Moncef Sellami président Onetech
«Je ne crois pas aux réformes, mais à une réelle volonté politique d’abord !»
Il a fondé ce qui est devenu aujourd’hui le deuxième exportateur industriel privé de Tunisie : le groupe Onetech Holding qui porte bien son nom. Pourtant au tout début, rien ne prédisposait ce banquier à faire une carrière professionnelle dans l’industrie et la câblerie. Ayant démarré un parcours dans le monde de la finance en arpentant des postes au sein des banques de la place et à l’étranger, Moncef Sellami a fini par échoir dans l’univers de l’industrie. Il a commencé par y mettre un pas jusqu’à arriver à implanter trois filiales de son groupe aujourd’hui dans trois zones différentes du pays. L'entreprise totalisant environ 3800 emplois etcommercialise dans 50 pays, ce capitaine de l’industrie a posé les fondements du secteur industriel tunisien à travers le développement de son groupe dans ce qu’il a de plus évolué sur le plan technique. Entrepreneur au vrai sens du terme, il a vite fait de mettre en mouvement toute la panoplie d’un management moderne en avance de son équipe avec une vision lointaine. En si peu d’années, le groupe est devenu, à travers la recherche développement, l’innovation et l’acquisition de filiales étrangères une figure emblématique du high tech tunisien. Séduit par un autre monde, celui de la politique, il l'intègre en tant que député sur la région de Sfax d’où il est originaire. Il ambitionne d’opérer des changements et d’améliorer le climat des affaires aussi bien que la qualité de vie dans sa ville natale. Moncef Sellami a très rapidement déchanté, se disant désemparé par les préjugés freinant les hommes d’affaires dans l’exercice de leur fonction sous l’hémicycle. Sa vision de l’avenir du pays n’est pas empreinte d’optimisme, mais il sait mettre le doigt là où le mal gangrène et explique que les solutions réelles ne font pas défaut. Retour sur le parcours de l’un des plus éminents hommes d’affaires tunisiens, Moncef Sellami.
Si nous revenions un peu sur votre parcours ?
J’ai d’abord fait des études en sciences économiques et politiques. Ensuite, j’ai effectué quelques stages dans le secteur du tourisme. Après cela, je me suis engagé dans la banque en débutant au sein du groupe BNCI, rebaptisé BNP Paribas, en France, à Londres puis au Maroc. A Tunis, j’ai intégré L’UBCI avant de rejoindre la Banque du Sud devenue depuis Attijari bank.
Pouvez-vous nous raconter les débuts de Onetech?
C’est en 1978 que j’ai quitté la banque et me suis engagé dans l’industrie des câbles électriques. A partir de cette étape, j’ai entamé la création de plusieurs sociétés, entre autres celles oeuvrant dans les technologies de pointe, à grand risque et axées essentiellement sur l’exportation en partenariat avec des étrangers. A vrai dire, je considère que l’apport technologique ne peut se faire qu’à travers des partenariats, c’est également le cas en ce qui concerne l’apport commercial. C’est ainsi que j’ai réussi à créer des entreprises qui font valoir un grand acquis technologique.
Comment l’idée vous est- elle venue de vous introduire dans le secteur de l’industrie, vous qui êtes issu du milieu de la finance?
Vous savez la vie est faite de circonstances. Il faut savoir les saisir quand elles se présentent. Lorsque l’opportunité de créer une câblerie s’est présentée, je l’ai tout simplement saisie. C’est dans ce cadre que j’ai fait la rencontre d’un Italien du Sud qui, avec sa fille, m’ont beaucoup aidé dans mon projet. Ensuite, j’ai également rencontré un Allemand qui à son tour m’a soutenu lorsque j’ai créé la fabrique des circuits imprimés. Il s’est d’ailleurs créé entre nous des relations étroites qui ont généré par la suite un acquis commercial et technologique. Vous savez… les relations humaines sont primordiales dans le business.
Tunisie- Câble est la première société que vous avez créée, comment s’est fait l’enchaînement par la suite? Avez-vous pensé à une diversification verticale ?
Ce n’est pas vraiment une diversification verticale. En fait, il s’agit plutôt de la réalisation de deux objectifs, à savoir exporter, s’internationaliser et s’imposer dans les activités de
technologie de pointe. De ce fait, dans la quête de réalisation de ces deux objectifs, des opportunités se sont en parallèle présentées, et au final je n’ai fait que les saisir. C’est également en réponse au souhait de nos clients de ne pas nous contenter d’être fournisseur d’un seul élément. Ainsi, nos clients nous demandent aujourd’hui de réfléchir à une solution qui nous permette de leur fournir une pièce complète.
Quel est le point de force aujourd’hui de tout le groupe Onetech ?
Moncef Sellami : Etant donné que nous évoluons à l’échelle internationale, nous avons mis en place trois pôles au sein de Onetech. Il s’agit du pôle câble avec trois câbleries, le pôle méca-électronique ainsi que le pôle des technologies de communication. Nous faisons d’ailleurs 80% de notre chiffre d’affaires à l’export, et ce, sur de très nombreux marchés dans le monde.
Restons sur le volet du marché international. Comment avez-vous pu vous imposer ?
Je dirais que nous devons notre positionnement à l’échelle internationale grâce à trois principaux éléments, à savoir le sérieux, la rigueur et la confiance instaurée entre nous et nos clients. Ce n’est certainement pas dû à un miracle ou à une potion magique, ce sont là tout simplement les ABC de la gestion.
Parlons à présent difficultés, en avez-vous rencontré lorsque vous avez décidé de vous internationaliser ?
A dire vrai, oui et non. En fait, je dois dire que les difficultés que nous avons rencontrées sont liées essentiellement à notre système administratif. Ces difficultés sont d’ailleurs quasiment présentes au quotidien. Et puis nous apprenons chaque jour à surmonter ces difficultés avec les moyens dont nous disposons.
Onetech est cotée en Bourse depuis 2013, qu’estce qui a changé depuis ?
En effet, depuis cet événement, un certain nombre de choses ont changé. Nous avons mis en place une gestion plus décentralisée. Nous avons installé une plus grande transparence, une garantie de pérennité pour l’entreprise.
Maintenant je vais m’adresser à vous en tant que manager et vous demander quelles sont les valeurs sur lesquelles vous êtes le plus intransigeant envers vos collaborateurs ?
Je dirais que c’est la confiance. En fait, il faut que mes collaborateurs se considèrent et se sentent responsables. Je veux qu’ils se considèrent comme une partie intégrante et totalement engagée dans l’entreprise. Je pense qu’il s’agit là de la valeur la plus importante car c’est bien ainsi qu’il devient possible de faire évoluer une entreprise.
En quoi la manière de gérer les hommes est différente aujourd’hui de celle il y a trente ans ?
Tout à fait, il y a trente ans, la manière de gérer s’apparentait au paternalisme. Aujourd’hui, ceci n’est vrai qu’à une partie infime mais dans l’ensemble, les collaborateurs sont devenus des responsables à part entière au sein de l’entreprise.
Dans votre parcours, quelle est la chose dont vous êtes le plus fier?
Ce dont je suis le plus fier est tout simplement le fait d’avoir réussi. Bien entendu cette réussite ne se mesure pas à la quantité d’argent que nous gagnons et cela n’est pas un objectif en
soi. Certes, il est important de gagner de l’argent mais il ne faut pas en faire une finalité. Et puis cet argent que nous gagnons, il est indispensable et important de savoir le partager car si nous ne le faisons pas, nous ne pouvons pas réellement évoluer. D’ailleurs, tout à l’heure vous m’avez demandé ce qui a changé dans le management d’une entreprise, cela en fait
“Je dirais que nous devons notre positionnement à l’échelle internationale grâce à trois principaux éléments, à savoir le sérieux, la rigueur et la confiance instaurée entre nous et nos clients
partie. En effet, je fais en sorte d’intéresser l’ensemble des employés aussi bien le directeur général de l’entreprise que le reste des collaborateurs. Ainsi, les directeurs participent à la création des bénéfices qu’ils distribuent ensuite dans les rangs de leurs employés.
Quels sont les projets futurs de Onetech?
Vous savez aujourd’hui j’ai un peu plus de 80 ans et j’ai donc confié l’avenir du groupe aux collaborateurs. Je leur fais entièrement confiance et je sais qu’ils sauront mener à bon port tous les projets qu’ils vont entreprendre.
Donc vous estimez que la transmission au sein de Onetech est déjà à l’oeuvre?
Absolument ! J’ai un peu préparé cette transmission mais vous savez aujourd’hui, tout ce qui a trait aux nouvelles technologies et à l’informatique ne me concerne plus beaucoup. Pour être plus clair, je me sens un peu hors du coup aujourd’hui, bien que j’ aie pleinement participé par le passé à l’essor de cette technologie
Justement, comptez-vous devenir un champion national un peu à l’image des Coréens ?
Alors, à juste titre, je vais vous raconter une petite histoire. Il y a quelques années, nous avons reçu les Coréens en compagnie de Monsieur Tijani Chelli polytechnicien, ancien ministre de l’economie, directeur général de L’API d’alors. Ils étaient venus dupliquer un peu ce que nous faisions à l’époque concernant la loi 70. Aujourd’hui, lorsque je vois où se positionne la Corée, quasiment sur le toit du monde, et que je vois où nous en sommes, je me pose alors des questions.
Comment expliquez-vous cela ?
Je n’ai pas d’explication claire mais je pense que c’est essentiellement dû à notre manque de travail et de volonté. D’autant plus qu’ils ont beaucoup trop souffert à l’époque de la guerre, ce qui était à même de renforcer chez eux cette valeur du travail.
Cela n’est-il pas dû également au fait qu’ils avaient acheté la technologie ?
Ils ne l’ont pas tout à fait achetée mais plutôt copiée. Vous savez, un jour, un Français m’a raconté qu’il était parti en Corée pour vendre un produit et d’une discussion à une autre, il a découvert que dans l’intervalle ce même produit avait déjà été mis en vente sur le marché coréen. A vrai dire, les Coréens ont une faculté d’adaptation importante.
Après tout ce long parcours professionnel dans l’industrie que vous avez engagé, quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui voudrait s’engager dans cette voie ?
Je n’ai pas la prétention de donner des conseils. Je peux seulement dire que si l’on veut arriver au but, il faut savoir persévérer. Il est indispensable de savoir continuer d’aller de l’avant en dépit des difficultés.
Vous remarquez sans doute que depuis un moment une certaine désindustrialisation progresse dans le pays, comment expliquez-vous cela et quel remède y voyez-vous ?
Je l’explique essentiellement par l’attitude du pouvoir politique. C’est ce dernier qui a mis en place cette politique de désindustrialisation. Personnellement, je me souviens que dans les années 90, des petites industries se sont lancées sur le marché mais qui ont disparu par la suite à cause de la déferlante de marques étrangères. Aujourd’hui, la seule chose que l’on encourage est le commerce à travers l’import. Cela est bien plus simple : avec un téléphone et une secrétaire, vous créez une société et vous lancez une activité commerciale. Tout cela se fait aux dépens de la création de valeur et de l’innovation. Je persiste et signe c’est le pouvoir qui a voulu instaurer cette politique.
Qu’est ce qui bloque aujourd’hui et nous empêche de nous inscrire sur les schémas de croissance ?
Incontestablement le grand problème en Tunisie qui constitue un obstacle majeur et freine la croissance, est la corruption. C’est la véritable gangrène dans le pays. De plus en plus de gens cherchent aujourd’hui le gain facile à travers la corruption, aux dépens de la création de valeur ! Si l’on veut arriver à réaliser quelque chose de fondamentalement bénéfique pour le pays dans le domaine de l’industrie ou autre, il est impératif d’éradiquer la corruption qui freine absolument tout. D’ailleurs, savez-vous pourquoi L’UGTT refuse aujourd’hui la privatisation de certaines entreprises publiques ? C’est essentiellement, fait-elle savoir, en raison de la corruption. A ce titre, les entreprises publiques sont déjà une problématique à part. Prenons l’exemple de la STEG, pourquoi l'encombrer avec la production des énergies renouvelables ? Il suffit déjà qu’elle se charge de la production de l’électricité et du gaz. Une entreprise qui est déjà déficitaire, on ne lui ajoute pas une autre activité. Ce n’est tout simplement pas raisonnable.
Quelles seraient les réformes les plus urgentes à mettre en place aujourd’hui ?
A mon avis, c’est incontestablement la réforme qui apportera la solution pour la lutte contre la corruption ainsi que le marché parallèle. En deuxième lieu, je citerais la réforme de la formation professionnelle. Vous savez dans l’état actuel des choses, la formation professionnelle dont on parle relève
de l’incantation. Elle est quasiment inexistante. L’ancien président Ben Ali avait brimé la formation professionnelle. De notre côté, nous avons essayé d’installer de nouveaux centres de formation professionnelle, mais ce n’est pas grand-chose comparé à ce qu’il faut faire à l’échelle nationale. J’ai proposé de mettre en place un centre à Sfax spécialisé en soudure car c’est un métier qui est très demandé à l’étranger. Un centre qui sera bien équipé et qui pourra également évoluer avec l’aide des étrangers. Cela nous aidera par la même occasion à résoudre le problème du chômage.
A l’assemblée des représentants du peuple, nous n’avons pas réellement senti le poids de l’économique, nous sommes restés sous la pression du politique. Comment expliquez-vous cela ?
A vrai dire, à l’assemblée lorsqu’un homme d’affaires essaie de défendre une certaine cause à caractère économique, il est très rapidement accusé de vouloir défendre sa propre cause, c’est-à-dire nos propres projets économiques. De ce fait, nous restons silencieux et lorsque nous voulons nous y mettre, nous le faisons de manière très discrète voire timide. Vous savez, en Tunisie, le chef d’entreprise est généralement considéré comme un voleur. Nous avons d’ailleurs hérité cette approche de la France plus précisément ! Chez nous, celui qui, à travers son entreprise, on ne peut plus soucieux de sa responsabilité sociale, gagne de l’argent est toujours considéré comme un voleur. Le profit n’est pas perçu comme un signe de réussite, ni une fierté comme c’est le cas aux Etats Unis par exemple.
Pensez-vous que ces réformes seront mises en place en 2020 après les élections ?
Pour vous dire la vérité, je ne le pense pas. Je ne le crois pas, car je réalise que c’est difficile. Je ne crois pas aux réformes car nous en avons lancé mais cela n’a pas abouti. Cela ne doit pas nous empêcher de remettre constamment l’ouvrage sur le métier.
Que faire alors pour pouvoir sortir le pays de sa torpeur et de sa crise ?
Il faut se tourner vers des secteurs économiques qui ont été délaissés et abandonnés tels que l’agriculture. Depuis les années 60, l’agriculture est laissée pour compte. Il n’est pas permis aux étrangers de disposer d’exploitations agricoles en Tunisie et cela complique certaines choses. Nous voulons moderniser l'agriculture mais nous n’avons rien fait pour y arriver surtout si l’on se compare au Maroc. S’il n’y a pas de volonté réelle et ferme aujourd’hui pour dire stop aux dépassements et de surcroît pour obliger les citoyens à payer leurs impôts au lieu d’aller s’endetter auprès de l’extérieur, il nous sera très difficile d’avancer et d’évoluer. Vous savez la Tunisie fonctionne avec de la chance beaucoup plus qu’autre chose.
Et comment voyez-vous la sortie ?
Est-ce que quelqu’un peut indiquer l’issue aujourd’hui ? Personne ! Je pense qu’il faut continuer à lutter, rassembler tout le monde. Il faut poursuivre l’effort démocratique. Nous parlons beaucoup de démocratie aujourd’hui, n’est-ce pas ? Mais en réalité, nous ne faisons pas tout ce qui est nécessaire au plan des réalisations économiques pour l’ancrer définitivement dans le paysage national.
Incontestablement, le grand problème en Tunisie qui constitue un obstacle majeur et freine la croissance, est la corruption. C’est la véritable gangrène dans le pays. De plus en plus de gens cherchent aujourd’hui le gain facile à travers la corruption, aux dépens de la création de valeur !