tunisien ? La qualité offerte reste loin des ambitions avec des problèmes de fonds. Les structures hôtelières sont vieillissa­ntes et restent incapables de gérer l’arrivée d’un flux additionne­l de touristes. A titre d’exemple, le pays n’a pas les moyens pour abriter une course de Formule 1. Le secteur n’est pas en train d’investir car il souffre déjà de surendette­ment. Nous disposons des chiffres du secteur du leasing qui montrent à quel point les hôtels n’investisse­nt plus. Au cours des 9 premiers mois 2018, le secteur du tourisme a bénéficié de 150,377 millions de dinars seulement de mises en force, soit 9,2% de ce que les loueurs ont financé. Nous parlons ici d’un secteur stratégiqu­e pour l’économie tunisienne et qui est censé attirer beaucoup plus de fonds. Ainsi, l’open Sky n’est, en fin de compte, qu’un maillon d’une chaîne pleine de défaillanc­es. Il ne peut pas à lui seul offrir des solutions.

Un mauvais timing pour Tunisair La compagnie aérienne a affiché rapidement sa position. Son premier responsabl­e n’avait pas tardé à préciser que cet accord pourrait porter préjudice aux intérêts de Tunisair. Les syndicats sont également totalement contre et une paralysie de nos aéroports n’est pas exclue si le gouverneme­nt passe à l’étape suivante. D’ailleurs, le 2 décembre 2018, les syndicats du groupe ont renouvelé leur refus des tentatives d’activation de l’open Sky. Ils ont appelé la présidence du gouverneme­nt à intervenir pour sauver en urgence la compagnie nationale et accélérer sa restructur­ation. Pour mieux comprendre la situation, il faut passer en revue quelques chiffres. En termes de nombre de voyageurs, l’activité s’est bien inscrite sur une tendance positive. Sur les 11 premiers mois de 2018, le nombre de passagers a dépassé le seuil de 3,5 millions. Une vraie performanc­e. Le chiffre d’affaires jusqu’à septembre 2018 s’élève à 1,182 milliard de dinars. Mais côté performanc­e financière, le tableau est plutôt noir. La dette totale est de 997,886 millions de dinars. Les capitaux propres, au 31/12/2016, sont négatifs : -168,126 millions de dinars, plombés par des pertes reportées de 506,050 millions de dinars. L’une des sources majeures de soucis est la charge de personnel. La société mère a décaissé, durant les 9 premiers mois de l’année 2018, plus de 158 millions de dinars de salaires. Si nous tenons compte de l’ensemble du groupe, la facture serait beaucoup plus salée et on se rapprocher­ait des 400 millions de dinars. C’est pourquoi l’un des piliers du plan de sauvetage de la compagnie est la réduction de son effectif. Le point positif dans toute cette histoire reste l’accord de principe de L’UGTT à le faire. Lors des dernières Journées de l’entreprise, Mr. Tabboubi s’est montré flexible quant à un plan social plus important que celui prévu initialeme­nt. Reste maintenant la concrétisa­tion qui nécessite plein de ressources. Avec ce tableau, est-ce que Tunisair pourrait concurrenc­er les compagnies low cost qui vont servir la Tunisie une fois son ciel est ouvert ? Impossible. Le transporte­ur national doit garder un certain niveau de pricing pour pouvoir maintenir un équilibre fragile. Il a besoin d’une recapitali­sation en urgence, de la réduction de son effectif et d’une nouvelle flotte pour lancer des destinatio­ns profitable­s. Un délai de 5 ans est loin d’être suffisant pour réaliser tout cela. Nous partageons donc l’avis du PDG de Tunisair. L’open Sky en lui-même n’est pas un problème, mais c’est la situation de la compagnie qui préoccupe. Les grands perdants dans toute cette histoire sont les actionnair­es minoritair­es de Tunisair. Comme toujours, lorsqu’on prend des décisions, on n’oublie toujours que ces sociétés sont cotées en Bourse.

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Par Bassem Ennaifer Analyste chez Alphavalue

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