Elyès Jeribi, président du Collège des startups Le coup de pouce qui manquait aux startups tunisiennes
Fort d’une expérience chez Mckinsey, il s’est jeté dans l’aventure entrepreneuriale pour fonder sa startup Linkao. À la même période, rappelé par l’instinct patriotique, Elyes Jeribi est rentré en Tunisie apporter une brique à la construction de la Tunisie post 2011 pour intégrer Smart Tunisia. Depuis l’année dernière, la licorne nigérienne l’a appelé aux commandes de sa filiale tunisienne. Elyes préside aujourd’hui le Collège des startups, instance qui labellise ces jeunes pousses. Avec beaucoup d’enthousiasme et laissant entrevoir un immense espoir, Elyès Jeribi, le président du Collège des startups s’est ouvertement exprimé au Manager sur le fonctionnement de cette institution fraîchement lancée et sur l’écosystème entrepreneurial. Interview.
Parlons, au début, du processus de labellisation, quels sont les critères que vous avez fixés?
En présence d’un cadre juridique dédié aux startups et élaboré par toutes les parties prenantes de l’écosystème entrepreneurial en Tunisie, le Startup Act, la labellisation de ces entités économiques ne se fait pas arbitrairement mais doit répondre à des critères bien précis. En effet, le processus de labellisation comprend cinq paramètres de choix que le Collège a fixés pour accorder le label de la startup aux candidats. Il est essentiel que l’âge de l’entreprise en question ne dépasse pas les 8 ans, que l’effectif compte moins de 100 employés, que le capital de l’entreprise est détenu à plus des deux tiers par des personnes physiques, des organismes d’investissement réglementés et des startups étrangères. La société candidate doit également répondre à deux autres critères aussi importants que les premiers : l’innovation dans son sens le plus large, tout business-modèle nouveau pour soumettre un problème spécifique qui peut être une innovation technologique, économique, sur le process, sur le produit… Même la fabrication pour la première fois d’un produit qui existe dans d’autres pays est assimilée à de l’innovation. Et finalement la scalabilité qui définit la possibilité de croissance et l’attaque de nouveaux marchés.
Et le fait que le produit ne soit pas adapté à d’autres marchés, n’est-il pas un critère important ?
Le produit ne doit pas forcément être adapté à d’autres marchés. L’idée de lancer une activité qui n’existe qu’en Tunisie est totalement tolérée. Le paiement mobile en est le meilleur exemple. Etant donné que le paiement mobile concerne des millions de Tunisiens, travailler sur ce secteur uniquement sur le territoire tunisien peut être considéré comme un projet « scalable ». Il est vrai que les projets qui peuvent être exportés sont plus intéressants mais ceux qui sont limités au marché tunisien sont aussi d’une grande valeur ajoutée.
Au niveau du Collège, comment gérez- vous le flux des demandes de labellisation?
Tous ceux qui travaillent dans le Collège des startups sont liés, plus ou moins, à l’écosystème. Sous la casquette du bénévolat, nous gérons tous les dossiers qui nous parviennent. L’aide de certains responsables du ministère de l’economie numérique nous est, certes, d’un grand apport. En effet, une fois le « screening » fait, nous gérons tous ces dossiers via une plateforme numérique qui est assez développée, qui englobe toutes les informations d’une manière structurelle et qui est accompagnée toujours de suggestions et de recommandations. En effet, c’est grâce au vote électronique que nous avons pu avoir une capacité de traitement assez importante qui nous permet de traiter chaque mois une cinquantaine de dossiers.
Est- ce que vous pouvez nous parler davantage de cette plateforme ?
En effet, dès le lancement de notre portail, on a reçu près de 300 dossiers, uniquement lors de la phase de « bêta-testing ». Après avoir lancé notre communication, près de 400 dossiers nous sont parvenus. Les startups déposent leur dossier au niveau de notre plateforme. Chaque mois nous en examinons 50, commençant par celles qui nous sont venues en premier. Notre estimation est de purger le stock d’ici la fin de 2019 avec des cohortes de labellisation chaque mois.
Est- ce qu’il y a eu un budget alloué pour rémunérer les avantages accordés à ces entreprises, question de vous aider à fixer le nombre de startups que vous devez labelliser?
En réalité, le financement vient de plusieurs poches, notamment du Fonds de l’emploi qui fait partie des fonds les plus importants de l’etat, avec près de 700 millions de dinars injectés dans sa caisse. Cette somme, n’est pas, en effet, utilisée dans sa totalité, ce qui fait qu’il y a les fonds nécessaires même pour labelliser près de 1000 startups.
En ce qui concerne les startups que vous labellisez, est- ce qu’il va y avoir un audit après et est- ce que vous avez mis les critères permettant de retirer un label ?
Effectivement, chaque année il y a un audit qui est prévu et les résultats doivent être envoyés, au plus tard, le 31 mars de l’année d’après. En ce qui concerne le retrait du label, il est important de signaler que l’octroi de ces avantages n’est jamais définitif. La startup qui n’obéit pas à certaines règles, comme la transparence, la taille de l’entreprise, la véracité des données… peut voir son label retiré. Notre objectif étant de multiplier les modèles de réussite et en l’absence d’un suivi, il y aura beaucoup d’échecs.
Dans une année ou deux, comment voyez-vous l’écosystème?
Je suis très optimiste quant à l’avenir des startups en Tunisie. J’ai la chance d’examiner les dossiers et j’en suis réellement impressionné. Même appartenant à cet écosystème et le connaissant très bien, j’étais surpris par la qualité des projets. Certaines startups, opérant sur des niches particulières, sont leaders mondiaux. Il y a des startups qui feront des croissances à trois chiffres. Nous constatons également un vrai engouement des jeunes entrepreneurs, signe d’un fort dynamisme. C’est une première étape qu’on vient de franchir : il y a un vrai intérêt et un process clair de labellisation. La deuxième étape concernera l’opérationnalisation de tous les avantages liés à cette labellisation.
Qui est en charge de l’opérationnalisation de ces avantages?
Au fait, le suivi de l’avancement de l’opérationnalisation de ces avantages fait partie des prérogatives des responsables du ministère de tutelle. Notre rôle est d’octroyer ou non le label des startups. Personnellement je pense que ces avantages vont être opérationnels d’ici la fin de l’année en cours. Un comité d’opérationnalisation a été mis en place. Il s’agit d’un tandem privé-public qui regroupe d’un côté Haythem Mehouachi, membre de la Task-force du Startup Act qui pilote, de façon informelle, l’équipe opérationnelle au sein du ministère, et de l’autre côté Oussama Mekki qui représente la direction générale chargée de l’economie numérique.
Il y a eu une polémique qui s’est déclenchée lors de l’annonce de la création du Collège des startups qui a mis en cause la crédibilité de l’institution. Que pouvez-vous dire à ce propos ?
Le Collège des startups compte quatre représentants du secteur privé parmi neuf membres. C’était un choix stratégique auquel nous avons opté en faisant participer des membres qui font partie de l’écosystème tels que des investisseurs dans des startups, des entrepreneurs qui ont créé des startups… Du coup, il y a un risque de conflit d’intérêts. Toutefois, notre charte suivant laquelle on travaille, nous interdit de voter pour une startup comportant un conflit d’intérêts. La loi peut également sanctionner voire expulser du Collège tout membre ayant un conflit d’intérêts et qui ne le déclare pas.
Est- ce que vous avez un message ou un mot à dire ?
Notre rôle en tant que Collège de labellisation de startups ainsi que celui du Startup Act est de donner un coup de pouce à l’écosystème. En clair, nous ne pouvons pas tout régler. Nous sommes, en effet, conscients que notre arsenal juridique nécessite beaucoup d’améliorations. Face à ce grand potentiel de jeunes startuppeurs, on a pris la bonne décision de créer une institution qui se charge de les accompagner dans leur aventure entrepreneuriale. Une institution qui va certes disparaître le jour où l’environnement d’affaires dans le pays s’améliorera. Le jour où nous verrons le fruit de ce projet, les décideurs seront tentés de l’étendre à d’autres entreprises.
Certaines startups, opérant sur des niches particulières, sont leaders mondiaux. Il y a des startups qui feront des croissances à trois chiffres